Russie politics
Qu'en est-il des exécutions
sommaires en Tchétchénie ?
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 12 juillet 2017
Suite au nouvel article à sensation du
journal russe d'opposition Novaya Gazeta,
la presse française s'emballe: des
exécutions sommaires, la Tchétchénie, de
la barbarie, c'est trop agréable pour
laisser passer et pour aller chercher
plus loin. Alors revenons sur quelques
faits.
Novaya Gazeta sort sa
nouvelle "enquête", toujours et
encore sur la Tchétchénie. Cette
fois-ci, il ne s'agit plus des
homosexuels, puisque selon les résultats
intermédiaires de l'enquête fédérale qui
est menée aucun fait n'a été confirmé,
mais d'exécutions de terroristes.
Il faut dire que le
fait d'exécuter des terroristes lors
d'opérations spéciales est en soi
crédible. Le Caucase est une pépinière
d'extrémistes qui partent, notamment en
Syrie. La Russie ne s'en est jamais
cachée et c'est d'ailleurs la raison
pour laquelle elle s'est engagée aussi
résolument contre Daesh.
Mais la manière
dont Novaya Gazeta présente les faits
laisse songeur. Ils auraient eu des
sources dans la police de la République,
le service d'enquête et l'administration
régionale. Evidemment, aucune source
n'est confirmée, elles restent anonymes.
On doit donc croire sur parole, une
parole qui a déjà été démentie, mais
passons. Ainsi, après l'assassinat d'un
officier de police par des extrémistes
le 17 décembre 2016, différentes
opérations spéciales ont été lancées
dans la République tchétchène contre les
groupes terroristes. Novaya Gazeta
affirme qu'environ 200 personnes ont été
arrêtées, de manière illégale, car
aucune accusation précise n'aurait été
formulée, et détenues dans des prisons
secrètes (l'image des prisons secrètes
de la CIA en Europe et en Irak a fait
des émules, au minimum dans les médias).
Ensuite, ces arrestations auraient été
"légalisées", toujours selon le
journaliste-expert du journal, le 20
février 2017. Ces sources miraculeuses
auraient fourni un album de photos
prises à différents moments avec des
signes + ou - à côté, parfois rien,
parfois un article. De cela découle le
nombre de personnes fusillées
sommairement dans la nuit du 25 au 26
janvier. Il y en aurait 27, mais
certainement 56.
Faites votre marché
... Il y a déjà quelques problèmes sur
les dates. La régularisation a eu lieu
après les exécutions? Si le nombre de
morts correspond aux signes à côté de
ces photos fournies par des sources
mystérieuses "bien renseignées",
pourquoi tant d'hésitation sur la
quantité? Si l'on parle de vies
humaines, la différence est
particulièrement importante, non?
Mais justement dans
ce flou totalement artistique, l'on
appréciera la phrase du
journaliste-expert-enquêteur et juge en
même temps, qui doit certainement le
dédouaner de toute action en justice au
cas où ces faits ne seraient pas
confirmés, ne sait-on jamais ...
"Les morts
parlent. Nous insistons. Bien que notre
information ait été confirmée par deux
sources (par le service d'enquête du
Comité d'enquête de la Tchétchénie et
dans l'Administration du dirigeant de la
Tchétchénie), nous ne pouvons pas
affirmer que dans la nuit du 25 au 26
janvier s'est passée en Tchétchénie
cette exécution sommaire, sans précédent
même pour la Tchétchénie".
Alors à quoi a
servi tout cet article? Toutes ces
"preuves si précises", si finalement,
vous n'en êtes pas sûr? A faire du bruit
et, officiellement, à demander qu'une
enquête soit réalisée?
Le problème est que
l'enquête a été ouverte il y a quelques
mois lorsque Novaya Gazeta a envoyé ses
informations aux services fédéraux
d'enquête et à
l'Ombudsman. Mais déjà dans deux
cas, les personnes se portent très bien,
merci. Pour le reste, il faut du
temps pour vérifier ce qu'il en est de
chaque individu, s'il a disparu, s'il
est vivant, ce qui s'est passé. Or,
attendre n'est pas dans l'intérêt des
"défenseurs de la Vérité". D'où ce
bruit. Il faut dire que pour l'instant,
les nombreuses accusations de Novaya
Gazeta contre la Tchétchénie ne sont pas
confirmées lors des véritables enquêtes.
Par ailleurs, dans
l'article, un flou volontaire est
entretenu entre ceux qui seraient portés
disparus, ceux qui auraient été arrêtés
mais libérés, ceux qui auraient été
abattus par balles et ceux qui seraient
partis en Syrie.
Ce qui a
suffisamment exaspéré l'Union
des journalistes tchétchènes qui
souligne ces imprécisions inacceptables
pour des accusations de cette
importance, demande au journal
d'apporter ses preuves et de ne pas se
cacher derrière des sources anonymes qui
permettent, selon ces journalistes, dans
le cas de Novaya Gazeta, d'écrire des
papiers de commande servant des intérêts
très précis, mais étrangers au pays.
Cette opinion est soutenue par l'ancien
Procureur de Crimée aujourd'hui députée,
N. Poklonskaya, qui voit dans une telle
insistance un besoin de destabiliser la
société multinationale et
multiconfessionnelle en Russie.
La presse
française, elle, retient l'essentiel:
des exécutions sommaires ont eu lieu en
Tchétchénie, la question, somme toute
subsidiaire, de l'enquête l'intéressant
peu. Pourquoi s'embarrasser avec les
détails:
Sur le sujet,
Amnesty International fait
surenchère d'objectivité en mettant en
haut de son texte dans un format
démesuré cette photo de Kadyrov,
laissant évidemment supposer que c'est
lui personnellement qui a pris un bain
de sang:
S'il est question
d'enquête pour la forme, la décision est
déjà prise par cette ONG:
Ces allégations
proviennent d’une source crédible et,
aussi terribles soient-elles, elles
paraissent parfaitement plausibles
concernant la Tchétchénie, où les
pouvoirs publics commettent des
violations des droits humains en toute
impunité.
Alors que Novaya
Gazeta affirme ne pouvoir rien affirmer
malgré ses sources si "crédibles", pour
Amnesty International tout semble déjà
être prouvé. L'enquête n'est que
formelle, elle doit confirmer les faits
et permettre l'inculpation des coupables
pré-choisis, sinon elle ne sera pas
objective. C'est la Tchétchénie,
What else?
Mais à quoi joue
Novaya Gazeta? Est-ce l'approche des
élections présidentielles qui stimule
tout cet activisme déformé? Ce journal,
qui nous avait habitué à d'intéressantes
enquêtes, par exemple sur les Groupes de
la mort chez les adolescents, est en
train de totalement se décrédibiliser.
Déjà les premières
accusations ne se sont pas avérées
exactes, mais il faut insister. Car
personne dans la presse étrangère ne
parle des conclusions intermédiaires de
l'enquête de police qui contredit le
parti-pris de l'enquête journalistique
sur les persécutions tant décriées des
homosexuels en Tchétchénie.
Tout ceci est
utilisé à l'extérieur, comme à
l'intérieur, à des fins qui n'ont rien à
voir ni avec la défense des droits des
hommes, quel qu'ils soient, ni avec la
défense de l'état de droit, puisque l'on
favorise une enquête de journalistes qui
ne garantit en rien les droits de la
défense ni l'objectivité de l'enquête.
La Tchétchénie est le point faible des
entités fédérées de Russie, cette carte
est jouée autant que possible.
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