Algérie
Ce qu’il faut négocier avec l’Etat-Major
Lahouari Addi
Dimanche 23 juin 2019
S’exprimant au nom de l’Etat-Major, le
général Gaid Salah a plusieurs fois
appelé au dialogue pour mettre fin à la
crise politique que traverse le pays.
Cet appel est en soi positif et est un
acquis du hirak qui a obligé les
décideurs à écouter la population. Des
partis politiques, des syndicats et des
associations ont accueilli favorablement
l’initiative du général Gaid Salah et
ont fait des propositions dans ce sens.
Ils ont exprimé une revendication de la
majorité de la population qui veut un
changement réel du régime devenu
obsolète aux yeux des nouvelles
générations. Cependant, les propositions
pêchent par leur formalisme et ne tirent
pas les leçons de l’échec de
l’expérience du multipartisme introduit
par la réforme de la constitution de
Février 1989. La hiérarchie militaire de
l’époque avait donné son feu vert pour
l’abandon du système de parti unique,
mais avait chargé le DRS de contrôler le
champ politique et médiatique pour
empêcher l’alternance électorale. Le
même régime s’est reproduit avec une
façade pluraliste parce que les
militants démocrates de l’époque
s’étaient satisfaits du formalisme
institutionnel et avaient négligé la
réalité des rapports d’autorité dans
l’Etat. La même erreur risque de se
reproduire si l’on suppose qu’il y a
seulement des dysfonctionnements
institutionnels qu’il faut corriger. Il
n’y a pas de dysfonctionnement dans le
régime algérien qui a sa propre
rationalité et sa propre logique. Ce que
la protestation populaire demande avec
clarté, c’est une autre rationalité
politique, c’est-à-dire le transfert
effectif de la souveraineté populaire
vers l’électorat pour toutes les
fonctions électives.
Toute proposition cherchant le
changement doit tenir compte de la
spécificité du régime algérien qui n’est
pas une dictature militaire. C’est un
régime populiste autoritaire qui prétend
protéger la société des divisions
politiques. Il n’utilise pas les unités
militaires pour réprimer les libertés
publiques et les opposants. Il utilise
une police politique qui a soumis à sa
volonté la gendarmerie, la DGSN et le
ministère de la justice. Ces trois
institutions, indispensables pour la
protection des libertés publiques,
échappent à l’autorité du président et
du gouvernement en violation de la
constitution. À travers ces trois
institutions, le Commandement militaire
étouffe la société civile et fausse la
représentativité des assemblées élues.
Si la transition de 1989 a échoué, c’est
parce que le Commandement militaire, par
le biais du DRS, a refusé toute
autonomie aux partis et aux syndicats.
C’est pour cette raison que les
propositions pour une sortie de crise
doivent être concrètes et porter sur les
rapports réels d’autorité dans le champ
de l’Etat afin que le Commandement
militaire n’absorbe pas la transition
comme il a avalé les partis après 1989.
Pour le Commandement militaire, les
partis doivent être une extension du
pouvoir exécutif et non un
contre-pouvoir institutionnel inscrit
dans l’alternance électorale.
Le mouvement populaire demande une
rupture totale avec cette conception et
non son réaménagement. C’est le sens du
slogan Yetnahaw ga3 qui signifie que le
Commandement militaire se comporte comme
une institution de l’Etat et non comme
le pilier d’un régime politique. Par
conséquent, un dialogue serein et franc
doit s’ouvrir avec l’Etat-Major pour
trouver un compromis autour des demandes
du hirak telles qu’elles s’expriment
lors des manifestations populaires. Une
lecture des pancartes des manifestants
fait ressortir les demandes suivantes :
1. Dissolution de
la police politique (DRS) et
renforcement des capacités de
l’espionnage et du contre-espionnage
pour protéger le pays des velléités
étrangères
2. Mise à la retraite automatique de
tous les officiers supérieurs âgés de
plus de 65 ans
3. Démission de tous les officiers
possédant en leur nom ou sous prête-nom
des affaires commerciales
4. Acceptation du principe que le
ministre des gouvernements futurs de la
défense soit un civil ou un militaire à
la retraite depuis au moins 3 ans
5. Transfert de la gendarmerie sous
l’autorité du ministère de l’intérieur
comme dans tous les Etats de droit
6. Permettre aux policiers d’avoir un
syndicat pour garantir l’autonomie
institutionnelle de la DGSN
7. Libération du champ médiatique privé
et public
8. Libération de tous les détenus
politiques
9. Nomination d’un journaliste respecté
par l’opinion et ses pairs à la tête de
l’Agence Nationale de Publicité
10. Fermeture des chaînes de télévision
privées qui incitent à la haine et à
l’intolérance religieuse
11. Dissolution du FLN avec une
cérémonie symbolique où les responsables
de ce parti demandent pardon pour avoir
terni l’image du FLN de Larbi Ben M’Hidi
12. Dissolution de l’UGTA avec la même
cérémonie de pardon
13. Dissolution du RND et enquêtes sur
l’enrichissement de ses membres
dirigeants
14. Dissolution de l’APN et du Sénat et
enquêtes judiciaires à l’encontre de
députés et sénateurs qui se sont
enrichis après leur « élection ».
15. Révocation de tous les magistrats et
juges dont les noms sont cités dans des
affaires de corruption
Comme le montrent
les slogans scandés lors des vendredis,
les Algériens n’ont aucun problème avec
leur armée qui continue de jouir d’un
capital symbolique très grand. Le hirak
ne s’arrêtera pas jusqu’à ce que sa
principale revendication soit satisfaite
: l’annonce d’une transition sincère et
réelle. C’est dans l’intérêt du pays,
des générations futures et de l’armée,
partie inséparable de la nation.
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