Russie politics
Comment Macron a-t-il pu être possible ?
Karine Bechet-Golovko
Lundi 24 avril 2017
Les nécrologies exigent un style bien
particulier, trouver l'équilibre entre
la mémoire du défunt et la douleur des
survivants, tout en restant dans les
limites de la décence. Finalement, ce
n'est pas la meilleure façon de décrire
ce qui s'est passé hier, la décence
n'est plus de mise, l'on en a soupé. De
toute manière, ce pays continuera
certainement encore à s'appeler la
France, la marque est vendeuse.
Quelques remarques
sur un suicide passé inaperçu. Tout
le monde n'est pas autorisé. Entrée
réservée aux insensés.
Le Loup des
steppes semble de circonstances.
Propos préalables :
"Tu avais en
toi une vision de l'existence, une foi,
une exigence. Tu étais prêt à t'engager,
à souffrir, à faire des sacrifices. Mais
petit à petit, tu as remarqué que le
monde n'exigeait de ta part aucun
engagement, aucun sacrifice, aucune
attitude de ce genre. Tu l'as compris :
l'existence n'est pas une épopée avec
des héros et des grands personnages ;
elle ressemble au contraire à un joli
petit salon bourgeois où l'on se
satisfait pleinement de manger et de
boire, de déguster le café en tricotant
des chaussettes, de jouer au tarot en
écoutant la radio. Quant à celui qui est
animé de désirs, qui porte en lui autre
chose, la grandeur héroïque et sublime,
le culte des grands poètes ou celui des
saints, c'est un fou et un Don
Quichotte."
Hermann Hesse
l'avait parfaitement exprimé, notre
société l'a porté à son comble. Les
héros sont au placard et ressortis par
les uns et les autres en fonction des
nécessités du moment, sans en avoir pour
autant la carrure, ni même tenter de
l'avoir. Des années de travail minutieux
de démontage ont enfin porté leurs
fruits. L'ère des commerçants est
arrivée, celle qu'ils n'ont pu mettre en
place après la Monarchie. La revanche de
la médiocrité, le culte du vide centré
sur soi pour ne pas voir la désolation
au-delà de son nombril. Félicitations,
Macron incarne et portera parfaitement
ces aspirations.
Comment en
sommes-nous arrivés là ? En plusieurs
étapes.
La fin de l'Etat
national
La fin de l'Etat
national a été décrété après la Seconde
guerre mondiale. L'Etat n'est plus
l'affaire d'un peuple, d'un territoire,
d'une histoire. L'Etat est
"communautarisé", il est ce que la
Communauté internationale accepte qu'il
soit. Certains ont donc le droit
d'exister, d'autres non, mais en aucun
cas ce n'est au peuple de cet Etat d'en
décider. L'Etat est un instrument du
droit international. Une coquille vide
qui est appréciée formellement.
L'Ukraine doit exister comme Etat, alors
que la Yougoslavie n'en a pas le droit.
L'existence de l'Etat n'est plus liée à
un critère juridique, celui de
l'efficacité globale du système
juridique dans le pays, mais son
existence est politique, voire
idéologique, indépendante de la réalité
nationale.
Au niveau national,
l'Etat a été vidé de son sens, tout au
moins en Europe. Traditionnellement,
l'Etat servait à protéger une population
contre des dangers extérieurs visibles,
les guerres, et à l'intérieur à
permettre le développement de la
société. A l'extérieur, les guerres
traditionnelles ont été bannies du
territoire européen, ce qui rend, dans
l'inconscient collectif, l'Etat avec ses
frontières inutiles. L'UE a continué à
relativiser la notion de frontière, la
montée du terrorisme international a
permis de démontrer que l'Etat, à force
de "rationalisation" et de réductions
d'effectif, n'est plus apte à lutter
contre les menaces extérieures et les
vagues d'immigrations rebaptisées
"migrants" attribuent à n'importe quel
groupe étranger le droit de franchir les
frontières, qui ne sont plus des
barrières. A l'intérieur, la société
civile et le business sont censés être
plus efficaces que l'Etat. Cette
évolution est logique. A l'ère des
commerçants, les barrières doivent être
levées, la mondialisation doit permettre
le développement du business et les
êtres humains, après des années de
réforme de l'éducation et la diffusion
massive des réseaux sociaux, ne sont que
des instruments de ce nouveau paradigme.
Ils ont le droit d'aller à l'étranger,
de monter leur business, de faire de
l'argent. Que peuvent-ils vouloir de
plus ? Posséder pour ne plus être.
La démission des
élites politiques
Ces élections
marquent également la fin du système des
partis politiques et de la
classification droite gauche. La
véritable frontière qui traversait les
partis en les subdivisant en partisans
d'une vision globale et ceux d'une
vision nationale est aujourd'hui
affichée. Le Parti socialiste et Les
républicains ne se relèveront pas de
cette défaite, qui est avant tout celle
des partis "d'avant".
Il est vrai que le
paradigme gauche/droite ne correspond
plus depuis longtemps aux véritables
questions qui se sont posées à la
société française, depuis Maastricht. Il
était utile justement pour cela, pour
que ces questions soient évacuées hors
du débat politique et posées comme un
fait acquis. Une personne sérieuse ne
discute pas de l'Union européenne, de
l'euro, des sanctions, de l'accueil des
migrants. Le dogme est posé. Aucune
élection ne peut risquer de le remettre
en cause, les candidats s'inter changent
dans ce cadre non-dit et puissant.
Le format Macron /
Le Pen au deuxième tour est un coup
magistral, car c'est la seule
configuration qui permette au clan
global de remporter ouvertement une
élection, chacun de droite et de gauche
peut le rallier en toute tranquillité
d’esprit : le fumeux ralliement national
contre le Front est censé les absoudre
par avance. Finalement, ils ne
trahissent pas, au contraire, ils
sauvent la France. C'est beau. Non
seulement ça ne leur coûte pas cher,
mais en plus ils peuvent même espérer ne
pas tomber du bateau.
L'intronisation du
nouveau paradigme sur la place publique
a été possible en raison de la démission
des élites nationales. Ces élites qui
ont accepté au fur et à mesure les
règles du jeu qu'elles ne posaient pas,
passant du compromis à la compromission.
Qui ont accepté de jouer la carte du
renoncement en vue d'un intérêt
personnel : rester dans l'élite. Celui
qui critique le système mis en place est
soit un fou, un Don Quichotte, soit un
extrémiste. Les partis politiques et
leurs dirigeants viennent de payer le
prix de leur compromission. Ils sont
devenus tellement faibles, qu'ils sont
inutiles, les masques ont pu tomber.
Des règles du
jeu inéquitables
Ces élites
politiques, bien nourries et habituées à
l'être, ont oublié ce qu'est le combat.
Il n'y a plus de dangers visibles et
identifiables, le pays ne va pas être
envahi par une armée étrangère, alors
quoi faire ? L'on peut jouer entre soi,
il n'y a pas de conséquences, rien n'est
grave. L'invasion par les vagues
migratoires est difficilement
critiquable si l'on ne veut pas être
marginalisé, voire poursuivi. Les
terroristes que l'on ne combat pas
réellement sont étiquetés "opposants" ou
" Daesh" selon le pays et frappent
toujours où il faut et quand il faut. La
pression est maintenue sur la société,
qui est ainsi prête à accepter n'importe
quelle restriction à sa liberté réelle
en contrepartie d'une protection
virtuelle.
Et cela marche
parce que pour le clan globaliste il n'y
a pas de règles, pas de limites autres
que la victoire. Rien n'est sacré. A la
guerre comme à la guerre. Or, notre
élite politique n'est pas en guerre, pas
plus que nous ne le sommes nous-mêmes.
Ils ont pu sacrifier la liberté et la
pluralité des médias, qui est un des
fondements de la société démocratique.
Ils ont pu ouvertement instrumentaliser
la justice, dont l'indépendance - du
politique et non de l'Etat - est une
condition de base de l'Etat de droit.
Leur démarche est destructrice, car elle
est révolutionnaire : détruire ce qui
est, pour finaliser ce monde nouveau. Et
nous regardons en relativisant.
Nos élites
politiques continuent à se mettre au
garde à vous face à la menace du Front
national. Avant même l'annonce des
résultats officiels, chacun appelant à
voter Macron, posant sur la tombe de la
Ve République des armes trop lourdes,
encombrantes, qu'ils ne savent de toute
manière plus manier. Et soulagés de
n'avoir pas à le faire. A se battre. A
gouverner. L'on va pouvoir reprendre les
discours et les postures.
Ces élections
ont ouvert la voie au refondement de la
société. La nouvelle société qui
s'annonce, personnellement, ne me plait
pas. On la connait déjà. La méthode est
trotskyste, le fond est Rothschild. Un
régime libertaire-totalitaire. Il a été
rendu possible car nous ne nous sommes
plus battus. Car nous ne savons plus
nous battre. Car pour toute une partie
de la société, la France est quelque
chose de plus ou moins sympa, selon ce
qu'elle apporte, mais ne fait partie ni
de son sang, ni de sa chair. Alors
qu'y a-t-il à défendre ?
Ce système était
déjà moribond, il est tombé. Difficile
de le regretter. Mais ce qui va suivre
n'engage guère plus à l'optimisme. Les
Empires sont tombés. Les cultures ne
sont pas éternelles, elles disparaissent
dans les livres d'histoire. Certes, mais
il n'est jamais gai d'aller à un
enterrement.
Aujourd'hui
pleurons le défunt. Demain, il faudra se
lever.
PS: L'on notera
avec surprise à quel point les résultats
officiels correspondent à ceux annoncés
par les médias dès 20h, qui ne suivaient
absolument pas l'évolution en temps réel
du décompte des voix fait par le
Ministère de l'intérieur, qui donnait
Marine Le Pen largement en tête jusqu'à
23h30. Comme s'ils savaient que ça ne
servait à rien.
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