Analyse
Je suis française d’origine juive ...
Beatrice Stambul
Mercredi 27 février 2019
Je suis française d’origine juive. Ma
mère était la seule survivante de sa
famille : ses parents, grand parents,
frères et sœur, ses cousins gisent dans
des fosses communes de Bessarabie. Mes
deux parents étaient dans la résistance
juive en France et mon père a survécu à
près de deux ans de déportation à
Buchenwald. Ne venez pas m’expliquer ce
qu’est l’antisémitisme ou la Shoah. Mais
je n’autorise personne à se servir de
l’histoire des miens pour justifier ce
qui se passe en Israël : une
colonisation violente fondée sur un
racisme d’état, des crimes de guerre
dans un climat d’impunité, un apartheid
affiché contre le peuple palestinien et
un déni permanent et revendiqué du Droit
International Public.
L’instrumentalisation infâme de
l’Holocauste par le nationalisme
israélien (le sionisme) est une
manipulation que je condamne et qu’il
faut combattre. Le judaïsme, l’histoire
de mon peuple à travers les millénaires,
nous appelle au contraire à des motions
universalistes exigeant les mêmes droits
pour tous. Les manœuvres actuelles
cherchant à amalgamer le destin d’un
peuple à un des pires nationalismes,
fanatique et chauvin existant, doit être
dénoncé et combattu. Faire de mon
opinion un délit est un déni de la
démocratie.
Depuis que j’ai
posté mon message sur « moi, juive,
antisioniste », je l’ai vu beaucoup
partagé et j’ai reçu de très nombreux
commentaires. La plupart sont
favorables, avec, ce qui me surprend
toujours, des « bravo pour votre courage
», « c’est bien que ce soit vous qui le
disiez », y compris de personnes se
présentant comme juifs, ce qui montre à
quel point la parole est encore
verrouillée.
Et puis ont surgi quelques trolls
sionistes. Je passe sur les propos
racistes islamophobes qui n’appellent
pas de réponse, sur les références
bibliques qui relèvent de la mythologie
ou sur les réécritures révisionnistes ou
négationnistes de l’histoire,
qu’affectionnent les extrémistes.
Il y a « juive honteuse », « trahison »,
à quoi je peux répondre. Je n’ai
sûrement pas honte d’être juive, je le
revendique, je connais l’histoire et la
culture de mon peuple je parle le
yiddish, la langue de ma mère, je suis
une juive de la diaspora. Je suis fidèle
aux valeurs du judaïsme, alors que le
pacte Netanyahu-Orban me paraît lui, par
exemple, relever de la trahison à nos
valeurs et à notre histoire.
« Israël, seule démocratie de la région
» est un vieux refrain qui feint
d’oublier que les palestiniens d’Israël
sont des citoyens de seconde zone et que
les territoires occupés sont des zones
de non-droit où les habitants vivent un
régime d’assujettissement draconien.
« Elle ne connaît pas Israël ». Ben si,
peut-être pas les endroits chics de
Tel-Aviv mais j’ai travaillé comme
médecin pour une ONG dans les
territoires occupés ; les colonies et
les checkpoints sont des images
familières et Gaza un souvenir
cauchemardesque. L’intervenant qui dit
connaître Hébron et n’y avoir rien vu a
sûrement un problème de vision ou une
tolérance à l’intolérable, une
acceptation de l’inacceptable qui le
situe bien.
« Vous reprenez les arguments du NPA » :
Amnesty International qui condamne les
colonies illégales, l’usage de la
torture, les détentions administratives,
Human Rights Watch qui publie des
rapports sur les discriminations à
l’égard des résidents palestiniens, les
violations systématiques des Droits
Humains, les expropriations, les crimes
de guerre à Gaza ne sont pas que je
sache des organes trotskistes.
Le ton est généralement agressif,
insultant, de gens qui invectivent, mais
ne veulent pas débattre. Certains sont
aveugles à la réalité de ce qu’Israël
inflige au pays qu’il occupe. D’autres
sont dans une posture de toute-puissance
caricaturale, offensive, hostile à tout
compromis. C’est ce sionisme–là qui fait
du mal aux juifs : il ne combat pas
l’antisémitisme, il s’en nourrit.
Beatrice Stambul
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