Russie politics
Le Brexit éternel ou l'Etat-eunuque : le
mal du siècle
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 15 mars 2019
La Grande-Bretagne
n'en finit pas de voter son Brexit. De
rejeter toutes les solutions, de vouloir
sans pouvoir. Elle est devenue
impuissante à mettre en oeuvre une
décision prise. C'est l'Etat-eunuque,
qui ne pourra reprendre en main son
cours politique, qu'en se donnant les
moyens de sa puissance. Mais ce constat
ne concerne pas que la Grande-Bretagne,
il s'applique à la plupart des Etats
aujourd'hui, dépossédés de leurs
instruments de gouvernance. En juin 2016, la
Grande-Bretagne provoque une stupeur
internationale et, par référendum,
décide du Brexit. Comment peut-on
avoir envie de sortir de l'UE ?
C'est insensé, toutes les plaies de la
Terre sont attendues sur les plaines
d'Angleterre, le monstre du Loch Ness va
détruire la City, les capitaux doivent
fuir vers les heureuses contrées de
l'UE, l'économie doit s'effondrer et le
pays aussi. C'est la seule solution pour
que l'UE survive au Brexit, qui s'il se
passe bien, pourrait donner des idées :
il y a donc une vie en dehors et
après l'UE ?
Malgré des
pressions sans précédent, aucun nouveau
référendum devant apporter les "bons"
résultats, c'est-à-dire contre le Brexit,
n'a été organisé et la date fatidique a
été fixée au 29 mars 2019. Ce jour tant
attendu et redouté approche et rien n'a
été obtenu. Car les difficultés
d'envisager la mise en oeuvre de cette
décision secouent les élites politiques
britanniques, qui comme partout ailleurs
aujourd'hui, semblent paniquer face à la
perspective d'un retour à la
souveraineté, quand d'autres estiment
que la rupture avec l'UE doit être plus
franche, sans union douanière à
perpétuité, vidant le Brexit de sa
substance.
C'est l'impasse,
tous les votes sont négatifs. Le
15 janvier, les députés repoussent
une première fois le texte de l'accord
de sortie de l'UE par 432 voix contre
202. T. May; qui encaisse cette défaite
politique avec difficulté, met le doigt
sur la difficulté centrale de la
situation : le peuple a tranché, il faut
respecter sa volonté. Mais les élites
ont du mal ... Elle déclare :
« Nous avons le
devoir de respecter » le résultat du
référendum sur l’UE du 23 juin 2016,
avait-elle déclaré dans une Chambre des
communes pleine à craquer, mettant en
garde : « Un vote contre cet accord
n’est qu’un vote pour l’incertitude, la
division et la menace très réelle de ne
pas conclure d’accord. »
Les négociations
avec l'UE reprennent tant bien que mal.
Un second vote au Parlement a lieu le
12 mars et là aussi les députés
britanniques votent massivement contre,
à 391 voix contre 242. Cette fois-ci,
les élites politiques ont peur d'un
backstop irlandais, qui coincerait la
Grande-Bretagne dans une union douanière
avec l'UE à perpétuité. Pourtant, T. May
avait déclaré :
« Un instrument
conjoint avec un poids juridique
comparable à l’accord de retrait [sur
le Brexit] va garantir que l’Union
européenne ne peut pas agir avec
l’intention de mettre en œuvre le backstop
indéfiniment » en ce qui concerne le
statut de l’Irlande du Nord, a assuré la
première ministre britannique.
L'accord ayant été
par deux fois recalé, il reste trois
solutions. La première consiste en un
Brexit dur, sans accord,
puisqu'aucun acсord n'a été acceptable
pour les deux parties. Cette solution,
qui nécessite une volonté politique
infaillible, dont les Etats aujourd'hui
sont incapables, a été rejetée par les
députés le 13 mars par 321 contre 278.
La seconde et la troisième solution, qui
entérinent la crise politique, furent
envisagées en même temps par les députés
le 14 mars. D'une part, ils ont rejeté
l'idée d'un nouveau référendum,
l'amendement H, qui avait été déposé
par un Groupe indépendant et proposait
un report du Brexit, afin d'organiser
une nouvelle consultation populaire.
Autrement dit, étant dans l'incapacité
de mettre en oeuvre la décision qui a
été prise en 2016, on reprend tout le
processus au départ, en espérant que le
résultat sera différent après deux
années de propagande intensive anti-Brexit
et qu'il ne sera plus alors nécessaire
de prendre une décision. Il s'agit bien
d'un constat d'échec systémique, échec
d'un système politique à réaliser les
décisions qui vont à l'encontre de
l'idéologie globaliste et antiétatique
dominante. D'autre part, ils ont
voté pour un report de la date
fatidique du Brexit afin de reprendre
les négociations avec l'UE, si tous les
pays de l'UE donnent leur accord, ce qui
devrait être le cas, l'UE n'ayant
absolument pas intérêt à ce que la
Grande-Bretagne sorte et donne ainsi
l'exemple. Ainsi, si un accord est
trouvé avant le 29 mars, le Brexit est
repoussé au 30 juin, dans le cas
contraire il devra être repoussé
ultérieurement.
Nous sommes
finalement dans une situation
d'incertitude grandissante. La volonté
des députés n'est pas claire, les
gouvernants sont incapables d'assumer et
de faire appliquer leurs décisions
politiques, puisqu'ils n'arrivent pas à
les formuler clairement. C'est une forme
d'impuissance grave. Que l'on retrouve
dans d'autres Etats, dès que les
intérêts de la bulle idéologique
gouvernante sont en dangers. C'est une
sorte de ni-ni constant. Ni Brexit dur,
ni Brexit négocié. Ni nouveau
référendum, ni mise en oeuvre des
résultats du référendum précédent.
Car le vote n'est accepté que pour
confirmer, non pour décider.
Décidément, 2016 a fait "buguer" les
systèmes politiques. L'élection de Trump
a produit le même effet, la classe
politique américaine n'arrive toujours
pas à avancer, ils sont toujours arrêtés
à des "manipulations", des "affaires",
comme s'il était impossible de remettre
en cause l'idéologie dominante. Notre
époque est devenue celle des
Etats-eunuques.
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