Pourquoi le président V. Poutine a
décidé d'adopter un oukase reconnaissant
les passeports des Républiques de
Donetsk et Lugansk?
Karine Bechet-Golovko
Lundi 20 février 2017
En adoptant le 18 février 2017 un oukase
reconnaissant la validité des documents
officiels délivrés par les autorités des
Républiques de Donetsk et Lugansk, le
Président V. Poutine a lancé un signal
très fort à l'Occident, dont ses
représentants étaient réunis à ce
moment-là à Munich pour la 53e
Conférence sur la sécurité.
Alors
que le Pentagone affirmait devoir parler
à la Russie par la force, alors que la
Maison Blanche appelait la Russie à "se
retirer du Donbass" et à "rendre" la
Crimée à l'Ukraine, alors que l'Ukraine
organise un blocus total du Donbass et
bloque les échanges commerciaux et
notamment les wagons de charbon que Kiev
achète au Donbass malgré la guerre, le
Président V. Poutine adopte un
oukase "sur la reconnaissance des
documents délivrés aux citoyens
ukrainiens et apatrides résidant sur
certains territoires des régions
ukrainiennes de Donetsk et Lugansk".
Selon le texte, dont voici la
traduction:
Dans
le but de la défense des droits de
l'homme et du citoyen, au nom des
principes généraux et des normes du
droit international humanitaire, dispose
de:
1.
Temporairement établir, pour la période
allant jusqu'au règlement politique
selon les accords de Minsk de la
situation dans certains territoires des
régions ukrainiennes de Donetsk et
Lugansk :
a)
Reconnaître comme valides dans la
Fédération de Russie les documents
établissant l'identité, attestant
l'enseignement ou la qualification, les
certificats de naissance, de mariage, de
changement de nom, de décès, les
documents attestant l'enregistrement
d'un véhicule délivrés par les autorités
de facto compétentes sur les
territoires ici visés aux citoyens
ukrainiens et aux apatrides vivant de
manière permanente sur ces territoires.
b) Les
citoyens d'Ukraine et les apatrides
vivant de manière permanente sur
certains territoires des régions
ukrainiennes de Donetsk et Lugansk
peuvent entrer sur le territoire de la
Fédération de Russie et sortir du
territoire de la Fédération de Russie
sans visas en établissant leur identité
(pour les mineurs de moins de 16 ans,
sur le fondement d'un acte de naissance)
délivrés par les organes compétents sur
les territoires visés.
2. Le
Gouvernement de la Fédération de Russie
doit prendre tous les actes nécessaires
à la réalisation de cet oukase.
Les
autorités de Lugansk et Donetsk se sont
félicitées de cet oukase qui, selon les
paroles de
Zakharchenko, montre que les
habitants du Donbass mènent un combat
juste pour défendre leur identité
culturelle, leur appartenance au monde
russe.
Evidemment, les réactions
internationales sont moins positives. Il
faut dire que l'oukase intervient en
pleine Conférence de Munich pour la
sécurité, lors de laquelle les échanges
russo-américains furent assez
difficiles, S. Lavrov rappelant avec
fermeté la position de la Russie sur la
scène internationale, ce que la presse
occidentale a souligné à l'unanimité. En
substance, selon
RFI:
Sergueï Lavrov a annoncé la fin de « l'ordre
mondial libéral » conçu selon lui
par « une élite d'Etats »
occidentaux à visées dominatrices. « Les
dirigeants responsables doivent faire un
choix. J'espère que ce choix sera celui
d'un ordre mondial démocratique et
juste. Si vous voulez, appelez le "post-west"
»
A
Munich, les chefs des diplomaties
française, allemande, ukrainienne et
russe en ont profité pour se réunir ce
même 18 février autour du dossier
ukrainien pour renégocier un
cessez-le-feu, après la reprise violente
des hostilités par l'armée ukrainienne
dans le Donbass. Un certain compromis
aurait à nouveau été trouvé, même si
manifestement l'Allemagne, la France et
les Etats Unis font glisser la Russie du
rôle de garant de ces accords de Minsk à
celui de partie au conflit. Ce qui
montre aussi tout le danger de ces
accords pour la Russie elle-même. En
réponse, justement, le 18 février, cet
oukase est adopté. Sur la scène
diplomatique, la Russie fait monter les
enchères. Puisque l'Occident affirme
vouloir l'application des accords de
Minsk, ils peuvent également payer le
prix de sa non-application par
l'Ukraine: la Russie n'annulera les
sanctions économiques adoptées contre
l'UE que lors de l'application des
accords de Minsk et, en attendant, elle
prend sous son aile les jeunes
républiques.
Il ne
s'agit pas d'une reconnaissance de
l'indépendance de ces territoires dans
le sens juridique du terme, c'est plutôt
un acte pragmatique et politique. Et les
réactions sont à la mesure de l'acte
lui-même.
Russia's decision to recognize
identification documents issued by
separatists in eastern Ukraine will hurt
the chances for a cease-fire to take
hold, the head of the Organization for
Security and Cooperation in Europe
(OSCE). (...) The Russian move “implies…recognition
of those who issue the documents, of
course,” Zannier said. “This makes us
think of Abkhazia-like situations,”
Ukrainian President Petro Poroshenko
said Putin’s order was "more evidence of
the Russian occupation and Russia's
violation of international law."
the
U.S. Embassy in Kyiv said the Russian
decision was “alarming and incompatible
with the agreed-on goals of the Minsk
peace process.”
Du
côté ukrainien, Turchinov affirme que la
Russie est ainsi sortie des accords de
Minsk. Pour
Klimkine, cet oukase contrevient aux
accords de Minsk, puiqu'il reconnait la
compétence des autorités de facto
agissant sur ces territoires.
Pourtant, ce pas n'est pas totalement
une surprise. Cet oukase est avant tout
une réponse. Une réponse au blocus total
mis en place par l'Ukraine, avec l'aide
des mouvements radicaux, à l'encontre du
Donbass, comme le rappelle le sénateur
Klintsevitch (comission pour la
défense). Kiev achetait, malgré la
guerre, du
charbon au Donbass. Or, depuis 3
semaines, tous les wagons de chardon
sont bloqués à la frontière du Donbass.
Selon Kiev, il reste à l'Ukraine
suffisamment de charbon pour 45 jours.
Un régime de restriction d'utilisation a
été mis en place, restraignant également
l'activité industrielle ukrainienne. Le
pouvoir va devoir soit faire lever le
blocus, soit en acheter plus cher
ailleurs. Pour maintenir la pression,
des manifestations ont été organisées à
Kiev, soutenant le blocus. Ces
manifestations, organisées par le
députés extrémiste S.
Sementchenko, étaient orientées
contre l'oligarque Akhmetov et contre
l'administration présidentielle de
Poroshenko, qu'il accuse de trahison
pour acheter du charbon à l'ennemi. La
police a défendu les établissements et
n'a pas laissé les manifestants entrer.
Voir la vidéo:
Etrangement, d'une certaine manière, la
position de ce député extrémiste, ou
plutôt de ceux qui tirent les ficelles,
est logique. S'il y a guerre, il ne peut
y avoir échanges commerciaux entre les
deux parties au conflit. L'on imagine
mal l'URSS commercer avec l'Allemagne
nazie lors de la Seconde Guerre mndiale.
Or, ici, l'Ukraine a repris la logique
politique qui domine sur les intérêts
économiques et même sociaux: il faut des
sacrifices et les intérêts des
oligarques ne peuvent être une excuse,
quant à la population elle est en guerre
et elle doit se comporter comme tel.
Face à cela, la logique économique est
beaucoup plus faible: commercer avec
l'ennemi, c'est peut-être temporairement
remplir les caisses, permettre aux
entreprises de fonctionner et donc de
nourrir la population, mais c'est aussi
se mettre en position de dépendance,
donc de faiblesse. Car les guerres n'ont
de post-modernes que l'appellation: on
tire, on tue, on souffre. Et elles se
gagnent encore et toujours par les
armes. Pas par les contrats.
Ainsi,
en plus de la dimension politique de
l'oukase adopté par le Président russe,
il y a aussi une réponse
socio-économique, devant éviter une
catastrophe humanitaire dans le Donbass.
Comme le charbon du Donbass était envoyé
vers les autres régions ukrainiennes, il
faut réaménager le trafic. Pour cela, il
faut commencer par légaliser les
documents. Rappelons que l'évolution
avait déjà commencé en ce qui concerne
les
documents. Puisqu'en 2016, les
personnes dotées d'un passeport délivré
par les autorités du Donbass pouvaient
passer la frontière russe, que dans les
régions frontalières, les jeunes
pouvaient entrer à l'Université avec un
diplôme de ces régions.
En
revanche, en voulant mettre la Russie
dos au mur face à ses obligations
morales de prise en charge des
populations de ces régions, l'Ukraine et
ses "conseillers" continuent à pousser
ces territoires vers un point de non
retour. Ils ont commis une erreur
fondamentale: en estimant mal la
volonté politique de la Russie, ils
provoquent l'intégration juridique des
territoires.
C'est
peut être pour cela que l'on voit
apparaître, sorti de nulle part, un
article dans le
New York Times, selon lequel la
Maison Blanche aurait eu un plan visant
à négocier un retrait des troupes russes
du Donbass contre la "location" de la
Crimée pour une durée de 50 ou 100 ans.
Par cette publication, il s'agit tout
d'abord de saper la confiance de ces
population envers la Russie, en la
présentant comme prête à revenir sur le
rattachement de la Crimée et prête à
négocier l'abandon des population du
Donbass à une mort certaine en cessant
d'aider ces régions.
Or, la
Russie a prévenu qu'il s'agit bien
d'une réponse au blocus mis en place et
si la situation continue à se dégrader,
elle pourrait adopter d'autres mesures
allant dans le sens des autorités de DNR
et LNR. Autrement dit, la Russie n'est
pas prête à négocier les terres et les
hommes. Maintenant, il est possible que
de nouvelles sanctions soient adoptées.
Mais elles l'auraient été de toute
manière, pour une raison ou pour une
autre. Pour la libération d'Alep. Pour
l'interférence non prouvée dans les
élections américaines. Il faut bien
avoir conscience du fait que la Russie
va vivre sous sanction pendant une très
longue période, tant qu'elle n'aura pas
réussi à mofier l'ordre mondial, à le
faire basculer en un monde multipolaire.
Ou bien tant qu'elle n'aura pas renoncé
à se battre. Ce qui risquerait alors de
signifier un renoncement à exister. Dans
le sens direct du terme. Et le renouveau
politique russe actuel n'est pas
compatible avec cette position, défendue
par les clans "progressistes" qui, pour
des raisons évidentes, sont largement
appréciés en Occident.
Abonnement newsletter:
Quotidienne -
Hebdomadaire
Les avis reproduits dans les textes
contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs.
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance
du webmaster merci de le lui signaler.
webmaster@palestine-solidarite.org