Russie politics -
Billet du vendredi
Libération des détenus pour cause de
coronavirus
et incarcération des civils
Karine Bechet-Golovko
Samedi 25 avril 2020
Avec une population
carcérale de plus de 2 millions de
détenus, les Etats-Unis tiennent depuis
longtemps le record des personnes
incarcérées. Sur plus de 140 000 dans
les prisons fédérales, l'on compte 540
cas positifs au coronavirus. Idem en
France : pour une population carcérale
de plus de 62 000 détenus, l'on a
détecté 76 cas. Pourtant, l'ONU l'a dit
: pour cause de coronavirus, ouvrez
la cage aux oiseaux, un peu d'humanité
s'il vous plaît! En France, 10 000
personnes libérées. D'autres pays
ouvrent large les vannes, comme l'Iran
qui remet en liberté 40% de sa
population carcérale ou la Turquie 90
000 personnes. Sans oublier l'intérêt de
faire libérer de "pôv gentils
terroristes" en Syrie, car anti-Assad,
sous couverture humanitaire. Mais, en
principe, c'est la remise en cause de la
légitimité de l'Etat qui se joue. Car si
la sanction est fondée, pourquoi libérer
et si la sanction n'est pas fondée
pourquoi incarcérer? Et dans tous les
cas, sur recommandation des instances
globales, indépendamment de l'intérêt
national. Ainsi, l'ONU a réussi à
affaiblir la légitimité de l'Etat, ce
qui est un pas de plus vers ce monde
merveilleux de la globalisation, cette
liberté considérée a piori comme
parfaite puisque l'Etat disparaît,
liberté que nous ne voyons pour
l'instant que de loin, car les
recommandations globales nous ont
assignés à résidence. Dans ce monde, si
les prisonniers doivent être libérés,
les civils doivent être fait prisonniers
... C'est ça la nouvelle liberté ? Il y a un mois
environ, le 25 mars, le Haut
commissariat des droits de l'homme
de l'ONU lance un appel poignant, qui
peut se traduire ainsi :
En ces temps
de pandémie terrible, pensons à nos
pauvres amis, qui sont privés de liberté
dans des geôles souvent infâmes des
divers Etats et qui risquent leur vie,
pour avoir commis une erreur, sans
commune mesure avec la condamnation à
mort du Covid. Libérons les faibles, les
personnes âgées, les
enfants, les femmes, libérons,
libérons, libérons!
Les appels se sont
multipliés. Et ciblés. Par exemple, les
Etats-Unis en ont profité pour
immédiatement demander la libération des
détenus en Syrie, rappelons que
ce sont les "terroristes modérés
pro-occidentaux" qui luttaient contre
Assad, donc des p'tits gars sympas.
C'était quand même l'occasion à ne pas
rater pour récupérer les siens ...
Des ONG, comme
Human Rights Watch, en ont profité
pour reprendre leur cheval de bataille
contre les prisonniers politiques,
innocents, bref tous les combattants du
"monde libre". Rappelons que cette
catégorie ne comprend pas Assange, par
exemple. Amen. Une petite
déclaration adressée à l'Egypte, dont la
formulation est intéressante :
"Parmi les mesures
urgentes recommandées par Human Rights
Watch aux gouvernements des pays touchés
par le coronavirus figure la libération
conditionnelle de prisonniers
injustement détenus. En Égypte, ceci
concernerait des milliers de personnes
emprisonnées simplement pour avoir
exercé pacifiquement leurs droits."
La question étant
de savoir qui va décider de quel
prisonnier est "justement" et quel
prisonnier est "injustement" détenu
? Pourquoi ne s'arrêter qu'à l'Egypte ?
La France connaît aussi des cas de
personnes poursuivies pour avoir
manifesté ... Va-t-on ouvrir un grand
tribunal global, qui va "objectivement",
selon sa vision des choses, et
"indépendamment" - de l'Etat évidemment
- décider du bienfondé des décisions de
justice prises dans les pays ? A moins
que cela ne concerne que "certains"
Etats ... C'est en tout cas la
souveraineté de l'Etat qui est en jeu.
Et donc notre liberté réelle.
D'une manière
générale, l'appel a été suivi,
docilement, par les
Etats. La France, après avoir
immédiatement annoncé - heureusement -
refuser toute libération de masse
des personnes en détention provisoire
(en attente de jugement), une circulaire
a été adoptée demandant de différer
l'exécution des peines courtes et de
réduire le recours à la détention
provisoire pour les cas les plus graves
(ce qui aurait pu être imaginé
indépendamment de la crise
politico-sanitaire du coronavirus).
Bref, un peu plus de 10 000
personnes ont été libérées entre le
16 mars et le 13 avril, généralement en
fin de
peine. Les Etats-Unis ouvrent
également les portes, chaque Etat décide
: 20% dans les prisons de Chicago, 4 000
en Californie, etc. Ce qui est
intéressant, c'est que des
manifestations sont organisées par
des ONG pour obliger à la libération
des détenus. Belle organisation ... En
Turquie, près de 90 000 détenus
se préparent à sortir. En Iran,
c'est 40% de la population carcérale qui
a été remise en liberté.
Alors que l'on ne
cesse de parler de l'hécatombe aux
Etats-Unis, la
population carcérale, qui s'élève en
tout à plus de 2 millions de détenus
dans les différents cricuits de prisons,
n'est pourtant que très peu touchée. Si
l'on prend les chiffres concernant les
prisons fédérales, qui au 21 avril,
comptaient 143 600 détenus, il n'y
a que 540 personnes touchées par le
coronavirus. En ce qui concerne le
personnel pénitentier, soit quelques
dizaine de milliers de personnes - 323
cas. En France, les statistiques
sont du même ordre : sur une
population carcérale de 62 650 personnes
au 13 avril ... 76 détenus ont été
testés positifs au coronavirus.
Bref, ici comme
ailleurs, les mesures adoptées sont sans
commune mesure avec le risque réel.
Ce qui laisse supposer une
instrumentalisation. Dans la logique
néolibérale, qui est celle sous-tendue
par cette nouvelle caste globaliste
dirigeante, la lutte contre l'Etat est
une cible principale - le transfert
du pouvoir doit être finalisé.
En l'occurrence,
l'obligation devant laquelle se trouvent
les structures étatiques de remettre en
cause les jugements de condamnation
(puisque les gens sont libérés par
anticipation ou ne sont pas incarcérés),
de remettre en cause ainsi
l'appréciation du risque social (puisque
la libération est décidée en fonction
d'un diktat global qui ne
correspond à aucun impératif national)
remet en question la légitimité même
de l'Etat.
En effet, s'il
est possible de libérer ces personnes
avant la fin de leur peine ou de les
dispenser de peine, alors pourquoi, en
principe, les avoir condamnées à une
privation de liberté ? Ce n'est pas
un acte anodin, que de priver un être
humain de sa liberté, il faut que la
décision soit pesée pour être non
seulement légale, mais également
légitime. Ici, la légitimité de tout le
système pénal est remise en cause.
Par ailleurs, si
la décision de privation de liberté
était justifiée, alors pourquoi les
libérer avant la fin de leur peine ou
leur permettre de ne pas exécuter leur
peine ... sous pression des organes
globaux sous couvert de coronavirus
? L'Etat n'est donc plus en mesure
d'assurer la protection de l'ordre
public ? Quelle est alors la légitimité
de cette institution ? L'Etat n'existe
pas en soi et pour soi, mais parce qu'il
peut protéger la société, l'organiser,
lui permettre de se développer. Pas
parce qu'il incarcère sa population
civile, libère sa population pénale, sur
injonction d'organisations
internationales.
C'est bien toute la
légitimité de l'Etat qui est en cause.
Et je ne suis pas certaine qu'un monde
global nous donne plus de liberté et de
sécurité. En tout cas, c'est un doute
légitime en regardant par la fenêtre ...
puisque la porte est fermée.
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