Russie politics
Sanctions américaines: la réponse
de la Russie
sera-t-elle conjoncturelle ou
stratégique ?
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 27 juillet 2017
Après l'écrasante victoire des partisans
d'un durcissement des relations entre
les Etats Unis et la Russie lors de
l'adoption par le Congrès, quasiment à
l'unanimité (419 pour, 3 contre), du
projet de loi de sanctions contre la
Russie, d'un niveau inédit depuis la
Guerre froide, la Russie se doit de
réagir. Chacun le comprend. Mais
comment, les positions divergent, les
intérêts aussi.
Sans grande surprise, le Congrès
américain a adopté un
projet de loi sans précédent
protégeant le domaine du gaz de schiste
en bloquant la coopération avec les
entreprises russes lorsque celles-ci
participent à plus de 33% dans ces
projets, limitant la fourniture de
technologie et de services nécessaires à
la construction des gazoducs (coût
unitaire inférieur à 1 million de $ et à
moins de 5 millions $ sur les 12
derniers mois), disposant que les
compagnies américaines ne peuvent pas
investir plus de 10 millions $ sur une
période de 12 mois dans l'ouverture de
capital des entreprises publiques russes
si cela sera avantageux pour des
fonctionnaires russes ou des membres de
leurs familles, que les banques
américaines ne peuvent pas financer à
plus de 10 millions $ sur une période de
12 mois les personnes physiques et
morales figurant sur la liste des
sanctions, etc. En plus de cela,
évidemment, les mesures prises contre la
mission diplomatique russe aux Etats
Unis (confiscation de biens immobiliers
et expulsion de 35 diplomates) ne pourra
être levée sans autorisation du Congrès
- autrement dit ne sera pas levée.
Comment la Russie
peut-elle réagir et comment
veut-elle réagir? Ces questions sont
particulièrement délicates, car les
réponses apportées ne doivent pas non
plus porter atteinte aux intérêts
nationaux. L'important est ici de
trouver un équilibre entre la
démonstration de force devant conduire
la partie adverse à mettre un terme à la
surenchère et la rationnalité évitant
toute réaction émotionnelle
contre-productive.
Comme l'a déclaré
le président du comité du Conseil de la
Fédération pour les relations
internationales, K.
Kossatchev, si la Russie avait peu
d'illusion quant à la normalisation des
relations avec les Etats Unis, cet
espoir même est mort avec l'adoption de
ce projet de loi, la situation ne
pouvant que continuer à se détériorer.
Une réponse doit être apportée une fois
le texte de loi adopté. Elle ne doit pas
forcément être symétrique, mais doit
être précise pour toucher les intérêts
américains où cela leur fait mal. Sur un
plan stratégique, le sénateur insiste
sur le fait que cette position
anti-russe du Congrès et de Sénat ne
changera pas rapidement et que le
Président Trump n'arrive manifestement
pas à être maître de la situation.
Egalement sans illusion, il est possible
de tenter une alliance conjoncturelle
avec les pays de l'UE, qui sont touchés
directement par ces sanctions, tout en
ayant bien conscience qu'ils ne
deviendront pas les alliés de la Russie.
Finalement, pour la Russie, le moment
est venu de s'occuper plus sérieusement
de son développement intérieur, afin de
réaliser l'énorme potentiel dont elle
dispose.
Cette position est
une position de bon sens. Les
mesures symétriques possibles
sont limitées, elles concernent
essentiellement la mission
diplomatique américaine à
Moscou. Le vice-ministre des affaires
étrangères russe, S.
Riabkov, a déclaré que les Etats
Unis ont choisi la voie de l'ennemi, il
est donc temps de les prendre pour ce
qu'ils sont, à savoir une source de
danger pour la Russie. A ce sujet, le
ministère des affaires étrangères russe
s'était déjà prononcé, avait avancé la
possibilité d'une confiscation de biens
immobiliers mis à la disposition de la
mission diplomatique américaine à
Moscou, ainsi que de la réduction du
nombre de ses membres, sans parler d'une
expulsion de 35 diplomates américains.
Le
porte-parole du Kremlin, de son
côté, rappelle que le Conseil de la
Fédération peut discuter des mesures à
prendre, mais ce sera au Président de
prendre ces décisions in fine. Il ne
faut pas se presser et attendre de voir
si la loi sera adoptée et signée par D.
Trump et réfléchir calmement, ne pas
agir sous le coup de l'émotion.
Depuis le temps que
les sanctions se prennent contre la
Russie, il est a espérer qu'elle a eu le
temps de réfléchir à une réponse. Mais
il est vrai que son domaine de réaction
est très limité, à la fois pour des
raisons objectives (elle dispose de
moins de moyens de réponse sur les plans
financier et économique) et idéologiques
(l'emprise grandissante des intérêts
sectoriels sur l'intérêt général).
La Russie peut
jouer à l'international en
conditionnant son soutien sur différents
dossiers, où elle est incontournable,
comme pour la Corée du Nord, mais ici
aussi ses possibilités sont limitées.
Par exemple, sur les dossiers iranien,
syrien ou ukrainien, de toute manière,
elle a une position diamétralement
opposée à celle des Etats Unis et de
leurs états satellites, dont les pays de
l'UE fait partie. Elle peut répondre en
bloquant la coopération dans le
domaine spatial, notamment en
refusant de vendre la technologie dont
les Etats Unis ont besoin pour leurs
fusées, mais elle touchera alors aux
intérêts économiques des géants russes
du domaine. Et le business est devenu
sacré. De ce point de vue là, une
réduction des échanges commerciaux
en réponse aux sanctions américaines
serait une surprise, trop d'intérêts
sont en jeu.
Pour l'instant, la
volonté politique d'une réponse forte et
dissuasive apparaît enfin dans les
milieux politiques, mais il est évident
qu'elle se heurte à des intérêts
sectoriels et personnels. Ce sera
finalement un bon test pour voir si la
Russie, qui est sortie de la période
post-soviétique, a réussi à se
consolider autour d'un intérêt public
général. Ce sera l'occasion de voir si
la Crimée était un coup d'éclat
répondant à un intérêt conjoncturel ou
s'il y avait une vision stratégique.
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