Algérie
L’armée, la politique et la société
algérienne
Lahouari Addi
Samedi 23 mars 2019
CONTRIBUTION.
Le soulèvement pacifique de la
population en Algérie marque un retour
en force de la politique qui a été
interdite par l’armée depuis
l’indépendance. Cette interdiction de la
politique ne signifie pas que l’armée
s’opposait au peuple ou qu’elle se
mettait au service de couches sociales
dominantes. L’interdiction de la
politique était en cohérence avec le
populisme hérité du mouvement national
dont l’ANP est le prolongement organique
et l’expression idéologique.
L’ANP n’est ni un
appareil hérité de la colonisation comme
chez nos voisins, ni une institution
liée aux franges supérieures de la
société. Elle est le produit du
mouvement national, prenant ses origines
dans l’ENA, le PPA-MTLD, l’OS et enfin
l’ALN. C’est pour cette raison qu’elle
est une institution chère à tous les
Algériens et c’est pourquoi les jeunes
manifestants n’expriment aucun slogan
hostile à son endroit. Au contraire, ils
crient « Peuple-Armée-Khawa-Khawa ».
Issue des
profondeurs de la conscience nationale
de la société, l’ANP est aussi porteuse
des contradictions du nationalisme
algérien qui a, pour des raisons
historiques, refusé que les Algériens
forment une société politique
conflictuelle. Pour le militaire
algérien, la politique oppose des
Algériens à des étrangers mais pas à
d’autres Algériens. La vocation de la
Sécurité Militaire sous Boumédiène, et
plus tard du DRS, était d’abord
d’empêcher les citoyens de faire de la
politique parce que cela affaiblirait
l’unité nationale. A travers le DRS,
l’armée ne cherchait pas à établir une
dictature militaire, mais à construire
un Etat apolitique. Nourrie de
populisme, l’armée est plutôt
paternaliste, se comportant comme mère
protectrice d’un Etat menacé par les
intérêts étrangers.
Mais si la négation
du politique entre Algériens se
justifiait idéologiquement sous la
domination coloniale, elle allait, après
l’indépendance, devenir un obstacle à la
construction d’un Etat de droit. C’est
pour avoir refusé l’existence de
contre-pouvoirs institutionnels,
supposés être utilisés contre le peuple,
que l’armée a réduit l’Etat à sa
charpente administrative. Elle ne
voulait pas d’institutions dans
lesquelles se résolvent les
contradictions politiques de la société.
Elle préférait coopter des élites
civiles pour gérer les affaires
administratives du pays en leur donnant
comme mission de mobiliser les
ressources humaines et matérielles et
d’assurer la justice sociale. Ce schéma
était celui du système du parti unique
d’avant 1988, mais il a été reproduit
après 1992 avec le trucage des
élections. L’objectif était de
dépolitiser la société pour renforcer sa
cohésion.
Ce modèle
politique, générateur de corruption et
de dilapidation des ressources du pays,
est devenu un danger pour la société et
son avenir. La négation du politique est
une utopie qui pousse le corps social à
se réguler par la violence. Toute
société est par essence conflictuelle
parce qu’elle est l’articulation
d’intérêts antagoniques divers. La
politique est l’espace de résolution de
ces antagonismes idéologiques, sociaux
et économiques qui, pour assurer la
concorde nationale, doivent se résoudre
dans le cadre d’institutions
consensuelles : élections libres,
autonomie de la justice, indépendance
des syndicats, liberté d’expression,
etc.
Les manifestants
d’aujourd’hui visent à enlever à l’armée
le pouvoir de désigner le président et
de choisir pour eux les députés. Ils
réussiront parce que le développement
historique de la société l’exige. Le
refus du politique est la principale
source de la corruption. En ne
reconnaissant pas l’autonomie du
politique et le droit à la société de
désigner ses propres représentants, le
régime bloque l’évolution vers l’Etat de
droit.
Le populisme hérité
du mouvement national n’a pas été
dépassé malgré le renouvellement des
générations d’officiers dans l’armée. La
prérogative de celle-ci à désigner le
président, sous l’habillage d’élections
truquées, est en décalage avec
l’évolution de la société algérienne qui
aspire à ce que ses institutions soient
représentatives. Mais la dialectique de
l’histoire a rattrapé le régime qui a
ignoré une règle de base de la science
politique : tout système politique tire
sa cohésion soit du charisme du leader,
soit de sa légitimité électorale. En
désignant Bouteflika comme président
alors qu’il n’a ni le charisme ni les
compétences d’un chef, les généraux ont
précipité la fin du régime.
Dans la crise
actuelle, deux acteurs politiques se
font face : la hiérarchie militaire et
la société qui est dans la rue. La seule
solution est que l’armée, comme l’a
préconisé Djamel Zenati au Forum de
Liberté, négocie avec la rue qui veut un
nouveau régime. Elle ne veut pas une
nouvelle élite civile désignée par le
DRS. Il faut espérer que les officiers,
tout en préservant l’unité de l’armée
acceptent, sans ruse et sans violence,
que l’Algérie passe à une autre phase de
son histoire.
*Lahouari Addi est
Universitaire
Le dossier
Algérie
Les dernières mises à jour
|