Entretien
Lahouari Addi sur l’assassinat de
l’enseignant
Samuel Paty en France : «Aucun meurtre
n’est justifiable quelle que soit la
motivation»
Vendredi 23 octobre 2020
S’exprimant sur le
dernier meurtre commis en France contre
un enseignant, Lahouari Addi explique
les origines du mal chez l’Homme. Pour
lui, le texte sacré n’est pas à
l’origine des actes criminels, mais
l’environnement et la culture qui en
sont la cause. Entretien
Reporters : J’aimerais vous faire
réagir sur le crime horrible commis
dernièrement contre un enseignant de
collège en France…
Lahouari Addi : C’est horrible comme
vous dites. C’est un meurtre, et aucun
meurtre n’est justifiable quelle que
soit la motivation. Les sociétés
humaines sont construites sur la base
d’un principe au-dessus de tous : la vie
humaine est sacrée. Seul Dieu ou la
nature y met fin. C’est conforme au
message de la Bible et du Coran. Certes,
il y a et il y a eu des crimes commis au
nom de la religion. Dans le passé,
c’était des tueries perpétrées dans le
cadre de luttes politiques où les
protagonistes légitiment leurs actions
par la foi religieuse. Mais il y a aussi
des cas d’aliénation religieuse où des
personnes sont prêtes à tuer parce
qu’elles estiment que Dieu a été
insulté. C’est le cas de ce jeune
Tchétchène qui a assassiné le professeur
de collège dans la banlieue parisienne.
Certains commentaires dans les
réseaux sociaux interpellent et
dévoilent l’intolérance d’une grande
partie des musulmans, entre autres,
l’élite, vis-à-vis de l’autre. Elles
vont jusqu’à justifier cet acte barbare,
considérant comme une défense légitime
de la foi. Car, selon elles, il est hors
de question de critiquer le prophète
Mohamed ou le Dieu des musulmans…
Il faut remettre les choses dans
leur contexte. Les réseaux sociaux ne
sont pas une bonne mesure de l’opinion
publique. Les actes de violence commis
au nom de l’islam ne sont pas approuvés
par la majorité des musulmans vivant en
Europe. Même s’ils se sentent blessés
par les caricatures du Prophète et
considèrent cela comme une agression
contre leur foi, ils ne vont pas jusqu’à
demander le meurtre. A chaque fois qu’il
y a un attentat en Europe, les musulmans
prient pour que l’auteur ne soit pas un
musulman. Il y a, cependant, une
minorité de gens qui passent à l’action
sous l’effet d’un discours médiéval et
d’un endoctrinement qui n’a aucun
respect pour la vie humaine.
Sur les réseaux sociaux, vous avez
appelé à étudier le comportement de ceux
qui passent à l’acte (des criminels) et
à chercher les sources du mal. Qu’est-ce
que vous entendez par là ?
C’est une question relative à la
philosophie morale qui s’intéresse à ce
que Kant appelle le mal radical. Le mal
radical n’a pas sa source directe dans
le texte sacré ; il a sa source dans
l’anthropologie de l’homme qui est
simultanément bon et méchant. Le croyant
obéit à Dieu, mais chez certains, il y a
cette tendance à vouloir être le préféré
de Dieu en allant le défendre contre
ceux supposés être contre le texte
sacré. Cette prédisposition, qui tue au
nom de Dieu, a pour origine l’amour de
soi, c’est-à-dire l’anthropologie
belliqueuse de l’homme. Et c’est ce que
Kant appelle le mal radical. En tuant au
nom de Dieu, on veut être parmi les
croyants les plus proches de Dieu. La
source du mal, ce n’est pas la religion,
c’est l’amour de soi. Il faut être
conscient de cette tendance
anthropologique en nous si on veut être
bons comme notre conscience nous le
recommande. La société n’est pas
composée de méchants d’un côté et de
bons de l’autre côté. La société est
composée d’hommes simultanément bons et
méchants. On dira «mais il y a dans le
Coran des versets qui appellent à tuer
les infidèles»… Mais il y a aussi des
versets qui appellent à ne pas tuer un
être humain. Le choix entre ces versets
n’est pas innocent. La religion a été
envoyée aux hommes pour pacifier leurs
relations. Certains font la guerre pour
pacifier les rapports humains. Cela est
une contradiction fondamentale. Oussama
Ben Laden aime l’humanité au point où il
souhaite que tous les hommes sur terre
se convertissent à l’islam pour entrer
au Paradis. Ceux qui refusent, il les
tue. Les pires atrocités sont commises
au nom de Dieu. Les victimes ne sont pas
considérées comme des êtres humains.
Elles sont exclues de l’humanité sous
l’accusation d’avoir pactisé avec le
Diable. C’est cela le mal radical
propagé par un imaginaire morbide.
Pensez-vous qu’il soit nécessaire,
aujourd’hui, de revoir et renouveler le
discours islamique, qui est «en crise»
déjà, à vos yeux ?
La théologie musulmane enseignée
aujourd’hui date de plus de dix siècles.
Elle est encore liée à la vieille
métaphysique qui organise la sociabilité
autour de l’idée de Dieu. Dans cette
métaphysique, l’homme est un moyen pour
servir les fins divines. La philosophie
moderne réfute cette position pour
déclarer que l’homme est une fin en soi.
Cette position remet la morale sur ses
pieds car chez les théologiens médiévaux
elle marchait sur la tête. Dieu est
mieux servi quand l’homme est considéré
comme une fin en soi. S’il y a une
preuve que Dieu existe, c’est l’homme
dans lequel il y a le souffle divin.
Aussi, il faut réorganiser la
sociabilité autour de l’homme et non
autour de l’idée de Dieu. C’est conforme
à la vision eschatologique de la Bible
et du Coran. Dans celui-ci, Dieu demande
aux anges de se prosterner face à
l’homme qui est sa création préférée. Le
Coran respecte l’être humain. Par
conséquent, ceux qui tuent contredisent
le texte sacré et montrent qu’ils ne
sont pas fidèles à l’enseignement de
Dieu.
D’après certains échos, des mesures
vont être prises prochainement par les
autorités françaises pour essayer de
freiner l’extrémisme en France. De quoi
parle-t-on au juste ?
Les actes de violence commis au nom
de l’islam fragilisent les musulmans en
Europe et donnent une image inhumaine de
l’islam. Sous la pression de son opinion
publique, le gouvernement français va
prendre des mesures drastiques contre
les sans-papiers, dont certains vont à
la mosquée pour prier. Ils vont être
arrêtés et expulsés vers leur pays
d’origine. L’assassinat de ce professeur
de collège va profiter à
l’extrême-droite qui n’attendait que
cela. Marine Le Pen doit se frotter les
mains. Les intentions de vote en faveur
de son parti vont augmenter.
Le dernier ouvrage
Lahouari Addi est la Crise du discours
religieux musulman. Le nécessaire
passage de Platon à Kant, éditions
Frantz-Fanon, 2020
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