Algérie
Interview parue dans le quotidien El
Khabar
du 7 Juillet 2019
Lahouari Addi
Lundi 8 juillet 2019
1. Après trois mois de de hirak,
qu’est-ce qui a été réalisé et qu’est-ce
qui reste à faire ?
Pour répondre à
cette question, il faut prendre du
recul. Le principe résultat est d’avoir
fait prendre conscience à l’élite
militaire qu’elle a échoué dans sa
mission de créer un Etat moderne basé
sur le droit. Elle avait créé la SM,
devenue DRS, pour que l’Etat serve le
peuple. Le résultat est un Etat coupé de
la population et qui a sombré dans la
corruption. C’est la cause du
soulèvement populaire pacifique qui veut
un Etat qui serve le pays et non des
intérêts privés. Je crois que les
militaires ont compris cela et
aujourd’hui, ils cherchent à sauver les
meubles, c’est-à-dire faire élire un
président qui efface de la mémoire leur
responsabilité historique dans le bilan
de 57 années d’indépendance.
2. Où
en-est-on aujourd’hui ?
L’élite militaire
reconnaît qu’elle a désigné un personnel
civil cupide et incompétent qu’elle est
en train d’envoyer en prison. Elle
demande à la population de lui donner
une deuxième chance, et le hirak refuse.
La population ne veut plus d’élections
truquées.
3. Vous
êtes en train de dire que les militaires
ont désigné des civils corrompus. Est-ce
que les militaires ne sont pas touchés
par la corruption ?
Aucun civil ne peut
être impliqué dans une affaire de
corruption s’il n’est pas protégé par un
général. Pour être ministre, il faut
être parrainé par un général. Le parrain
de Ouyahya, c’était Tewfik Médiène, le
parrain de Sellal, c’était Lakhal Ayat,
ainsi de suite. Les protagonistes des
affaires Khelifa, Khelil, autoroute
est-ouest, sonatrach I et II, etc. ont
tous été protégés par des officiers
supérieurs. Si vous détournez de
l’argent public et que vous n’avez pas
un général qui vous protège, vous allez
en prison. Cela ne signifie pas que tous
les officiers supérieurs sont corrompus,
mais le système algérien est générateur
de corruption.
4. Est-ce
que le hirak va continuer ? Il y aura un
moment où il va s’essouffler.
Le hirak va
certainement continuer au-delà de
septembre-octobre. Il a été victorieux
jusque-là. Il a empêché le ridicule 5èm
mandat, il a envoyé en prison des
ministres, il a rendu impossible la
tenue d’une élection présidentielle
prévue le 4 juillet, il a interdit aux
ministres et aux walis de se rendre sur
le terrain, etc. C’est une vraie
révolution. C’est la révolte des
gouvernés contre des gouvernants
illégitimes. Plus important encore,
c’est que le gouvernement n’arrive pas à
organiser l’élection présidentielle ni
dans trois mois ni dans dix ans si les
revendications populaires ne sont pas
acceptées. L’élite militaire est en
train d’apprendre qu’on ne gouverne pas
sans légitimité.
5. Est-ce
qu’il y a une contre-révolution qui veut
faire échouer le hirak ?
Pour parler de
contre-révolution, il faut qu’il y ait
des gens qui déclarent être contre le
hirak. Tout le monde dit soutenir le
hirak mais il y a des gens qui veulent
le saboter en l’infiltrant. Je pense
qu’au début, les hommes du drs de
Médiène étaient pour le hirak et
lançaient des slogans hostiles à Gaid
Salah. Mais ils se sont rendu compte que
leur intérêt est avec Gaid Salah. La
guerre entre l’EM et les anciens du drs
(la ‘issaba) a pris fin parce qu’ils ont
des intérêts communs. Cela est visible
sur les réseaux sociaux. L’EM est en
train de créer des sites électroniques
qui attaquent la protestation populaire.
Sur facebook, il y a de plus en plus de
mouches électroniques. Ce sont des
mouches de Tewfik qui se sont ralliés à
Gaid Salah pour faire échouer le hirak.
6. Si les 3
B partent, le hirak cessera-t-il ?
La protestation
populaire s’est cristallisée sur les 3
B, mais c’est un rejet du système dans
son intégralité. La protestation ne
s’arrêtera qu’avec le changement du
régime. Les 3 B ne sont que la partie
visible de l’iceberg.
7. La
prolongation de la présidence
intérimaire est-elle constitutionnelle ?
La constitution ne
prévoit pas la situation de crise que
vit actuellement l’Algérie. Elle prévoit
un intérim de 3 mois après la démission
du président, mais pas au-delà. Après le
9 juillet, tous les responsables qui
occupent une fonction dans l’Etat n’ont
plus la légitimité d’exercer l’autorité
publique. L’autorité du président est la
couverture légale de l’action de
l’administration de l’Etat. S’il n’y a
pas de président, il n’y a plus de
légalité. Des pays comme la Suisse,
l’Autriche, les Etats-Unis, la France…
seraient paralysés dans cette situation.
En Algérie, ce ne sera pas grave parce
que la constitution n’a pas une grande
importance. La maladie de Bouteflika,
alors qu’il est resté président, montre
que le pouvoir en Algérie n’a pas de
base constitutionnelle. La constitution,
c’est juste pour la forme. C’est
pourquoi le discours de Gaid Salah sur
le respect de la constitution n’est pas
convainquant. Après le 9 juillet, le
régime algérien perdra le peu de
légitimité qu’il avait, et c’est ce qui
rend agressif l’EM qui multiplie les
arrestations.
8. Comment
voyez-vous le discours de Gaid Salah et
son approche du hirak ?
L’EM a été surpris
par la protestation populaire du 22
février parce qu’il n’a jamais considéré
que les Algériens étaient politisés.
L’EM a chargé le drs pour gérer le champ
politique et imposer les élus qu’il
veut. Il a toujours eu une conception
policière de la politique. Le drs n’est
pas un service qui mesure l’opinion
publique, mais un service qui cherche à
changer l’opinion publique. Cela
fonctionne pendant 20 ou 30 ans mais pas
tout le temps. La principale mission du
drs est de mater les partis de
l’opposition et les syndicats soit par
la répression soit par la corruption. Le
drs pensait imposer comme d’habitude le
5èm mandat, mais l’offre était trop
grotesque pour être acceptée par la
population.
9. Mais le
drs a été dissout en 2015 ?
Le drs n’a pas été
dissout en 2015 ; il été restructuré
parce que ses responsables ont monté des
opérations sans l’accord de l’EM. Les
militaires contrôlent toujours les
ministères, la presse, les partis, les
syndicats, etc. Le remplacement de
Bouchareb par Djemai au FLN ou celui de
Sidi Said à l’UGTA n’est pas le fait des
militants, mais du drs sur ordre de
l’EM.
10.
Pensez-vous que l’institution militaire
va s’éloigner du champ politique ?
L’institution
militaire est éloignée du champ
politique. Un colonel qui dirige une
unité opérationnelle ne fait pas de
politique. Par contre, le commandement
est impliqué dans la politique. Les
généraux se sont mis au-dessus des lois,
ce qui a entraîné la corruption parmi
les officiers supérieurs. L’image de
l’armée a été ternie. Je crois que la
nouvelle génération d’officiers a
compris mais il reste à mettre à la
retraite les officiers des générations
précédentes. L’armée algérienne a besoin
d’un chef militaire incontesté pour
rendre le commandement militaire
compatible avec l’Etat de droit. L’armée
est compatible avec l’Etat de droit, pas
le commandement militaire trop habitué à
s’intéresser à l’ugta, au rnd, aux
syndicats autonomes, à Louiza Hanoune,
etc.
11.
Pourquoi l’institution militaire
est-elle contre l’emblème amazigh ?
C’est normal que
l’armée défende l’idée d’un seul drapeau
qui symbolise l’unité nationale. Surtout
que ce drapeau est pour les Algériens le
symbole de l’indépendance acquise après
de lourds sacrifices. Quant à l’emblème
amazigh, il devrait symboliser les
originaires berbères de l’Afrique du
Nord et être proposé au niveau des Etats
pour être l’emblème de l’Afrique du
Nord. Les pays européens ont l’emblème
de l’Union Européenne à côté du leur,
pourquoi pas l’emblème amazigh à côté du
drapeau national ? Mais cela doit se
faire par la loi et par accord avec les
autres Etats du Maghreb.
12.
Pourquoi le mot trahison apparaît dès
qu’on critique l’institution militaire ?
Le mot trahison est
utilisé pour discréditer l’adversaire en
l’accusant d’être contre la nation.
Aucun Algérien n’est contre sa nation ;
il y a des divergences politiques entre
Algériens et c’est normal. Pour faire
passer leurs points de vue, les
protagonistes du conflit exploitent le
registre du nationalisme et accusent les
autres de dénigrer l’armée qui est le
rempart de la nation. Personne ne
critique l’institution militaire et les
manifestants crient chaque vendredi
peuple-armée khawa-khawa. Par contre, il
y a une critique légitime des immixtions
politiques du commandement militaire
concernant l’Etat. Les généraux ne sont
pas critiqués sur leur gestion militaire
du ministère de la défense ou de
l’armée, ils sont critiqués pour leur
immixtion dans les affaires politiques.
Dans un Etat de droit, ils risquent
d’être traduits devant un tribunal
militaire. Vous vous imaginez un
militaire américain ou suisse se mêler
des élections ? C’est la radiation sur
le champ.
13. Le FLN
doit-il être mis au musée ?
A partir du moment
où le multipartisme a été légalisé, le
FLN aurait dû être dissout. Le FLN ne
peut pas entrer en compétition avec
d’autres partis car il appartient à tous
les Algériens. N’est-ce pas honteux que
le FLN de Larbi Ben M’Hidi soit dirigé
par un homme comme Ould Abbès ? C’est
une insulte aux martyrs.
14. Faut-il
aller aux élections d’abord ou vers la
transition ?
Il y a deux
tendances ou deux offres. L’une préfère
des élections présidentielle et
législative dans un délai raisonnable et
l’autre insiste sur une période de
transition dirigée par une présidence
collégiale et un gouvernement de
compétences nationales. La première est
celle de l’Etat-Major qui dit que la
transition sera menée par un président
qui aura la légitimité électorale pour
appliquer les réformes nécessaires. La
seconde dit que si des élections sont
organisées dans deux ou trois mois,
elles seront truquées et c’est un autre
Bouteflika que les militaires feront
élire.
15. Comment
voyez-vous les arrestations des
personnalités du régime ?
Les arrestations de
Tewfik, Tartag et Said Bouteflika ont
été opérées par l’EM parce qu’il a
considéré que ces personnages
complotaient en mettant au point un
scénario de sortie de crise sans le
consulter. L’EM a eu aussi des
informations selon lesquelles des hommes
de l’ancien drs de Tewfik étaient parmi
les protestataires du hirak. C’est ce
que Gaid Salah appelle al ‘issaba. Ce
sont les fidèles de Médiène qui ont été
écartés du circuit du partage de la
rente pétrolière et ils ont la haine de
Gaid Salah. Les arrestations des
ministres et hommes d’affaires sont
destinées à apaiser la colère des
Algériens. L’EM leur dit : je satisfais
vos revendications anti-corruption et en
contrepartie rentrez chez vous. J’ai mis
en prison Moussa el Hadj et je vais le
remplacer par Hadj Moussa. La population
répond : nous ne voulons ni Hadj Moussa
ni Moussa el Hadj. Nous voulons que vous
partiez tous. Tatnahaw ga3. Quant à
Lakhdar Bouregaa, il a été arrêté parce
qu’il a discrédité la réunion du 6
juillet en affirmant que les militaires
ont déjà choisi le prochain président.
L’EM tient à cette réunion pour faire
accepter l’idée de l’élection
présidentielle sans conditions. .
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