Opinion
L’armée silencieuse des martyrs du
Donbass
Laurent Brayard
Laurent
Brayard: D.R.
Dimanche 9 août 2015
Des milliers de civils tués,
certainement plus de 10 000 avec une
fourchette haute plus importante car il
faut comprendre dans les victimes toutes
celles tombées dans la zone ukrainienne,
celles des répressions et massacres de
Kiev dans les différentes villes au
moment de l’Euromaïdan, mais aussi au
commencement des tueries en Ukraine et
dans le Donbass orchestrées par le
régime de Porochenko. Les morts sont une
chose, mais il y aussi les blessés très
nombreux parmi les civils, peut-être le
double des morts ? Les chiffres donnés
sont manipulés notamment par les régimes
qui soutiennent Kiev et les comptages
toujours difficiles. Une partie d’entre
eux sont désormais estropiés, ils ont
perdu bras, jambes, la vue et se
retrouvent dans des situations
infernales.
La blessure
grave, l’amputation, Svetlana Kozïr l’a
connu l’an dernier. C’était le 16 août
2014, dans une offensive terrible et
menée par les forces ukrainiennes, la
poussée des bataillons de massacreurs
fut bien proche d’enfoncer un coin
mortel dans la Novorossia. L’objectif
des Ukrainiens était de couper en deux
les deux républiques autoproclamées du
Donbass. Dans ce mouvement, les
Ukrainiens s’engouffrèrent dans ce qui
devait être plus tard le chaudron et la
fournaise de Debaltsevo et Gorlovka.
Dans leurs progressions ils
rencontrèrent de fortes résistances dans
chaque localité rencontrée. Le 16 août,
ils arrivèrent devant Jdanovka, petite
ville au Nord-Est de Donetsk qu’ils
emportèrent d’assaut dans un chaos
indescriptible. Peuplée d’environ 12 000
habitants avant la guerre, la ville
paisible subit un bombardement
incohérent qui ne vise pas forcément les
forces insurgées mais plutôt les
populations civiles. Svetlana et sa
famille qui habitent un appartement au
premier étage d’un petit bâtiment se
réfugient immédiatement dans leur
intérieur. Alors qu’ils prévoyaient de
se protéger avec leurs matelas et
quelques meubles, l’obus assassin frappe
alors de plein fouet leur logement.
Dans leur
maison c’est le carnage, le mari de
Svetlana gît tué sur le coup dans les
décombres avec son petit garçon à peine
âgé de six ans. Lui aussi est mort. Mais
l’obus n’a pas fait que tuer mari et
fils, son bras gauche a été arraché par
le projectile. Elle sera sauvée par les
secours qui l’emporteront vers un poste
de secours où elle subira l’amputation
de son bras mutilé très haut sur
l’avant-bras. La jeune femme nous
raconte presque sans expression cette
scène d’horreur, elle ne versera pas une
larme. A côté d’elle se trouve Sacha
(Alexandra), sa petite fille de bientôt
11 ans ayant survécu à l’explosion sans
blessure. L’orpheline écoute sa mère
avec attention, mais bientôt les désirs
de jeu de l’enfant reprennent leurs
droits. A leur rencontre sont venus
notre équipe de tournage de
Novorossia.TV mais aussi Elena Pavlenko,
une jeune députée du Conseil de Donetsk.
La jeune politicienne enserre à plus
reprise la jeune enfant. Sur les lieux
du drame, les deux survivantes resteront
d’un courage rare et exemplaire, je ne
sais pas si au récit des événements de
cette tuerie, si elle avait touché les
miens, j’aurais pu rester stoïque. Il
est toutefois certain qu’à l’intérieur
le désarroi et une profonde tristesse
habite son âme.
Elena est
venue à leur rencontre car elle organise
avec d’autres responsables de Donetsk et
avec un important financement d’un
donateur allemand (25 000 euros) des
vacances pour les enfants du Donbass. Ce
n’est pas le premier voyage, d’autres
enfants grâce à l’aide d’activistes
slovaques ont déjà été conduits en
colonie de vacances en Crimée. Pour son
départ, Elena est venue régler elle-même
chez un notaire les papiers nécessaires
pour le départ de la toute jeune fille.
En mon nom personnel et sur les fonds
collectés auprès de centaines de gens
que j’ai rencontré entre mai et juillet
dernier, je remets à sa maman la somme
de 5 000 roubles. Je m’excuse presque de
la modeste somme, mais les regards de
Svetlana sont brillants, j’apprendrai
bientôt qu’il s’agit pour elle de 2,5
fois sa pension d’invalidité pour un
mois… C’est le cœur à la fois léger et
lourd que nous repartirons d’ici.
J’aurais eu le temps d’interroger Sacha
et de lui confier aussi l’un des christs
que je portais au cou, une croix en
argent orthodoxe cerclée de petits
rubis, « Que Dieu te garde Sacha ».
C’est la première fois de sa vie qu’elle
part en vacances aussi loin, elle sera
avec d’autres enfants, certains de ses
amis. Trois semaines de bonheur, pour
une orpheline, quel cadeau infime pour
elle qui a perdu son père.
C’est égal,
elle paraît heureuse et s’amuse de la
caméra de Vyacheslav, notre cameramen.
Sa mère est très modeste et simple,
timide et intimidée elle n’ose pas dans
sa pudeur étaler son malheur, admirable
femme. Je la questionne toutefois,
évoque l’avenir du pays, de la
Novorossia : « c’est égal que nous
soyons dans la Russie ou indépendant, ce
sera bien, mais jamais avec les
Ukrainiens, plus jamais ! ». Elle
n’ajoutera aucune autre parole, cette
femme digne, honnête et émouvante durant
les heures que nous passerons avec elle,
ne prononcera aucune parole de haine sur
les Ukrainiens, aucune invective, aucun
reproche, seulement l’impossibilité de
vivre avec ceux qui ont tué son petit
garçon et son mari. Continuera-t-on à
les tuer pour avoir choisi de reprendre
leur liberté et indépendance ? Et nous
en France continuera-t-on à verser de
l’argent pour financer les obus qui les
tueront ?
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