EODE THINK TANK /
GEOPOLITIQUE & IDEOLOGIES
Du génocide rwandais au millions de
morts du Congo :
manipulations et responsabilités
occidentales
Luc Michel - Karel Huybrechts
Photo:
D.R.
Jeudi 3 avril 2014
Luc MICHEL Karel HUYBRECHTS pour EODE
Think Tank /
Avec EODE-Books – JamboNews - Editions
Duboris / 2014 04 05 /
« Pour les dirigeants de Bruxelles, les
millions de morts du Congo ont
nécessairement moins d’importance que
les « 800.000 » victimes tutsi du
Rwanda. Ces victimes congolaises ont
d’autant moins d’importance que leurs
bourreaux sont précisément des rebelles
tutsi du Rwanda. C’est ce parti pris
obscène qui choque aussi les Congolais.
Une victime quelle que soit son origine
ethnique, son appartenance religieuse ou
sa couleur mérite d’être considérée et
respectée. Ce n’est pas le cas
actuellement dans les Grands Lacs. Les
victimes congolaises et hutu ne sont pas
traitées à égalité avec les victimes
tutsi, et ce, depuis bientôt vingt ans.
Cela est inacceptable, pervers et
dangereux pour l’avenir et pour
l’histoire. Le comportement des
dirigeants européens et celui des
organisations internationales est, dans
cette tragédie, contraire aux principes
d’équité, d’impartialité et d’égalité de
traitement »
- Charles Onana.
L’UE MISE EN CAUSE DANS UNE PERSPECTIVE
GLOBALE
Peu de journalistes, encore moins
d’historiens ont analysé le génocide
rwandais dans la perspective
géopolitique globale de la
déstabilisation de la région des Grands
Lacs et de sa recolonisation rampante.
Mettre en rapport le génocide rwandais –
élément déclencheur qui a permis
l’arrivée au pouvoir de Kagame -, la
crise du Congo, le régime Kabila, la
crise de la région des grand lacs, et le
régime Kagame qui en est l’acteur
majeur, avec ses complicités dans l’UE
et en Occident : c’est ce que fait le
livre de Charles Onana, journaliste
d’investigation franco-camerounais. Dont
nous partageons les analyses.
« Je ne comprenais pas pourquoi
l’Europe, qui prône la défense des
droits humains et de la démocratie,
s’accommode tant du trucage des
élections au Rwanda et en RDC et de la
violation des droits de la personne dans
ces deux pays, dit-il. Je m’étonnais
aussi du silence persistant en Europe
sur le harcèlement des militants des
droits humains et leur assassinat tant
au Rwanda qu’en RDC. J’ai donc décidé
d’enquêter dans « l’arrière-cuisine » de
la diplomatie européenne ».
A partir des notes internes du Conseil
de l’Europe, des rapports restreints de
la Commission Européenne et des
confidences de diplomates et de hauts
fonctionnaires européens, Charles Onana
dans son livre EUROPE, CRIMES ET CENSURE
AU CONGO (Editions Duboiris)
(1) apporte de nombreuses preuves sur la
bienveillance des institutions
européennes à l’égard du régime de Paul
Kagame dans ses actions criminelles en
RDCongo.
Dans ce livre riche en révélations et
documents inédits, on découvre notamment
:
· Comment Joseph Kabila a été imposé à
la tête de la République Démocratique du
Congo (RDC) en 2006 par George Bush et
de Jacques Chirac au moyen d’élections
truquées et financées par l’Union
Européenne (UE) ;
· que la condition exigée à Joseph
Kabila pour rester au pouvoir était
qu’il se taise sur les incursions
rwandaises à l’Est de la RDC et sur les
atrocités commises par les hommes de
Kagame ;
· que malgré la multiplication des
rapports internes attestant clairement
de la présence des soldats rwandais à
l’Est de la RDC, l’UE nie officiellement
l’invasion du Congo par le Rwanda et
censure tout discours mettant en cause
Paul Kagame et ses hommes ;
· que l’Union Européenne a dépensé
plusieurs millions d’ euros pour bâtir
une armée congolaise avec des truands,
des violeurs et des criminels contre
l’Humanité, malgré les inquiétudes de
certains hauts fonctionnaires sur ce «
brassage » périlleux.
Au terme de cette enquête délicate et
dérangeante, qui nous mène des bureaux
feutrés de Bruxelles, où l’on étouffe
surtout les scrupules, aux dangereuses
forêts de l’Est du Congo peuplées de
réfugiés, de tortionnaires,
d’enfants-soldats et de chercheurs de
coltan, en passant par les salles de
réunion de l’ONU, on mesure à quel point
l’écart est grand entre les valeurs
proclamées par l’Union Européenne et la
réalité de ses interventions sur le
terrain. Un tableau terrifiant qui met à
mal le prestige des institutions
européennes, qui pose questions sur
l’idéologie de l’UE et qui peut
légitimement inquiéter le contribuable
européen quant au bien-fondé et aux
véritables objectifs de la diplomatie de
Bruxelles en Afrique et au Congo.
Photo:
D.R.
« L’UNION EUROPEENNE CENSURE
L’IMPLICATION DU RWANDA DANS LA CRISE
CONGOLAISE »
Lors d’une interview exclusive accordée
à JamboNews à Bruxelles (2), Charles
Onana, avait répondu aux questions
autour de son livre consacré à la RDC et
au Rwanda. Il a notamment évoqué le rôle
du Rwanda dans la crise congolaise ainsi
que le silence de l’Union européenne au
vu de tous les épisodes tragiques
observés en République démocratique du
Congo depuis le début des hostilités en
1996.
Charles Onana part d’une constatation
simple selon laquelle l’Union européenne
parle moins de l’implication du Rwanda
dans les conflits armés qui secouent le
Congo. Tout
récemment, suite aux rapports des
experts de l’ONU accusant le Rwanda de
soutenir des rebellions en RDC, Charles
Onana dit
avoir
constaté que le discours de
l’Union européenne ménageait beaucoup
Kigali et l’épargnait d’une
interpellation directe sur son rôle dans
la déstabilisation de la RDC. « C’est la
raison pour laquelle
j’ai enquêté sur les processus de
décision au sein de l’Union européenne.
Qui influence qui et dans quel but ? »
a t-il notamment déclaré.
Dans le cadre de ses investigations,
Charles Onana confie avoir obtenu
plusieurs documents tenus secrets des
institutions européennes, documents
parfois issus des rapports des envoyés
spéciaux
de l’Union européenne dans la
région des Grands Lacs. Sans doute des
pièces à conviction. « En effet, ces
documents n’étaient pas destinés à être
rendu public. En ayant ces documents,
j’ai pu reconstituer les pièces
manquantes du puzzle. En outre,
les témoignages des diplomates
m’ont aidé », a indiqué Charles Onana.
Ce dernier a également révélé
l’échange qui a eu lieu en 2003 entre le
président de la RDC
Joseph Kabila et Javier Solana,
Haut représentant pour la politique
étrangère et de sécurité commune de
l’Union européenne.
Selon Charles Onana, Joseph Kabila avait
écrit à Javier Solana pour mettre en
place une police intégrée en vue
d’assurer la sécurité du processus
électoral en RDC. Onana déplore que
cette initiative ne fût guère pour
l’intérêt de la population congolaise.
Décriant par ailleurs la passivité et
l’incompétence de Joseph Kabila, Charles
Onana
a affirmé que le président
congolais est une émanation de l’AFDL et
du Rwanda.
KAGAME, OMBRE ET LUMIERE
Côté lumière, le président Kagame est
largement crédité de la spectaculaire
transformation du pays depuis 20 ans
avec une incontestable réussite
économique et la forte éradication de la
corruption. Dévasté et traumatisé
lorsque les rebelles du FPR prirent le
pouvoir en 1994, mettant fin à un
génocide qui venait de faire environ
800.000 morts essentiellement dans la
minorité tutsi, le Rwanda a enregistré
ces dernières années la croissance la
plus forte d'Afrique de l'Est.
Mais détracteurs du régime et
observateurs dénoncent un monopartisme
de fait - bien que onze partis soient
enregistrés officiellement - et
l'absence de liberté d'expression.
Côté ombre, les critiques visent la
démocratie de façade, mais aussi et
surtout la politique extérieure du
régime Kagame et ses interventions chez
ses voisins. Et particulièrement le rôle
du Rwanda dans la crise congolaise.
Ainsi Charles Onana met en cause à la
fois l’interventionnisme déstabilisateur
du Rwanda dans la région des Grands Lacs
et singulièrement au Congo (RDC), mais
aussi son rôle comme agent des
multinationales …
« LE RWANDA DE KAGAME EST DEVENU
L’AVOCAT DE LA RECOLONISATION DE
L’AFRIQUE »
Charles Onana n’a pas non plus eu des
mots tendres envers le régime de Paul
Kagame. « Kagame mène une guerre
économique au Congo. Aujourd’hui, on a
la démonstration de cette assertion.
Depuis longtemps, les gens avaient
sous-estimé le rôle du Rwanda comme un
sous-traitant des multinationales. Le
Rwanda de Kagame est devenu l’avocat de
la recolonisation de l’Afrique »,
déclare Charles Onana.
Charles Onana soutient que le Rwanda a
des agents et des lobbies très
actifs au sein des institutions
européennes parmi lesquels, le non moins
influent
Louis Michel – leader libéral
belge, ancien ministre et commissaire
européen -, initiateur du groupe
« les amis du Rwanda » au sein du
parlement européen, pour vous dire le
travail abattu en coulisses.
Dans une autre interview au journaliste
Robert KONGO (3), Onana revient sur « Le
rôle de Louis Michel, ancien ministre et
commissaire européen », « majeur dans
cette action de lobbying. Ces dernières
années, ses prises de position aussi
bien au sénat belge qu’au sein de la
commission européenne ont été
déterminantes. Par exemple, il s’est
opposé à la proposition d’un diplomate
allemand qui demandait l’adoption de
sanctions économiques contre le Rwanda
après la publication des rapports de
l’ONU prouvant l’implication des troupes
rwandaises dans le pillage et la
déstabilisation de la RDC. Louis Michel
a considéré qu’envisager des sanctions
contre le Rwanda serait contre
productif. Pour lui, « Kagame est un
visionnaire » et son pays serait un «
pôle de stabilité » dans les Grands
Lacs. Louis Michel a ouvertement pris
fait et cause pour le régime dictatorial
de Kagame et s’échine à le défendre
coûte que coûte au sein des institutions
de Bruxelles ».
« Les compte-rendus du sénat belge sont
à ce sujet édifiant, rappelle Onana. On
y découvre un Louis Michel agissant et
parlant non pas comme un ministre belge
mais plutôt comme « un militant rwandais
» plaidant la cause de son « visionnaire
» de Kigali. Il a même osé créer une
association des amis du Rwanda au
lendemain de la publication du rapport
mapping de l’ONU en 2010. Il était
partout, courant et transpirant pour un
utopique « dialogue entre Kinshasa et
Kigali ». L’impartialité de cet ancien
commissaire européen n’a jamais été de
mise dans la crise des Grands Lacs. »
POURQUOI CE ROLE HONTEUX DE L’UE DANS LA
REGION DES GRANDS LACS ?
Sans toutefois entrer en profondeur sur
la notion de stabilité, Onana
justifie le soutien indéfectible
de l’Union Européenne au Rwanda par la
garantie qu’il offre sur
la stabilité de leurs intérêts
dans cette région.
Raison pour laquelle selon lui,
l’UE continue de se voiler la face sur
la situation dans la région des
Grands-Lacs. Malgré les violations des
droits de l’Homme au Rwanda, l’Union
européenne continue toujours à apporter
son soutien à ce régime dictatorial. Eu
égard à ce qui précède, l’UE ne respecte
donc pas ses propres principes, a conclu
Charles Onana.
Onana donne l’exemple de la
participation de l’UE dans la répression
et le truquage des élections au Congo :
« le chef de la diplomatie européenne
(Javier Solana) et Joseph Kabila ont eu
plusieurs échanges téléphoniques et
épistolaires. Le président congolais lui
a adressé une requête le 20 octobre
2003, dans laquelle il demandait la
création d’une unité de police intégrée
chargée d’assurer la sécurité des
institutions de la transition en RDC. Ce
dispositif sera effectivement mis en
place, appuyé et supervisé par EUPOL (la
Mission Européenne de Police). Il aura
pour objectif d’assurer la sécurité des
bureaux de vote, la protection des urnes
et celle des membres de la commission
électorale indépendante. En réalité,
l’unité de police intégrée a servi à
empêcher toute contestation des
Congolais à la suite d’un scrutin qui
devait donner Joseph Kabila gagnant.
Celui-ci était, en effet, déjà soutenu
et désigné par les Etats-Unis avant le
scrutin. La demande de protection du
processus électoral va également
s’étendre au plan militaire. C’est ainsi
qu’en 2006, Solana écrit à Kabila pour
le rassurer de la possibilité d’un
déploiement d’une force de l’Union
Européenne en RDC dans le cadre des
élections. Joseph Kabila répond
immédiatement dans une lettre du 19 mai
2006 par laquelle il le remercie de
cette initiative. Le chef de l’Etat
congolais a donc pu ainsi bénéficier du
soutien des Etats-Unis, des Nations
Unies et de l’Union Européenne pour
accéder au pouvoir. »
Des thèses dérangeantes donc sur un
dossier soigneusement occulté à
Bruxelles et New-York. Qui rejoint les
préoccupations d’EODE sur le double
langage des institutions européennes.
Luc MICHEL & Karel HUYBRECHTS
(1) Charles Onana, EUROPE, CRIMES ET
CENSURE AU CONGO, Editions Duboiris,
Collection : Secrets d'Etat, 2012.
(2) Propos recueillis par Mathy Mati et
Charis Basoko
sur
http://www.jambonews.net/actualites/20121205-charles-onana-lunion-europeenne-censure-limplication-du-rwanda-dans-la-crise-congolaise/
(3) Propos recueillis par Robert KONGO
sur
http://www.lecongolais.cd/charles-onana-denonce-le-silence-de-loccident-sur-le-genocide-congolais/
Le sommaire de Luc Michel
Le dossier Afrique noire
Les dernières mises à jour
|