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Oumma.com
À propos de l'Affaire Bruno Guigue et de la non-affaire Goasguen
Collectif les mots sont importants
Bruno Guigue 26 mars 2008
Nous apprenons, ce dimanche 23 mars,
qu'un sous-préfet vient d'être expéditivement limogé pour avoir
publié sur le site Oumma.com une tribune considérée par sa
hiérarchie comme « violemment anti-israélienne ».
La dépêche qui suit, ainsi que
la
tribune mise en cause, montrent bien ce que recouvre cette
formulation savamment équivoque :
« Paris (Afp). Le sous-préfet de
Saintes (Charente-Maritime), Bruno Guigue, a été limogé après
avoir publié une tribune "violemment anti-israélienne" sur le
site internet Oumma.com, a-t-on appris samedi auprès du
ministère de l’Intérieur. Dans une tribune publié le 13 mars,
M. Guigue estime notamment qu’Israël est "le seul Etat au monde
dont les snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles".
Il ironise également sur les "geôles israéliennes, où grâce à la
loi religieuse, on s’interrompt de torturer pendant Shabbat". La
ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a "été mise au
courant mercredi du contenu de cette tribune et a immédiatement
décidé de mettre fin aux fonctions" de M. Guigue, a-t-on indiqué
au ministère de l’Intérieur, sans fournir plus de précision. »
On le voit :
- si le propos de Bruno Guigue peut
être qualifié de « violent », ce n’est en aucun cas au sens d’un
appel à la violence physique contre des
personnes, mais au sens d’une
critique virulente, ciblant des
actes objectivement odieux
(bombardements, torture) ;
- si le propos est effectivement
« anti-israélien », ce n’est pas le peuple
israélien dans sa globalité qui est visé, mais
un État, et la
politique qu’il mène.
Ce qui vient donc d’être sanctionné –
et, pour le coup, violemment
sanctionné – n’est donc pas un « dérapage raciste », mais bel et
bien une expression politique légitime, que notre Constitution
est censée protéger.
Cette atteinte scandaleuse à la
liberté d’expression prend tout son relief quand on la rapporte
à un autre scandale, advenu quelques jours auparavant, le 11
mars 2008 : les déclarations « anti-palestiniennes » du député
UMP Claude Goasguen, sur le parvis de la Place de la
République [1] :
« Comment vous dire la honte qui
nous parcourt quelquefois, lorsque nous savons qu’à Sdérot, où
j’étais la semaine dernière, on subit, quotidiennement, les
agressions d’un peuple sauvage, de terroristes épouvantables ! »
Contrairement aux propos
« anti-israéliens » de Bruno Guigue, cette diatribe
« anti-palestinienne » ne vise pas seulement un ou plusieurs
actes précis (comme l’attentat
de la Yeshiva Merkaz Harav à Jérusalem), qu’on a parfaitement le
droit de dénoncer violemment ;
elle vise, au-delà, tout un ensemble de
personnes qui ne sont pas partie prenante de
ces actes. Elle stigmatise même, explicitement, tout un
Peuple : le peuple palestinien – en
usant, qui-plus-est, d’un terme très chargé :
« sauvage » [2]
En d’autres termes, là où le propos
« anti-israélien » de Bruno Guigue relève du droit
constitutionnel et inaliénable à la critique d’un État et d’une
politique, le propos « anti-palestinien » de Goasguen relève
indiscutablement de la provocation à la haine raciale, passible
en théorie d’un an de prison, de 45000 euros d’amende et d’un an
de privation des droits civiques.
C’est pourtant Bruno Guigue qui a été
sanctionné, avec une rapidité (trois jours après que la ministre
ait pris connaissance de ses propos) et une rigueur (un pur et
simple limogeage, sans autre forme de procès) qu’on aimerait
voir s’appliquer face aux propos racistes, en particulier
lorsqu’ils sont tenus sur la place publique par des
représentants élus du peuple français, des enseignants ou des
hommes de loi.
Car telle est bien la situation de
Claude Goasguen : député UMP, chargé de conférences à HEC et
avocat à la Cour d’appel de Paris, il a tenu des propos
indiscutablement racistes (puisque rabaissant tout un peuple au
rang de sauvages) en plein Paris, devant une foule rassemblée
qui-plus-est Place de la République !
Or, plus de dix jours après les faits, aucune sanction n’est
venue : ni limogeage, ni blâme, ni avertissement – ni à
l’Assemblée nationale, ni à HEC, ni à la Cour d’Appel de Paris.
Pas même une sanction sociale :
ni scandale médiatique [3],
ni réaction indignée de la classe politique – même l’opposition
de gauche n’a pas jugé utile de porter l’affaire sur la place
publique. Pas même un communiqué des associations antiracistes :
ni SOS Racisme, ni la LICRA, ni le MRAP. Seules des associations
de soutien au peuple palestinien, comme le CAPJPO et des médias
alternatifs, comme Oumma.com ou le site des Indigenes de la
Republique, ont réagi.
Imaginons maintenant la situation
inverse :
- Un sous-préfet qui, dans un
article, s’en serait pris avec virulence aux attentats
palestiniens : se serait-on inquiété de son manquement au devoir
de réserve, et l’aurait-on limogé pour cela ?
- Un député, par ailleurs avocat à la
Cour d’Appel de Paris, qui aurait publiquement qualifié le
peuple israélien de « peuple de sauvages, d’abominables tueurs
d’écolières » : les médias, les associations antiracistes,
l’opposition de gauche, ses autorités de tutelle, ses amis
politiques, même, l’auraient-ils laissé à ce point tranquille ?
On rétorquera sans doute – tel est
l’argument du Ministère de l’Intérieur – que Bruno Guigue était,
en tant que haut fonctionnaire, tenu au devoir de réserve,
auquel Claude Goasguen ne saurait être tenu puisqu’il est un
homme politique. Ce paramètre peut effectivement entrer en ligne
de compte, mais en prenant bien soin de remarquer aussi
- que Bruno Guigue ne s’est pas
prononcé sur la politique de son ministère de tutelle (le
Ministère de l’Intérieur) mais sur une question de politique
étrangère ;
- qu’il ne l’a pas fait en qualité de
sous-préfet, mais en tant qu’intellectuel, auteur de livres et
d’articles sur la question évoquée [4].
Il faudrait aussi vérifier si, par le
passé, on a déjà été aussi regardant quant aux « manquements au
devoir de réserve » de la part de sous-préfets,
et le cas échéant, si les autres sous-préfets fautifs ont été
sanctionnés aussi durement.
Et il faudrait en tout état de cause
souligner une nouvelle manifestation, particulièrement
écoeurante, d’un « Deux poids deux mesures » que tout le monde
peut observer, mais qu’il est difficile de dénoncer sans se
faire accuser de paranoïa ou de complotisme. Car, quand bien
même l’article de Bruno Guigue pourrait sans abus de langage
être qualifié de manquement au devoir de réserve, et quand bien
même le sous-préfet pourrait sans abus de pouvoir être
limogé pour ce manquement, il reste
que la provocation à la haine raciale est un délit autrement
plus grave, et que Claude Goasguen, comme bien d’autres
palestinophobes, arabophobes, islamophobes ou négrophobes
(Philippe de Villiers,
Philipe Val,
Sylvie Noachovich,
Claude Imbert,
Alain Finkielkraut, Oriana Fallacci,
Michel
Houellebecq,
Maurice Dantec...), bénéficie pour ce délit d’une totale
impunité.
Il est même invité, comme si de rien
n’était, à commenter l’actualité politique, ce dimanche 23 mars
sur France 5, à l’émission Ripostes.
Tant pis pour les Palestiniens
http://lmsi.net/spip.php?article740
Notes
[1]
Face à une foule de près d’un millier de personnes, rassemblées
en réaction à l’attentat de la Yeshiva Merkaz Harav, à Jérusalem
[2]
Joint par le site « Rue 89 » pour s’expliquer, Claude Goasguen
se défend d’avoir visé le peuple palestinien, et prétend n’avoir
ciblé que les auteurs des attentats. Cette « mise au point » ne
tient évidemment pas : le mot
peuple n’a
jamais désigné des groupes politiques, militaires ou
para-militaires organisés ; il désigne toujours une entité bien
plus large, regroupant des individus partageant un même sol
et/ou une même langue et/ou une même référence religieuse,
politique ou nationale et/ou une même conscience d’être un
peuple.
[3]
La presse a été remarquablement discrète sur l’événement.
Saluons malgré tout le site
Rue 89, qui a relayé l’information,
et contacté Goasguen pour lui demander de s’expliquer.
[4]
Bruno Guigue est notamment l’auteur de
Proche-Orient : la guerre des mots
et Les origines du conflit
israélo-arabe, ainsi que de nombreux
articles sur le site Oumma.com. C’est ainsi qu’il est présenté
dans l’article incriminé par sa hiérarchie. Contrairement, par
exemple, à Robert Redeker, qui avait signé sa fameuse tribune
islamophobe dans Le Figaro
en tant que « professeur de philosophie », en mentionnant même
son lycée de rattachement. Ce manquement au devoir de réserve
lui avait été reproché dans un premier temps par son ministre de
tutelle Gilles de Robien, avant que ce dernier, sous la pression
politique et médiatique, ne se rallie au consensus aveuglément
pro-Redeker. Cf.
« Injures et menaces : pas en notre nom ! ».,
www.lmsi.net
Le texte de Bruno
Guigue
Les commentaires d'Oumma.com
Le communiqué de l'UJFP
Nidal. Commentaires sur
l'affaire du sous-préfet limogé
Nous sommes solidaires
de Bruno Guigue
De l’accusation d’antisémitisme comme arme de dissuasion
par René Naba (Texte de janvier 2007 mais toujours
d'actualité)
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