Russie politics
Suspension olympique de la Russie : bis repetita,
les mêmes causes entraînent
les mêmes effets
Karine Bechet-Golovko
Un drapeau
russe pendant les JO de Sotchi en 2014.
—
David J. Phillip/AP/SIPA
Jeudi 28 novembre 2019
A l'approche des JO
de 2020, le disque rayé de la
disqualification de la Russie se remet à
tourner dans les rangs de l'Agence
mondiale antidopage (AMA), cette fois-ci
le CIO ne prendra pas le risque
politique de défendre le bon sens, il
n'en a plus la force. La Russie doit
être suspendue pendant 4 ans, pour tous
les évènements sportifs (pas seulement
les JO); l'hymne, le drapeau et les
officiels doivent rester dans le
caniveau des relations internationales;
seuls les sportifs choisis par les
instances internationales auront la
chance de participer à la grande fête
atlantiste des JO - s'ils oublient leur
pays. Si la Russie veut avoir une chance
de ne pas définitivement disparaître de
la scène sportive internationale, il est
à espérer que sa réaction dépassera le
cadre du formalisme juridique stérile,
dans lequel elle s'était enfermée il y a
4 ans, avec les résultats désastreux que
l'on voit aujourd'hui. Le Comité exécutif
AMA va se réunir à Paris le 9 décembre
pour décider de l'avenir sportif de la
Russie. Ni plus, ni moins. Mieux que la
dernière fois, mais pourquoi se gêner
puisque cela avait fonctionné sans
accrocs majeurs, cette fois-ci la Russie
doit être suspendue directement pour 4
ans et pour toutes les manifestations
sportives, ce qui peut concerner
l'organisation de match de l'Euro de
foot - sauf s'il n'a pas
matériellement ou juridiquement possible
de faire autrement. La marge de
manoeuvre est très large. Quant aux
sportifs, on reprend la même règle
spécifique aux sportifs russes, leur
imposant de n'avoir jamais été touché
par une affaire de dopage. Ce qui
concerne la fabuleuse liste de
Rodchenko.
Pourquoi ? Alors
que l'AMA reconnaît que RUSADA
fonctionne normalement, des données
erronées auraient été transmises :
"«Les
données de Moscou ne sont ni
complètes ni entièrement authentiques»,
a fustigé l'agence dans son communiqué.
Or, la remise de ces données était une
condition fixée par l'AMA pour lever de
précédentes sanctions contre l'agence
antidopage russe (Rusada), au coeur d'un
système de dopage institutionnel entre
2011 et 2015 déjà à l'origine d'un vaste
scandale. Selon le communiqué de l'AMA,
le CRC soupçonne même que des «preuves
fabriquées de toutes pièces» ont pu être
implantées dans la base de données pour
faire accuser l'ancien patron du
laboratoire antidopage de Moscou,
Grigori Rodchenkov, aujourd'hui réfugié
aux Etats-Unis, où il a été l'un des
témoins clés pour mettre au jour le
système de dopage russe."
Rodchenkov est bien
la figure-clé de toute cette histoire.
Rappelons quand même que ce témoin
miracle a été poursuivis en Russie (voir
notre texte ici), avant son départ
pour les Etats-Unis, justement pour
avoir falsifié les données des sportifs
contre rétribution. Dans son nouveau
pays, il travaille à nouveau dans son
domaine de prédilection et sert de
témoin-clé contre la Russie en échange
d'une totale immunité. Or, dans les
données transmises par la Russie,
certains éléments sembleraient démontrer
la culpabilité de Rodchenkov. Ce qui,
pour les commanditaires de cette
histoire, est absolument inacceptable,
car cela reviendrait à faire tomber
toutes les accusations contre la Russie.
Et comment alors expliquer que c'est la
victime, la Russie et ses athlètes, qui
doivent payer pour les infractions
commises par Rodchenkov, lui protégé par
les Etats-Unis? Du coup, l'on apprend
que l'AMA est persuadée que
quelqu'un a volontairement introduit ces
fausses données. Soit. Seulement, l'on
ne sait ni qui, ni quand, ni comment. En
général, lorsque vous accusez, vous avez
la charge de la preuve. Ici, il est
demandé à la Russie de prouver ce
qu'elle n'a pas fait. L'absurde n'a plus
de limites. Encore une fois. Au mois,
cette fois-ci, le fantasme du FSB n'est
pas (encore) mis en avant.
Il est vrai que
déjà précédemment, les accusations
fondées sur les dires du Sieur
Rodchenkov contre les athlètes ont très
largement été cassées par le Tribunal
sportif, qui par ailleurs n'a pas
reconnu le dopage d'Etat (voir
notre texte ici), ce qui n'a pas
empêché ce si petit monde de lancer une
enquête à charge, donc forcément
indépendante, et de faire déclarer par
le CIO, de manière totalement ubuesque
que :
« Ne pas être
sanctionné ne confère pas le privilège
d’une invitation »
Autre problème
juridique : pourquoi les sportifs russes
doivent-ils être soumis, en violation
flagrante du principe d'égalité, à des
conditions plus strictes de
participation aux JO que les sportifs
des autres pays? Dans ce cas, tous les
sportifs ne doivent pouvoir participer
que s'ils n'ont jamais été
touchés par une affaire de dopage. Ce
qui va permettre d'alléger
significativement les équipes
américaines. Car finalement, dans cette
configuration, la Russie n'a pas la
maîtrise de la composition de son
équipe, ce qui permet à ces instances
partisanes de sélectionner les sportifs
en fonction de leur bon vouloir - et des
risques concurrentiels qu'ils
présentent. Plus tard, ils pourront
obtenir gain de cause devant le Tribunal
sportif, mais de toute manière trop tard
comme l'expérience l'a montré. Ici un
autre problème se pose encore : les
sportifs accusés à tort par Rodchenko et
blanchis par le Tribunal sportif à
l'époque sont-ils considérés comme ayant
été touchés par des affaires de dopage ?
Si non, ce qui devrait être le cas par
respect du caractère obligatoire des
décisions de justice ayant l'autorité de
la force jugée, que faire de cette
liste, si largement désavouée par la
justice ? Le renversement de la
présomption d'innocence est en l'espèce
quelque peu surprenant - dans le cadre
d'une analyse juridique.
Si juridiquement,
l'affaire est plus que contestable,
politiquement elle est évidente : le
conflit entre le monde atlantiste et la
Russie s'intensifie et puisque la
bataille a été remportée par les
atlantistes il y a quatre ans, le
terrain est déjà prêt pour continuer sur
la même ligne. Dans un monde où les
combats se mènent parallèlement et sur
le terrain de la communication, et sur
le terrain politique, ces attaques sont
fondamentales. (concernant
la dimension politico-communicationnelle
de cette affaire il y a 4 ans, voir
notre texte ici). Et il est
surprenant que la Russie n'ait pas mieux
dissocié les deux plans dans la gestion
(controversée) de cette crise.
L'Agence
antidopage américaine donne le la
: il faut interdire tous les
sportifs russes - puisqu'ils sont
Russes. Si elle pouvait en profiter pour
rayer la Russie de la surface de la
Terre, ce serait encore mieux, mais pour
l'instant elle ne peut pas le dire haut
et fort. Encore.
"Russia continues
to flaunt the world’s anti-doping rules,
kick clean athletes in the gut and poke
WADA in the eye and get away with it
time and time again. (...) WADA must get
tougher and impose the full restriction
on Russian athlete participation in the
Olympics that the rules allow. "
Le problème est
bien politique. Le CIO a déjà annoncé
soutenir les sanctions les plus lourdes.
Evidemment, il sera possible contester
la décision devant le Tribunal sportif.
Mais si cette fois-ci encore, la Russie
s'enferme dans une approche
technocratique, elle va perdre. Comme
cette nouvelle attaque le montre, il n'y
a aucune raison pour que cela s'arrête.
Bien au contraire. Il y a un conflit. Un
conflit essentiel, concernant la vision
du monde atlantiste, qui n'est pas
totalement partagée par la Russie.
Certains, notamment au
Conseil de la Fédération, commencent
à en saisir la dimension. Quand
d'autres, plus directement le monde
sportif, reste dans des illusions
bien confortables, selon lesquelles ils
ne seront peut-être pas concernés
directement par les sanctions.
Traduisons le
discours : vous pouvez sanctionner la
Russie, comme Etat, mais nous,
laissez-nous participer aux JO, on
acceptera toutes les humiliations - nous
n'avons de toute manière plus aucun
amour-propre. Ni amour du pays,
d'ailleurs, au-delà des grandes
déclarations pseudo-patriotiques et des
larmes à l'oeil de circonstance. Et en
effet, la Russie non seulement a laissé
la dernière fois les sportifs participer
sous la bannière olympique, avec le
drapeau olympique, l'hymne olympique,
les officiels olympiques, mais en plus
elle a financé leur séjour et les a
accueilli en héros. Alors pourquoi se
priver.
Si elle réitère
aujourd'hui cette erreur stratégique, et
le clan atlantiste compte bien sur
l'implantation réussie du culte de
l'Individu-Roi pour cela, elle pourra
tirer un trait sur son existence
olympique. L'on peut faire une erreur
une fois, ensuite c'est un renoncement.
Les pauvres
athllètes me direz-vous ? Ils ne sont
pas responsables des conflits politiques
qui touchent les pays ? Soit. Dans ce
cas, si faute de morale (ce qui n'a plus
sa place aujourd'hui) ils n'ont pas même
la reconnaissance du ventre, ils peuvent
pour aller le coeur léger participer aux
JO ou ailleurs rembourser l'Etat, dont
ils se dissocient, des investissements
faits (entraineur, équipent, soins,
formation, infrastructure, déplacements
...), puisque sauf erreur de ma part,
ils ne se sont pas entraînés seuls au
fond de leur garage, ce n'est donc pas
leur victoire personnelle. Mais bien
celle de toute une équipe, organisée,
prise en charge, par l'Etat.
Si la Russie
reconnaît bien le conflit, ici comme
ailleurs elle hésite à l'assumer, ce qui
non seulement l'empêche de capitaliser
sur le plan politique des victoires
situatives puisqu'elle ne tient pas ses
lignes jusqu'à leur aboutissement, mais
lance des signaux interprétés comme de
la faiblesse par le clan adverse. Elle a
accepté les sanctions, a changé son
agence antidopage, a non seulement
réalisé toutes les exigences de l'AMA,
mais l'a déclaré publiquement. Bref,
elle a joué selon les règles de
l'adversaire - et évidemment ne peut en
sortir gagnante.
La leçon doit être
tirée.
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