Russie politics
Pôv' Golounov : les dessous pas très
propres
d'un conte pour grands enfants
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 13 juin 2019
Avec la libération
de Golounov, les rédactions laissent
paraître des articles qui avaient été
"retenus", je cite, "pour ne pas porter
atteinte à Golonouv" (M. Simoniane),
sortent des interviews où les
participants, des directeurs de médias
d'opposition, expliquent comment ils ont
fait libérer Golounov et prendre la
décision avant le passage devant la
justice. Bref, la fameuse "corruption"
de la police, les méchants flics pourris
contre les gentils journalistes, tombe
doucement, mais la manipulation, par des
forces réelles, elle, est doucement mise
au grand jour. Doucement et
discrètement, alors aidons-la un peu.
Voici les détails et les dessous du
piège Golounov, dans lequel certaines
élites russes à nouveau jettent le pays
avec délice. Le relent nauséabond des
années 89-90 ressort des égouts ... Nous avions déjà
présenté le spectacle, assez
désagréable, que nous offre l'affaire
Golounov
(voir le texte ici) et l'avènement
du tribunal médiatique en Russie, qui a
découlé de la libération de
l'assignation à résidence, en vrac,
prononcée par le ministre de l'Intérieur
lui-même (voir
notre texte ici).
Or, après la
libération de Golounov, des articles
intéressants commencent à sortir, la
victoire a été acquise, maintenant l'on
peut montrer sa force ... Deux axes
retiennent particulièrement notre
attention : le premier concerne la
personnalité de Andrei Schirov,
directeur du département de lutte contre
le trafic de drogue de la police de
l'arrondissement Ouest de Moscou, celui
qui a mené l'enquête contre Golounov et
conduit son interpellation; le second
concerne les pourparlers et les
manoeuvres des directeurs de deux gros
médias d'opposition Novaya Gazeta et Les
Echos de Moscou, renvoyant aux
oligarques A. Lebedev et Miller
(Gazprom).
A. Schirov
souligne les pressions sans précédent
subies par la police dans l'affaire
Golounov
A. Schirov, a donné
plusieurs interviews importantes dans
lesquelles il met les points sur les i
quant aux spéculations de corruption et
le respect de la légalité dans l'affaire
Golounov, ainsi que sur les pressions
sans précédent dont il fait l'objet,
dans une affaire, somme toute banale, de
trafic de drogue.
Avant que le
jugement concernant le placement de
Golounov ne soit pris, il donne une interview
à RT et, comme cela est indiqué sur
le site, la rédactrice en chef - M.
Simoniane - a personnellement décidé de
ne pas publier cet article avant "que
toutes les expertises" soient réalisées,
pour ne pas porter atteinte à Golounov.
L'on peut déjà s'interroger sur le parti
pris, l'objectivité du travail de
journaliste. Bref, porter atteinte à la
police, c'est bien vu, mais les siens
doivent être protégés coûte que coûte
...
Dans cet interview,
A. Schirov affirme que cette affaire de
trafic de drogue est une affaire banale,
processuellement il reste encore
quelques points à éclaircir, mais cela
ne soulève aucune question
particulières, que les règles ont été
respectées, que tout est légal et qu'il
ne craint aucune vérification. En
revanche, la pression qu'il subit, lui
et sa famille, de la part des
journalistes qui prennent d'assaut la
maison de campagne de ses parents, âgés,
où sont également sa femme et ses
enfants, est hors des limites
habituelles. Tout comme le niveau de
contrôle. Ce qui est intéressant, c'est
l'ambiance dans laquelle évolue cette
affaire et c'est certainement cela qui a
motivé la décision particulièrement
subjective de "rétention" de la
publication - pour que justement ces
forces puissent tranquillement jouer en
faveur de Golounov avant que la justice
ne se prononce :
"Mais tout cela
évolue d'une manière très étrange pour
moi. Je ne parle pas de l'affaire
elle-même, mais de tout ce qu'il y a
autour. En tant que tel, l'affaire ne se
différencie pas des autres affaires de
ce genre. Mais vous voyez, tout ce qui
se passe autour de cette affaire, je ne
comprends pas. Certaines forces sont en
jeu, les journalistes. Tout cela est
bizarre."
Par ailleurs, dans
une interview à
currenttime.tv, Schirov a répondu
aux accusations de corruption qui ont
été lancées contre les policiers et
lui-même dans cette affaire. Selon
Transparency International, il serait en
possession de terrains dans la région de
Moscou pour une valeur de 70 millions de
roubles (soit un peu moins d'un million
d'euros). En réalité, comme il le
déclare et comme cela est vérifiable sur
le cadastre, ses parents sont en
possession depuis longtemps d'une maison
de famille, où ils se réunissent, son
frère a un bout de terre adjacent et lui
possède une vieille datcha de 6 m sur 9,
avec les WC à l'extérieur et un terrain
pour une valeur de 2,5 millions de
roubles (un peu plus de 30 000 euros).
"Si quelqu'un
veut voir ces ruines, voir comment
vivent les corrompus, qu'ils viennent,
qu'ils regardent"
En revanche, ces
histoires de trafic de drogue et la
pression mise sur la police dans ce
domaine ne sont pas nouvelles. Il y a
quelques mois de cela, un article est
sorti sur Radio Liberty (financée par
les Etats-Unis), dans lequel quelques
noms de véritables policiers ont été
pris, ajoutés à des noms de policiers
morts, auxquels il n'était plus possible
de rien demander et qui furent accusés
de transporter de la drogue par
camions. Ce texte a été publié (les
journalistes n'ont rien eu ...). A
l'époque, la police avait hésité à
réagir, finalement Schirov avait décidé
de ne pas perdre du temps avec ces
idioties. Maintenant il déclare
regretter, comprendre que c'était une
erreur, car avec l'évolution de
l'affaire Golounov, tout ressort et est
utilisé, manipulé. La décision a été
prise aujourd'hui de réagir à ces
publications diffamantes, toutes les
vérifications à l'époque ont été faites
et rien n'a été prouvé. Pour lui, c'est
une forme de pression.
En effet, des
forces particulières semblent être mises
en oeuvre, si juridiquement cette
affaire peut être assez simple, les
dessous, les pressions sur l'enquête,
sur la justice éclatent au grand jour
par ceux-là mêmes qui les ont faites et
s'en vantent dans la presse. Ils ont
gagné, ils savourent leur victoire et
trainent dans la boue le pouvoir, qui a
par trop montré sa faiblesse.
Quand les
décisions de "justice" se prennent dans
les couloirs par les directeurs de
presse
Le site
The Bell a publié l'inteview donnée
par Dmitri Mouratov (Novaya Gazeta),
dans laquelle il est expliqué en détail
comment il a négocié la libération de
Golounov. Ainsi, samedi, avant le
jugement devant déterminer du mode de
détention de Golounov lors de l'enquête,
D. Mouratov, à la tête du média
d'opposition Novaya Gazeta, et A.
Venediktov, à la tête des
Echos de Moscou (faisant partie de
Gazprom média, dirigé par l'oligarque A.
Miller) se réunissent à la Mairie
de Moscou (sic), avec la vice du
Maire de Moscou S. Sobianine, Natalia
Sergounina, la personne responsable
du la politique de l 'information et de
la sécurité Alexandre Gorbenko.
Mouratov demande à ce que soit présent,
puisque manifestement tel est le but, le
chef de la police de Moscou, Baranov.
Et le travail de pression commence,
couvert donc par la Mairie de Moscou,
pour que Golounov soit tout d'abord non
pas incarcéré (le pôv' choupinet), mais
assigné à résidence et sous contrôle
judiciaire. Cela fonctionne, comme la
suite de l'histoire l'a montré.
Mais ce n'est pas
tout. Mouiller dans cette sale histoire
seul le pouvoir local de Moscou n'est
pas suffisant, il faut entraîner le
sommet de l'Etat. Le lundi, Mouratov
raconte comment la décision finale a été
prise. L'ombudsman T. Moskalkova
(qui par ailleurs, ne cesse ces derniers
temps de se prononcer avec virulence
pour casser le Code de procédure pénale)
a fait "son" rapport à V. Poutine
et en sortant a déclaré que la bonne
décision a été prise, puisque
certainement (les Occidentaux
disaient dans l'affaire Skripal "highly
likely") des milliers d'affaires
semblables existent dans le pays. Ainsi,
des expertises furent expédiées pour
tenter de sauver quelques apparences et
la décision ainsi prise antérieurement a
été diffusée par le ministre de
l'Intérieur, Kolokoltsev. Qui par
ailleurs a demandé la tête de deux
généraux.
Donc, dans une
affaire où l'accusation de fabrication
de cette affaire par les policiers
découle de la pression de deux patrons
de presse, action qui n'aurait pu être
possible sans l'accord de leurs
oligarques respectifs, la police a
été mise à genoux, démonstrativement,
ont été mouillés les plus hautes
autorités de l'Etat.
Et pour quoi ?
Pour arriver à
légaliser la production de drogue, sa
transformation, sa détention, son
transport s'il s'agit de consommation
personnelle, même en grande quantité ?
Ou bien s'agit-il d'une belle
technologie dirigée contre l'Etat qui a
montré trop de faiblesse ces derniers
temps, depuis le virage pris avec
l'arrivée de Kirienko à l'Administration
présidentielle ? La peur manifeste qu'a
inspirée le rattachement de la Crimée à
une pseudo-élite "pro-européenne" dans
le sens ukrainien, géorgien kirghiz du
terme a intensifié les exigences de
cette élite de recevoir des "preuves" de
bienveillance du sommet de l'Etat en
contre-partie de leur allégeance -
temporaire.
Certaines voix discrètement
commencent à poser la question. Golounov
n'est pas le but de tout ce bruit, il
est le moyen. La dimension que prendra
cette affaire va dépendre de l'instinct
de survie de l'Etat, qui, espèrons-le,
ne nous ramènera pas aux années 89-90.
La poussée de ces "élites" se répète,
les mêmes causes produisent les mêmes
effets.
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