Tribune
Gaïd-Salah : chef d’état-major ou chef
d’État ?
Lahouari Addi
Ahmed Gaïd
Salah DR
Mercredi 24 avril 2019
Le
général Gaïd-Salah parle désormais
chaque mardi pour répondre aux
revendications du mouvement populaire
qui veut un changement de régime. Il le
fait non pas en chef d’état-major mais
en chef d’État tout court. Il incarne
publiquement le leadership politique
après que le mouvement populaire ait mis
fin au factice habillage civil du
régime.
Où est Bensalah le
président par intérim ? La façade civile
du régime s’est effondrée en quelques
jours comme un château de sable,
laissant découvrir un personnel
politique d’une superficialité et d’une
médiocrité inimaginables. En l’absence
du Personnel Civil Assimilé, Gaïd-Salah
avance découvert sur le terrain miné de
la politique où désormais la langue de
bois n’est d’aucun secours. S’il faut se
féliciter qu’il ne menace plus les
manifestants comme il l’a fait avant le
22 février, il faut néanmoins regretter
qu’il continue à ignorer la
revendication du peuple : une transition
pacifique sans les responsables du
régime impopulaire. Son argument
principal est l’attachement à la
constitution alors que ses discours
contiennent des violations flagrantes de
la constitution. En effet, à quel titre
il donne des ordres à l’appareil
judiciaire pour instruire des affaires
de corruption? N’est-ce pas là une
prérogative de son collègue ministre de
la justice sur instruction du chef de
l’État ?
Puisqu’il est
soucieux de la constitution, pourquoi
porte-t-il l’uniforme alors qu’il est
formellement membre d’un gouvernement
civil ? Et n’est-ce pas une violation de
la réglementation de l’armée et du RSA
en continuant de porter l’uniforme à
l’âge de 80 ans ? Où a-t-on vu dans le
monde un officier supérieur en activité
âgé de 80 ans ? S’il y a quelqu’un qui
ne doit pas invoquer la constitution,
c’est bien Gaïd-Salah, incarnation de la
violation quotidienne de la
constitution.
Au-delà de la
légalité que la hiérarchie militaire a
plusieurs fois bafouée depuis
l’indépendance, Gaïd-Salah n’a pas
compris que c’est au mouvement populaire
d’indiquer à l’armée ce qu’il faut
faire, et non l’inverse. Pour une raison
très simple : l’armée appartient au
peuple souverain et les officiers sont
des fonctionnaires de l’État chargés
d’encadrer l’armée et de la préparer à
défendre le pays en cas d’agression
étrangère.
Le peuple n’a ni
peur de l’armée, ni est en conflit avec
elle. Il la respecte et respecte ses
officiers dont il voudrait être fier. À
travers la révolution en cours, le
peuple demande aux officiers de l’aider
à restaurer la dignité de l’État bafoué
par le clan Bouteflika. Cette révolution
pacifique va régénérer l’État, renforcer
les liens entre le peuple et son armée
et rehausser le prestige des officiers.
Gaïd-Salah doit
revoir sa copie et accepter une
transition dirigée par une instance
collégiale composée de personnalités
crédibles et compétentes qui n’ont
jamais appartenu au régime impopulaire.
Au lieu de répondre à cette
revendication claire et limpide, Gaïd-Salah
est en train de manœuvrer en arrêtant
des hommes d’affaires donnés en pâture à
la vindicte populaire.
Le but n’est-il pas
de mettre en chômage des milliers de
travailleurs employés dans les chantiers
de ces hommes d’affaires et d’affaiblir
le mouvement populaire ? Que ces
inculpations soient fondées ou non, les
conditions politiques minimales de
poursuites judiciaires, qui demandent de
la sérénité et de l’objectivité, ne sont
pas réunies pour des instructions et des
procès équitables.
Désigner
aujourd’hui des bouc-émissaires, quelles
que soient leurs responsabilités dans la
gabegie du régime, relève de la manœuvre
qui cherche à démobiliser et à diviser
le mouvement populaire. Le comble est
l’arrestation arbitraire de Issad Rebrab
qui est une opération cousue de fil
blanc : mettre au chômage des milliers
de travailleurs employés par Cevital.
Qu’on le veuille ou
non, Ali Haddad, Kouninef, Rebrab… sont
innocents jusqu’à ce que la preuve de
leur culpabilité soit établie par une
instruction et un procès équitables où
ils auront droit à la défense prévue par
la loi. Pour cela, leur arrestation est
arbitraire et relève du procès
politique.
Mais pourquoi
arrêter Haddad et Kouninef et pas Said
Bouteflika et les généraux qui les ont
enrichis et qu’ils ont enrichis ? Et
pourquoi ne pas arrêter tous les autres
personnes soupçonnées, et même
Bouteflika ? Ce que les autorités
doivent faire, c’est libérer les
personnes arrêtées et les astreindre à
l’interdiction de sortie du territoire
national.
Les Algériens ne
sont pas sortis dans la rue pour une
chasse aux sorcières ou pour des procès
politiques ; ils sont sortis dans la rue
pour un changement de régime et pour
éviter qu’à l’avenir d’autres Bouteflika
et que d’autres dirigeants ne pillent le
pays.
Ils ne veulent pas
seulement arrêter des voleurs ; ils
veulent casser le mécanisme qui permet à
des généraux de salir l’honneur des
officiers en vendant de la cocaïne et
aux ministres d’être des délinquants. Et
pour cela, il faut une transition vers
un État de droit opérée par des
personnalités crédibles qui n’ont jamais
appartenu à ce régime corrompu.
Mardi prochain,
Gaïd-Salah doit clarifier sa position
sur ces questions. Sinon, il y a des
officiers supérieurs, nés après 1962,
prêts à occuper sa fonction pour être au
service de l’État de droit, objectif de
la révolution du sourire.
*Lahouari
Addi est Universitaire
Le dossier
Algérie
Les dernières mises à jour
|