Russie politics
Gilets Jaunes : la mise politique en
détention provisoire de Christophe
Dettinger
Karine Bechet-Golovko
Dimanche 13 janvier 2019
Christophe
Dettinger, après s'être rendu à la
police et avoir regretté publiquement
les coups portés aux forces de l'ordre
qui tabassaient des Gilets Jaunes à
terre, le gazage et les grenades de
désencerclement n'ayant pas été
suffisants pour faire reculer la foule,
il a été immédiatement placé en
détention provisoire par décision du
tribunal correctionnel. Si juridiquement
la décision est plus que surprenante et
semble emporter un renversement du
principe de liberté au profit de celui
de la répression, stratégiquement elle
s'explique tout à fait : au-delà des
grands discours bisounours d'un
monde merveilleux sans violence,
historiquement seule la violence a
jamais permis d'inverser un cours
politique. C'est d'ailleurs la raison
pour laquelle elle est réhabilitée pour
les forces de l'ordre, non pas
pour défendre l'Etat, mais le cours
politique anti-étatique radicalisé par
le régime de Macron. Les systèmes
juridiques libéraux sont caractérisés
par le principe de liberté. Toute
atteinte qui lui est portée ne peut être
qu'exceptionnelle et juridiquement
justifiée. Tel est, en tout cas, le
postulat théorique. Ainsi,
l'article 144 du Code de procédure
pénale souligne bien le caractère
dérogatoire de la mise en détention
provisoire, uniquement si toute autre
mesure moins restrictive comme le
contrôle judiciaire ou l'assignation à
résidence avec bracelet électronique, ne
peut permettre de garantir la protection
des preuves, des témoins, d'éviter que
les complices ne s'entendent, ou à
l'inverse en vue de la protection de la
personne mise en examen, pour empêcher
qu'elle ne se défile et n'échappe à la
justice ou, enfin, qu'elle ne réitère
les faits litigieux. Le dernier élément,
mettre fin à un trouble grave et
persistant à l'ordre public n'est pas
ici applicable, car il ne concerne pas
le correctionnel (les délits).
En réfléchissant à
ces éléments, la mise en détention
provisoire de
Christophe Dettinger est quelque peu
... surprenante, du point de vue
juridique. Le magistrat a estimé qu'un
contrôle judiciaire ou une assignation à
domicile n'était pas suffisant pour
empêcher 1) qu'il n'échappe à la justice
et 2) qu'il ne répète les faits.
Or, il s'est
lui-même présenté à la police, certes
deux jours après, mais il n'a pas été
nécessaire de le rechercher. Il n'a pas
été en fuite, il était avec sa famille,
il n'a pas quitté son emploi à la
mairie. Il n'y a donc aucun élément qui
laisse entendre que Christophe Dettinger
ait voulu se soustraire à la justice.
En ce qui concerne
la réitération des faits, il a présenté
ses excuses au tribunal, il a regretté
comme il se doit le recours à la
violence contre les forces de l'ordre.
Par ailleurs, il a expliqué son acte par
la révolte de voir un homme et une femme
à terre se faire tabasser. Christophe
Dettinger n'est pas une petite crapule,
qui aime à jouer des poings après avoir
arrêté la boxe. C'est un père de
famille, qui n'a jamais eu de problèmes
avec la justice, qui travaille dans les
services municipaux. Il vit sa vie
tranquillement. Mais n'a pas aimé
l'injustice et a défendu le faible
contre le fort.
Le juge, sans
grande surprise, a suivi à la lettre le
procureur, qui ne voulait pas du
contrôle judiciaire, mais exigeait le
placement en détention provisoire,
puisque lors de sa garde à vue (par la
police) Christophe Dettinger a refusé de
s'expliquer sur les faits ... Si
réellement un procureur de la république
a pu avancer une telle argumentation, le
niveau de la justice a sombré dans les
méandres du politique. Rappelons, quand
même, cette règle processuelle venue des
Etats-Unis, les
Miranda Rights, introduite en
France sous la notion de
droit de garder le silence en 2000,
qui s'impose dès le début de la garde à
vue. Rappelons également que, en
conséquence de cela, le droit français a
consacré, toujours dans la logique
américaine, le droit de ne pas
s'incriminer dès la garde à vue (et
d'être averti de ce droit), c'est-à-dire
de ne pas donner des éléments pouvant
être utilisés contre soi. Or :
Conformément aux réquisitions du
parquet, le tribunal correctionnel a
toutefois ordonné son placement en
détention provisoire afin d'«empêcher la
réitération des faits et une
soustraction à la justice», le
prévenu ayant refusé en garde à vue «de
s'expliquer sur les raisons de sa fuite».
L'argumentation du
procureur, repris par le magistrat, au
regard du droit français en vigueur,
surprend. Si parce qu'un individu ne
s'explique pas devant les policiers,
mais devant le magistrat, il faut le
placer en détention provisoire, alors il
serait souhaitable de modifier le Code
de procédure pénale ...L'absurdité
juridique de la situation oblige à voir
cette mise en détention sous un autre
angle, la question devenue très
sensible du recours à la violence.
D'un côté, toute violence est banie dans
notre société, ce culte du non-violent
est très récent mais bien ancré, et
chacun de s'excuser d'avoir eu un accès
(humain) de violence, une réaction de
ras-le-bol. De s'excuser de n'avoir pas
pris sa dose quotidienne de Lexomil, de
ne pas l'avoir augmentée, pour voir
comme le monde est beau, gentil, peuplé
de bisounours tous doux et plein de
calinoux. Les révolutions doivent alors
se faire en fleurs et en bonbon - pour
ne pas se faire. Pour que finalement
rien ne change. Et, à ce jour, ça
marche.
D'un autre côté, le
recours à la violence par les forces de
l'ordre s'intensifie sans cesse, car
dans le monde réel, pas celui des
bisounours, il est évident que seule la
violence permet de maintenir en place un
système idéologique minoritaire - ou de
le faire tomber.
Les canons à eau
sont réhabilités et ne discutent même
pas. En hiver, parfois contre une petite
poignée de manifestants. Les tirs de
flash ball à hauteur de visage - normal.
Frapper les gens à terre, les coincer
contre les murs et frapper - normal.
Lancer des grenades de désencerclement
non pas en les faisant rouler à terre,
mais en les lançant en l'air pour
qu'elles retombent dans la foule -
normal. Le gazage systématique - normal.
Les aérosols que les policiers
pulvérisent sur les visages des
manifestants, comme on arrose les
insectes dont on veut se débarrasser -
normal.
La police est en
légitime défense. Perpétuelle. A
priori en légitime défense, car a
priori lancée contre le peuple. Et
d'une certaine manière, c'est vrai.
Seulement, cela n'a rien à voir avec la
légitime défense dans le sens juridique
du terme, qui obligerait les policiers,
au cas par cas, à recourir à ces moyens
techniques uniquement pour se défendre.
Or, usage en est fait de manière
offensive. L'attitude est agressive. Et
cela n'a rien à voir avec le rôle de la
police, du maintien de l'ordre, de la
protection de l'Etat. Les ordres donnés
déshonorent les forces de l'ordre.
Leur application déshonorent les
policiers.
Et cette
violence-là est acceptée. Expliquée.
Normalisée. Le système se défend, il
maîtrise le discours et sait
parfaitement que seule la violence
permet d'obtenir des résultats. C'est
pourquoi Christophe Dettinger a dû être
écarté immédiatement. Il présente un
danger. Car il peut recourir à la
violence contre la violence et par là
même montrer le caractère illégitime de
la violence dirigée contre un peuple
désarmé et le fait même de cette
violence. Mais étrangement, l'on ne
retrouve pas les casseurs
professionnels, ni la racaille sur le
banc des accusés, car eux ne
représentent aucun danger pour le
système. Ils sont même très utiles pour
tenter de justifier la réaction
disproportionnée de la police. Pour
discréditer la violence du côté des
manifestants et la réhabiliter du côté
du régime. Un régime qui se maintient
grâce à ce mythe de la non-violence.
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le
dossier politique
Les dernières mises à jour
|