Tillerson à Moscou: la position
américaine fragilisée
par la radicalisation du fond médiatique
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 12 avril 2017
Hier, en fin d'après midi, le Secrétaire
d'américain R. Tillerson est arrivé à
Moscou pour sa première visite
officielle. Cela dans un contexte
particulièrement tendu, après l'attaque
chimique à Idlib, les accusations
immédiatement formulées par la coalition
US à l'adresse d'Assad et de la Russie
qui aurait volontairement fermé les
yeux. Ces évènements auraient justifié
le bombardement de la base aérienne
syrienne en réponse par l'armée
américaine, sans autorisation du Conseil
de sécurité ni de son Congrès, donc hors
tout cadre légal, intérieur et
international. En plus de cela, une
suite de déclarations peu amènes se sont
enchaînées dans les heures qui
précédèrent l'attérissage de Tillerson,
posant un cadre informationnel
particulièrement radical.
Tillerson a pris
l'avion pour Moscou après la réunion du
G7, qui fut un échec total pour la
coalition anglosaxonne (Etats Unis et
grande Bretagne), la question de
l'élargissement des sanctions ayant été
totalement rejetée par les autres
membres du G7, sous l'impulsion de
l'Italie: il ne sert à rien de
chercher à mettre la Russie dos au mur,
il y a plus d'intérêts à dialoguer.
Other members of
the G7 appear to have been lukewarm on
the plan. "There is no consensus on
additional new sanctions," the Italian
Foreign Minister Angelino Alfano said,
adding that sanctions would be
counterproductive. Alfano said sanctions
risked isolating Moscow: "We must have a
dialogue with Russia and we must not
push Russia into a corner," he said.
C'est le premier
enjeu de ce nouveau tandem diplomatique
Johnson-Tillerson et c'est son premier
échec. Déjà l'annulation par Johnson de
sa visite en Russie a été très mal prise
et lui a fait perdre
toute crédibilité (traité de
"caniche" des Etats Unis), soumettant
officiellement la diplomatie anglaise à
l'américaine, mais c'est aussi l'échec
de Tillerson qui arrive sans le soutien
du G7, alors que tout le fond médiatique
de sa visite en Russie a été centré sur
la Syrie, justement pour mettre la
Russie en porte-à-faux et donner à
Tillerson l'avantage dans les
négociations. L'on notera les tweets du
Secrétaire d'Etat:
La presse
américaine titre la fin de l'ère Assad:
Sur le fond, le
Secrétaire d'Etat lance quasiment un
ultimatum largement diffusé dans les
médias: soit vous êtes avec nous, dans
le camp du Bien, soit vous êtes dans
celui des régimes autoritaires et vous
n'avez aucune perspectives sur la scène
internationale:
'Russia has really
aligned itself with the Assad regime,
the Iranians, and Hizballah. Is that
a...long-term alliance that serves
Russia’s interest, or would Russia
prefer to realign with the United
States, with other Western countries and
Middle East countries who are seeking to
resolve the Syrian crisis?'
Ce qui laisserait
sous-entendre que seuls les Etats Unis
luttent contre le terrorisme en Syrie,
position assez surprenante lorsque l'on
voit à quel point l'intervention de la
Russie a permis de faire reculer Daesh
qui, jusque là, ne faisait que
progresser contre Assad. La Russie a
l'intelligence de ne pas prendre cette
déclaration pour un ultimatum, la
porte-parole du ministère des affaires
étrangères russe rappelant que
cela n'a aucun sens de venir en Russie
avec des ultimatums.
Et à l'intérieur de
l'enjeu en lui-même de la visite et de
la rencontre avec S. Lavrov, se pose la
question de la rencontre avec le
Président russe, V. Poutine. Des bruits
contradictoires courent: il y aura un
rendez-vous - mais le porte-parole du
Kremlin a annoncé que rien n'était
inscrit dans l'agenda présidentiel, ou
bien il n'y en aura pas. Rappelons que
V. Poutine recevait J. Kerry lorsqu'il
était à Moscou. Les Etats Unis mettent
eux-mêmes la pression, ce qui montre la
fragilité de leur position. Mark
Toner, le porte parole du Secrétaire
d'Etat, déclare:
'If there is an
invitation for him to meet with Putin,
of course, he’ll do so. I think that’s a
decision for the Kremlin to make and to
announce, and up till now we’ve not seen
such an offer extended,' Toner said. 'Now,
it could come. So as I said...he’s
certainly willing to meet with President
Putin to discuss all of these issues.'
S'il y a une
invitation, R. Tillerson l'acceptera
évidemment. Pour l'instant, il n'y a pas
d'invitation. Ce qui est déjà une
claque. Le Président russe peut
évidement, au dernier moment, le
rencontrer, mais ce n'est pas une grande
marque de respect.
En effet, côté
russe, l'accueil est frais. Lors
de la conférence de presse entre les
présidents russe et italien qui se
tenait à Moscou alors que Tillerson
était dans l'avion vers la Russie, V.
Poutine semblait pour le moins exaspéré.
L'on appréciera sa déclaration à propos
de l'hystérie russophobe en Europe et
aux Etats Unis disant que la Russie
est encore prête à être patiente, en
espèrant que cette phase soit dépassée.
Voici ses réponses concernant la Syrie:
Pour reprendre les
deux
moments les plus importants: des
provocations sont en préparations qui
vont permettre de justifier de nouvelles
frappes américaines :
« Nous avons
des informations provenant de sources
différentes, selon lesquelles de telles
provocations, puisque je ne peux pas les
nommer autrement, sont en train d'être
préparées dans d'autres régions de la
Syrie, y compris dans la zone au sud de
Damas, où l'on envisage de placer à
nouveau quelque produit et d'accuser les
autorités syriennes de son utilisation »
Mais aussi, il est
difficile de ne pas faire de parallèle
avec
l'Irak:
« La
situation en Syrie me rappelle les
événements de 2003. A l'époque, les
représentants des États-Unis ont
présenté des prétendues armes chimiques,
qu'ils auraient découvertes en Irak,
lors d'une réunion du Conseil de
sécurité de l'Onu. Ensuite ils ont lancé
une campagne militaire en Irak qui a
ruiné le pays, entraîné la montée de la
menace terroriste et l'entrée de Daech
sur la scène internationale »
Trump vient
toutefois de déclarer sur
Fox ne pas avoir l'intention de
s'impliquer plus avant militairement en
Syrie.
Malgré les
accusations diverses et variées lancées
à l'adresse de la Russie, la visite du
Secrétaire d'Etat n'a évidemment pas été
annulée, c'est justement le rôle de la
diplomatie d'intervenir lorsque les
tensions internationales montent. Par
ailleurs, M.
Zakharova a clairement expliqué
pourquoi la Russie était intéressée dans
la visite de Tillerson: car, pour
l'instant, personne ne comprend la
politique étrangère américaine. En
effet:
“In my opinion,
nothing is clear to anyone now…We don’t
understand what they’re going to do in
Syria. And not only us. It’s not clear
to anybody what they’re going to do in
the Middle East, because the Middle East
is a very complex region...No one
understands what they’re going to do
with Iran. It’s not clear to anyone what
they’re going to do with Afghanistan.
And excuse me, I haven’t even mentioned
Iraq yet…No one understands what they’re
going to do with North Korea… Until
recently, few understood what they're
going to do with NATO.”
De part et d'autre
l'on a fait montre de sa force et de sa
résolution. Maintenant, les négociations
vont commencer, mais la position des
Etats Unis n'est pas très forte. Son
Président a un très faible soutien
intérieur et a cessé, en tant que tel,
de gouverner pour suivre les injonctions
qui viennent de l'establishment
qu'il était censé combattre et ce pour
quoi il avait eu un soutien populaire.
Il n'est donc plus apte ni à développer
une vision politique quelconque, ni à
faire contre poids aux dérives extrêmes
des néoconservateurs, ce que prouvent et
les frappes en Syrie et les menaces
contre la Corée du Nord. Sur le fond, en
Europe comme aux Etats Unis, il est
évidement que combattre le terrorisme
sans la Russie est un leurre et la
Russie n'a aucun intérêt à trahir ses
alliés, qui eux sont sur le terrain
contre Daesh. Objectivement, la
coalition US n'est pas apte à faire
tomber les groupes terroristes,
l'expérience l'a montré, surtout si
certains de ces pays continuent à les
soutenir. Elle ne peut pas plus proposer
un réel avenir au pays, les exemples
irakiens et libyens sont dans toutes les
têtes.
Finalement, en
forçant le fond médiatique sur la Syrie
et en multipliant les déclarations
cassantes, les Etats Unis ont eux-mêmes
fragilisé la position américaine pour
cette première rencontre décisive pour
l'avenir proche des relations avec la
Russie.
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