Russie politics
Flynn, Sessions, Crimée: intensification
de la chasse aux sorcières aux Etats
Unis
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 15 février 2017
La politique aux Etats Unis ne cesse de
surprendre: à croire que ce pays est
devenu une colonie de la Russie et
qu'elle cherche son indépendance.
Etrange renversement de situation. Il
est impossible d'ouvrir un journal sans
un gros titre en première page sur
l'influence de la Russie dans les
mécanismes politiques américains, sans
dénigrement de la politique
présidentielle américaine, sans analyse
de la perte de statut des Etats Unis.
Auditions, fuites organisées dans la
presse, valse des officiels
s'enchaînent, mettant le système
politico-institutionnel américain face à
son impossibilité d'intégrer une
alternance réelle du pouvoir. Mais
pourquoi la Russie se retrouve-t-elle au
centre de ce tourbillon, qui finalement
ne la concerne qu'indirectement?
L'attaque portée contre l'image de D.
Trump par la presse soutenant le système
néolibéral globaliste, c'est-à-dire
l'essentiel de la presse américaine,
dégrade en même temps l'image de la
fonction présidentielle et donc du pays.
Par exemple, un tel article dans le
Washington Post ne peut être publié sans
"effets collatéraux" significatifs:
Mais
l'attaque ne s'arrête pas à l'individu,
elle touche également toute son équipe.
L'agrément du Congrès acquis avec
difficulté pour les membres aujourd'hui
en poste, est maintenant remis en
question grâce à un système de
surveillance illégale demandé par
l'administration Obama et dont le
service après-vente est assuré par une
collaboration plus qu'étroite entre la
presse et les services secrets, pour
faire de l'équipe de Trump un groupe au
service de la Russie. Le jeu de quille
est ouvert.
Le
conseiller de D. Trump sur la sécurité,
M. Flynn a été conduit à démissionner
pour ses contacts avec l'ambassadeur
russe. Les
services secrets ont mis sur écoute
les membres de l'équipe de Trump lors de
la campagne et jusqu'à la prise de
fonction, c'est-à-dire même après la
victoire de D. Trump. Ce qui étrangement
ne semble soulever aucune question quant
à la légalité de la pratique, l'époque
du Water Gate est bien loin. Or, après
la victoire de D. Trump, M. Flynn est
entré en contact, soit directement, soit
par téléphone, avec un nombre conséquent
de personnalités afin de préparer la
transmission du pouvoir. Uniquement sa
conversation avec l'ambassadeur russe
aux Etats Unis lui est reprochée; alors
qu'il discutait de l'extradition des 35
diplomates russes et peut être d'une
possible levée des sanctions contre la
Russie. Pour justifier le caractère
illégal de cette démarche devant
conduire à la démission de
Flynn, les américains sont allés
rechercher une veille législation, la
loi
Logan de 1799 (qui au fait n'a
jamais été appliquée) interdisant aux
personnes privées de mener des
négociations au nom des Etats Unis avec
des Gouvernements étrangers. Or, Flynn
faisait partie de l'équipe de Trump et
allait entrer en fonction, il n'a fait
que son travail, comme tous ses
prédécesseurs. M. Flynn a avoué n'avoir
pas pu, dans la précipitation des
évènements, rendre compte dans tous les
détails des centaines de conversations
qu'il a eu, D. Trump reconnait ensuite
avoir été mis au courant mais a demandé
une enquête supplémentaire. Finalement,
il a bien du le lacher sous la pression
médiatique, qui d'ailleurs ne retombe
pas, si l'on en croit l'article du
New York Times mettant en doute la
réalité des paroles de Trump. Le plus
amusant est que ces
écoutes ont été le fait de
l'Administration Obama et que c'est le
conseiller du nouveau Président qui paie
les pots. Il y a un renversement de
situation assez cocasse.
Suite
à cette "grande victoire" des opposants
à Trump, le combat se renforce. Même la
presse française, atlantiste à souhait
lorsqu'il ne s'agit pas de Trump, se
demande qui sera le suivant à tomber et
d'invoquer le Kremlingate, qu'ils
tentent tellement d'importer en France.
Le
suivant sur la liste est l'Attorney
General Jeff Sessions. Il a été mis sur
le grill pour une interrogation très
général: est-il suffisamment indépendant
de la Russie pour s'occuper de la
justice américaine? L'attaque, cette
fois-ci, n'a pas porté, pas encore du
moins, si l'on en croit cet article du
New York Times:
Attorney General Jeff Sessions faced
growing pressure on Tuesday to remove
himself from any role in investigating
President Trump’s aides and their
relationship with Russia, but advisers
to Mr. Sessions said he saw no need to
do so.
Etrangement, la politique américaine, au
lieu de s'occuper de la grandeur des
Etats Unis, ce qui était plutôt son
habitude au minimum dans les apparences,
est focalisée sur la Russie, cet ennemi
prenant des proportions dantesques,
devant expliquer - sinon justifier -
l'affaissement soudain du Système. Les
perdants n'acceptent pas la défaite, ils
utilisement tous les moyens pour faire
tomber l'ennemi hors méthodes
démocratiques électorales. C'est en ce
sens que le combat mené aujourd'hui est
une atteinte aux valeurs démocratiques.
Méthodes que l'on voit, toutes
proportions gardées - plus
"provinciales" - dans la politique
française cette année.
Dans
ce contexte, le programme de D. Trump
étant plus axé sur l'intérieur que sur
l'international, il est prêt à négocier
les relations à la Russie, tant que cela
ne joue pas sur la politique intérieure.
Ainsi, la collaboration dans la lutte
contre Daesh ne peut être remise en
cause, car il en va de la sécurité
intérieure américaine. La collaboration
économique peut être discrètement
restaurée, car il en va de l'intérêt des
Etats Unis. Or, l'ampleur des fuites
dans la presse met également en cause la
sécurité nationale, car elles démontrent
la faiblesse du pays, son impossibilité
à gérer ses conflits intérieurs. Ce que
rappelle D. Trump:
En
revanche, au minimum deux points de
divergences profonds peuvent bloquer les
relations russo-américaines. Les Etats
Unis sont repartis en "guerre" contre
l'Iran, qui est l'allié de la Russie
dans de nombreux domaines, notamment en
ce qui concerne le règlement de la crise
syrienne. Et la Russie a fait montre de
résistance sur ce point.
Le
deuxième point est beaucoup plus
problématique et concerne la crise
ukrainienne. La démarche de D. Trump
s'inscrit ici dans la droit ligne de
celle d'Obama, voulant faire de la
Russie une partie au conflit ukrainien
et ne pas lui reconnaître ce caractère
intérieur. Mais lorsque Trump parle de
la nécessaire restauration de la Crimée
à l'Ukraine, soit il y a totale
méconnaissance des intérêts russes
historiques dans la région, soit c'est
pour lui le prix à payer pour pouvoir
gouverner à l'intérieur. Bref, soit il
fait montre d'incompétence, soit de
faiblesse. Cela découle en tout cas des
paroles de S.
Spicer, le porte-parole de la Maison
Blanche:
"President
Trump has made it very clear that he
expects the Russian government to de-escalate
violence in the Ukraine and return
Crimea," Spicer said at a daily news
briefing. "At the same time, he fully
expects to and wants to get along with
Russia."
Du
point de vue de D. Trump, cette
déclaration n'est pas une totale
surprise. Il avait déjà soutenu une
déclaration quasi-similaire de
l'ambassadrice américaine au Conseil de
sécurité de l'ONU et vu le contexte
politique intérieur qu'il a du mal à
maîtriser, il n'a aucune raison pour
affaiblir encore plus sa position en
faisant un cadeau de cette taille à la
Russie. La reconnaissance de la légalité
du rattachement de la Crimée entre dans
le cadre des intérêts russes, non
américains. Pour autant, cela ne
signifie pas que la Maison Blanche
soutienne l'escalade du conflit en
Ukraine lancée par Poroshenko. Mais elle
est suffisamment affaiblie pour ne pas
pouvoir, non plus, faire contre poids
aux "sponsors" de ce conflit.
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