Un Palestinien dans le Donbass,
d’un cauchemar à un autre
Laurent Brayard
Mercredi 3 février 2016
Achmed a 42 ans, il vient de la
région de Naplouse, au cœur de la
Palestine historique. D’une famille
nombreuse comprenant sept garçons et
trois filles, il vient d’un milieu
modeste, son père était un simple
employé du bâtiment. A l’âge de 14 ans,
il prend part à la première Intifada, il
voit trois de ses frères emprisonnés
ainsi que son père et gardera un
souvenir cuisant de cette époque
violente, de l’oppression vécue par son
Peuple, par sa famille, ses voisins.
D’une guerre à une autre, histoire d’un
personnage étonnant, Achmed, Palestinien
du Donbass.
« Je suis
parti de Palestine alors que j’étais
encore étudiant, je rêvais de devenir
informaticien, alors je suis parti en
Turquie en 1994 où j’ai étudié trois ans
et puis j’ai dû travailler, j’étais
guide, cuisinier, mais je rêvais
toujours de finir mes études. J’ai
cherché des possibilités de poursuivre
mes études à un prix raisonnable, mes
parents n’étaient pas riches. C’est
ainsi que j’ai découvert qu’en Ukraine à
Donetsk, il était possible de reprendre
mes études. J’y suis arrivé à la fin de
2001 et j’ai poursuivi mon cursus en 4e
année dans une des universités de
Donetsk. Il y avait pas mal d’étrangers
venant de partout, notamment de
Palestine, avant la guerre, il y avait
ici une grosse communauté, surtout des
étudiants, plusieurs centaines,
maintenant nous sommes quelques dizaines
de résidents permanents et c’est tout,
la guerre est arrivée ».
L’homme me
raconte ensuite comment il rencontre sa
future épouse, Annia, le mariage a lieu
en 2005, leur fille Diana naît en 2006,
viendront ensuite deux jumeaux, des
garçons Saladin et Amir nés en 2010. Il
n’aura pu atteindre son rêve, après un
an d’étude à Donetsk, ses parents ne
peuvent poursuivre le financement (2e
Intifida), il doit travailler et sera
vite un employé de la restauration, un
de ses vendeurs de « Chaourma »,
une sorte de Kebab caucasien roulé dans
le traditionnel « Lavache », le
pain caucasien. Il fonde ensuite son
magasin, non loin d’une grande
université de Donetsk, l’établissement
fonctionne bien, la ville est
universitaire, les clients ne manquent
pas jusqu’à la guerre. Son épouse est de
Donetsk, elle n’a pas de famille en
Russie, tous les siens sont du Donbass
ou d’Ukraine. Elle indique modestement
avoir participé au référendum pour la
fédéralisation et avoir eu l’espoir que
le Donbass devienne une partie de la
Fédération de Russie.
« Au début
du Maïdan je n’ai pas compris le danger,
nous avons continué notre vie dans le
Donbass, notre travail, je suis moi-même
cuisinière dans une crèche. Ma mère
jusqu’à ce jour habite non loin de
l’aéroport près du pont. Quand les
avions ont commencé à nous bombarder
j’ai compris, ma sœur et mon frère sont
partis à Kiev, pour le travail, il
fallait survivre. Nous sommes des gens
simples, ce dont nous avons besoin c’est
la paix ». C’est ce que me diront
aussi Achmed et la plus grande Diana,
qui d’une voix douce mais passablement
impressionnée par ma présence n’ose pas
trop décrire ses impressions de la
guerre, de la Palestine. En a visité sa
seconde patrie avec son père cinq ans
plus tôt, mais elle garde de bons
souvenirs : « là-bas tout est beau,
les gens sont gentils » me répond
l’enfant. Achmed poursuit, il parle sans
se lasser de son pays, de la Palestine
et bien sûr d’Israël. Le traumatisme de
son vécu est palpable : « je ne veux
pas que mes enfants puissent se dire
qu’il y a la guerre en Palestine, je
leur décris mon pays comme un paradis
lumineux, les enfants ne doivent pas
connaître autre chose de cette Palestine
qui est dans mon cœur ».
Il poursuit
sa description de son enfance et de son
adolescence, il parle des siens, de ses
amis pendant l’Intifada, les
manifestants pacifiques écrivant des
slogans sur les murs et puis très vite,
les répressions, l’Armée israélienne,
les massacres, les soldats qui tirent
sur des enfants armés seulement de
pierres, à peine quelques bâtons. Un de
ses amis est tué près de lui, il
s’apprêtait à lancer une pierre, il est
touché au cou d’une balle d’arme
automatique, il raconte comment
l’adolescent s’écroule,
l’incompréhension encore dans le regard,
s’accrochant à un olivier et s’affalant
au sol dans son sang. Le reste du récit
est horrible, les arrestations
arbitraires, les soldats déboulant dans
les maisons en pleine nuit, cherchant
des armes, hurlant, maltraitant ou pire
encore, les hommes humiliés, frappés ou
abattus sans raison. La douleur est
grande dans son discours et je ne peux
que frémir à l’idée qu’il est tombé
d’une guerre dans une autre, de
l’interminable martyre de la Palestine à
celui naissant du Donbass, d’une
répression à une autre.
Achmed me
parle de l’Europe, de son rêve d’emmener
ses enfants et sa famille dans un pays
où il n’y aurait pas la guerre, je ne
peux que ressentir de la tristesse à
cette évocation, non seulement parce que
l’histoire d’Achmed est terrible et
triste mais aussi parce que l’ultime
paradis reste encore pour lui et sans
doute pour de nombreux autres, l’Europe,
l’asile européen, l’illusion meurtrière,
le piège, le mirage du paradis de
l’Union européenne. Je ne peux lui en
vouloir, je sais très bien comment les
Français, même modestes vivent. Lui-même
vit avec toute sa famille dans un
appartement à deux pièces plus une
petite cuisine. Je suis ému lorsque je
comprends qu’ils ont préparé un festin
pour moi et mon camarade basque. Ils
n’ont rien, dans une pièce s’alignent
tous les lits. Achmed loue un
emplacement pour vendre ses « chaourmas ».
Le loyer est en dollars, avec le cours
terrible de ces derniers temps, il ne
travaille plus que pour payer ses
charges et nourrit sa famille grâce à
l’aide du Fonds Rinat Akhmetov et de la
Fédération de Russie.
A part la
communauté palestinienne du Donbass,
Donetsk compte également une communauté
autrefois non négligeable de
ressortissants du Maghreb. Le Donbass
cosmopolite s’opposait depuis longtemps
avec ses dizaines de communautés et de
cultures au projet ultranationaliste de
la « Grande Ukraine », celle des
massacreurs de Kiev, de l’Ukraine
blanche et ayant pour référence,
Bandera, Hitler et tous les tueurs
sortis des égouts de l’histoire.
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