Russie politics
L'Europe en pleine chasse à l'espion
russe
ou la construction de l'image de
l'ennemi
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 27 février 2019 Serait-ce le
calendrier électoral de l'Union
européenne qui produise des effets
"collatéraux" ou bien une dangereuse
tendance ... toujours est-il que ces
derniers mois sont marqués par
"l'espionnage", des accusations qui
pleuvent de toute part contre des
militaires ou citoyens de pays
européens, soupçonnés de travailler pour
la Russie, même le directeur du
contre-espionnage belge a été mis à
pied. Soit la Russie est réellement
devenue ce pays tout-puissant que l'on
veut à tout prix nous vendre, et des
questions se posent sur la dégradation
de la capacité des pays européens "unioneuropéanisés"
à assumer leur défense nationale, soit
la propagande tourne à plein régime pour
bien ancré dans l'opinion publique
l'image de l'ennemi - la Russie,
terrible, à nos portes. Bouhhh!
Tremblez, citoyens!
La fameuse
"ingérence russe" est le leitmotiv
accompagnant la déchéance de la
(culture) politique européenne. Si la
"bonne politique" impopulaire et
anti-nationale menée dans les pays
européens ne fonctionnent pas, c'est la
faute de la Russie. Si les "bonnes"
personnes ont du mal à se faire élire,
c'est la faute de la Russie. Si les gens
manifestent en masse, c'est la faute de
la Russie.
Le problème de
crédibilité de cette rhétorique,
passablement infantile, oblige à la
renforcer par des faits. Le fait est ce
mur incontestable contre lequel
l'interprétation doit se fracasser. Il
faut du fait. Un bon fait bien
solide. Le fait Skripal tourne à la
farce, "l'agression russe contre des
citoyens britanniques" n'est défendue,
en dehors des politiques, que par les
journalistes. Mais l'espionnage est un
bon fil conducteur, il correspond assez
bien à la fantasmagorie construite
autour de la Russie. Tous les diplomates
russes sont des espions, à la différence
bien connue de leurs collègues
étrangers, ils cherchent les secrets
pour ensuite les retourner contre ces
pays, pour les manipuler. Bref, ce sont
des méchants.
Bref, il faut des
espions. L'expulsion de diplomates
russes a déjà eu lieu (voir
notre analyse ici), la confiscation
extrajudiciaire, donc politique (lire -
illégale) de propriétés immobilières
appartenant à la Russie a également eu
lieu aux Etats-Unis (voir
notre texte ici), l'on ne peut
logiquement rester sur cette voie sans
finalement provoquer une réelle rupture
des relations diplomatiques. Or, dans un
monde global, l'on ne peut se permettre
de perdre un territoire. Il faut donc
attaquer indirectement : des espions
"locaux" travaillant pour cette vilaine
Russie. Voici le danger : elle
s'infiltre et recrute. Cette approche
permet de peaufiner l'image de l'ennemi,
sans donner prise à une rupture. Une
guerre soft, qui s'accélère,
calendrier électoral obligeant ou
simplement tendance, presque naturelle
découlant de la montée du sentiment de
rejet qu'inspire le système dominant.
En Autriche,
l'officier autrichien, qui avait été
interpelé en novembre 2018, vient, sur
décision du tribunal, de voir sa
détention préventive prolongée jusqu'en
mars. Le ministre russe des Affaires
étrangères, Sergueï Lavrov, s'était déjà
prononcé sur la question, regrettant de
voir des citoyens accusés sans preuves.
L'accusé dément les faits.
A Tallinn, un
militaire estonien et son père, à la
retraite, ont été accusés en septembre
2018, d'espionnage en faveur de la
Russie. Le fils a été accusé par le
procureur d'avoir mené cette activité
pendant 10 ans et le père pendant 5 ans.
Ils furent condamnés à un an et huit
mois. L'on remarquera que la peine est
... très légère pour de la haute
trahison ... Le jugement a été confirmé.
Les accusés démentent les faits.
En
Belgique, ce n'est rien moins que le
directeur du contre-espionnage belge qui
est accusé d'avoir fait passer des
informations à un agent double en Serbie
(n'oublions pas que la Serbie est
absolument infréquentable), qui lui
travaillerait pour la Russie. Amen. Peu
importe que le directeur du
contre-espionnage belge dément. Il a été
démis de ses fonctions.
Aux dernières
nouvelles, un civil a été interpelé en
Suède par la police spéciale, il
travaille dans le domaine des hautes
technologies. Dans son cas, tout est
encore très flou. Il est soupçonné
d'espionnage pour la Russie, après avoir
été recruté par un espion russe
travaillant sous couverture de
diplomate. Evidemment, que des
diplomates russes peuvent-ils faire
d'autres ...
Quelques remarques
en passant. Si l'on part du fait que ces
accusations sont vraies, malgré le
manque de preuves, les démentis des
personnes concernés et l'étrange
faiblesse de la peine qui a été
prononcée, soit, disons que c'est vrai.
Ceux qui ont envie d'y croire, de toute
manière y croiront.
Alors, il faudrait
se rappeler que, premièrement,
l'activité d'espionnage n'a rien de
nouveau et existe depuis que les Etats
se sont constitués, qu'ils se
reconnaissent des intérêts stratégiques,
divergents de ceux de leurs voisins. Il
ne serait pas non plus négligeable de se
rappeler que l'espionnage se distingue
en légal (officiel et connu) et illégal
(caché). Si toute personne qui entre
dans une ambassade occidentale à Moscou
est soupçonnée d'espionnage, l'on va
rapidement vider la société civile de
ses membres les plus actifs ...
Deuxièmement, ce
qui semble le plus déranger ici est le
fait que la Russie joue à nouveau,
qu'elle en est et la volonté et les
moyens. Qu'elle se reconnaisse le droit
de jouer à égal avec ses "partenaires"
occidentaux, qui ne voient pas du tout
les choses sous cet angle. Tout pays n'a
plus "le droit" d'être un Etat,
c'est-à-dire souverain à l'intérieur et
à l'extérieur, seuls quelques rares élus
possèdent ce qui est devenu un privilège
en période de globalisation fringante,
les autres travaillent dans la joie à la
défense des intérêts atlantistes, s'ils
ne veulent pas avoir des problèmes
proportionnels à leurs richesses
naturelles ou leur position
géostratégique.
Finalement, que ces
accusations soient vraies ou montées de
toutes pièces, ce qui vu les
incohérences, semble plus que probable,
ne changent rien sur le fond. Ces
poussées participent de la construction
de l'image de l'ennemi. Cette image qui
doit être de plus en plus forte, avec la
distension grandissante des liens entre
les pays du clan atlantiste.
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