Russie politics -
Billet d'humour
Les nouvelles sanctions américaines
contre la Russie :
un pas est franchi
dans l'affrontement
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 10 août 2018 Après que les
Présidents russe et américains se soient
rencontrés, après l'invitation lancée
par Trump à Poutine pour poursuivre la
discussion à Washington, les Etats-Unis
se préparent à lancer une attaque sans
précédent contre la Russie, par
l'annonce de sanctions particulièrement
violentes et surtout en annonçant des
conditions de sorties absolument
dégradantes pour la Russie. Comment en
est-on arrivé là? Entre les Etats comme
entre les individus, chacun occupe la
place que l'autre lui laisse occuper. Ou
pourquoi la Russie a laissé le champ
libre à cette guerre ouverte?
Le fondement
avoué des sanctions : la mythique
affaire "Skripal"
Les sanctions sont
de retour et ne se sont pas faites
attendre longtemps. Après une incartade
en Corée du Nord il y a quelques jours,
où la Russie était accusée de ne pas
remplir les obligations découlant de la
résolution de l'ONU qu'elle avait votée
visant à isoler la Corée (voir
notre texte ici), elle est cette
fois-ci mise en cause pour cette
scabreuse affaire Skripal.
Selon le
Département d'Etat, la Russie est
responsable de l'utilisation d'armes
chimiques dans le cas de l'affaire
Skripal, ce qui entraîne la mise en
oeuvre de la loi américaine de 1991
obligeant le Président américain à
adopter des sanctions contre le pays
visé. Ce qui est publié sur le
site du Département d'Etat:
Following the use
of a “Novichok” nerve agent in an
attempt to assassinate UK citizen Sergei
Skripal and his daughter Yulia Skripal,
the United States, on August 6, 2018,
determined under the Chemical and
Biological Weapons Control and Warfare
Elimination Act of 1991 (CBW Act) that
the Government of the Russian Federation
has used chemical or biological weapons
in violation of international law or has
used lethal chemical or biological
weapons against its own nationals.Following a 15-day
Congressional notification period, these
sanctions will take effect upon
publication of a notice in the Federal
Register, expected on or around
August 22, 2018.
Le fait que
l'enquête soit encore en cours,
qu'aucune décision de justice n'ait été
adoptée - pour la simple et bonne raison
qu'aucun procès n'est en cours, que les
seules accusations proviennent d'organes
ou de personnalités politiques ne
semblent pas poser de problèmes: la
Russie est coupable. Comme le rappelle
RT dans cet article, le Président
tchèque avait affirmé que son pays avait
produit du Novitchok, une enquête
journalistique allemande affirmait que
l'Allemagne y avait eu accès dans les
années 90, le directeur général du
laboratoire militaire de Porton Down
avait démenti les autorités britanniques
et reconnaissait être dans
l'impossibilité d'établir un lien entre
la substance utilisée et la Russie,
etc.
Mais la Russie est
coupable et il faut adopter de nouvelles
sanctions, d'autant plus que deux
marginaux britanniques ont été touchés
par du parfum au Novitchok.
Et les services
spéciaux britanniques, hors enquête de
la police, permettraient à la
Grande-Bretagne de demander à la Russie
l'extradition de deux de ses
ressortissants qui auraient apporté le
flacon de Novitchok. Mais les noms ne
sont pas dévoilés et c'est la presse
britannique qui mène la danse, les
journalistes ayant depuis longtemps
remplacé les enquêteurs et les
magistrats, pour le plus grand plaisir
des politiques qu'il servent.
Des sanctions
"draconiennes" et des conditions
humiliantes
Les sanctions
envisagées sont, certes, fortes, mais
elles sont surtout mise en oeuvre de
manière particulièrement humiliantes
pour la Russie. Ces
sanctions sont envisagées en deux
vagues.
La première vague,
qui doit entrer en vigueur le 22 août,
est essentiellement économique. Elle
concerne l'interdiction d'exportation
vers la Russie de technologies sous
licence américaine, pouvant avoir une
double application, civile et militaire.
Si la Russie ne
déclare pas qu'elle n'utilisera plus les
armes chimiques et si elle ne laisse pas
des experts mandatés par l'ONU effectué
un contrôle total de ses sites, alors
une deuxième vague de sanctions sera
mise en place dans les 90 jours:
If Russia
does not provide “reliable” evidence
that it is no longer using chemical or
biological weapons and does not allow
on-site UN chemical inspections within a
90-day period, the US will
impose a second, “more draconian” set of
sanctions, as mandated by the Act, the
official said.
La
seconde vague de sanctions conduit à
une forte diminution du niveau déjà très
bas des relations diplomatiques entre
les deux pays, quasiment à la fin des
échanges commerciaux entre la Russie et
les Etats-Unis et même peut-être à
l'interdiction de vol de la compagnie
aérienne russe Aéroflot aux Etats-Unis,
qui reste en discussion.
Le coût de ces
sanctions peut être très élevé. La
bourse russe a déjà chuté, le rouble
aussi, ce qui est une réaction
conjoncturelle normale. Mais l'impact
attendu par le
Département d'Etat va bien au-delà
de cela. Il estime que les sanctions
doivent concerner toutes les entreprises
russes dans lesquels l'Etat détient une
participation, ce qui concerne selon
leurs données 70 à 80% de l'économie
russe et 40% de la main-d'oeuvre. Le but
réel est de provoquer une rupture entre
la population, les élites et V. Poutine
qui incarne le pouvoir en mettant à mal
la stratégie russe visant à minimiser
les effets des sanctions, sans
réellement répondre par ailleurs.
Puisque toutes les entreprises
américaines fonctionnent tranquillement,
les cabinets juridiques, financiers et
de conseil aussi.
Les conditions
avancées par les Etats-Unis sont en soi
inacceptables pour la Russie, ce que
déclare le
Kremlin. Car cela implique une
reconnaissance de faits que la Russie
dément. C'est la même démarche qu'avec
le rapport McLaren, dont une grande
partie a été démentie devant les
tribunaux sportifs, ce qui n'empêche pas
les autorités sportives internationales
d'exiger de la Russie une déclaration
reconnaissant le bien-fondé de ce
rapport. Ici aussi, faute de preuves et
vue le caractère strictement politique
de la démarche, les Etats-Unis ont
besoin "d'aveux" pour légitimer a
posteriori leur démarche.
Les éternelles
hésitations de la Russie
Face à cela, la
réaction de la Russie a toujours été
modérée, elle le reste, ce qui ne permet
pas d'infléchir la tendance. Il a fallu
adopter une loi sur des sanctions, qui a
déjà été largement critiquée car elle
risquerait de porter atteinte au
"confort" de vie. Une loi pour compenser
l'absence de volonté politique du
Gouvernement russe néolibéral, qui
refuse de toute sa force une réelle
réaction. De ce clan néolibéral
tellement impliqué dans le monde
anglo-saxon qu'il défend ses intérêts au
prix de celui du pays. Et l'on voit le
Premier ministre
Medvedev, très ennuyé de
devoir réagir sur les sanctions (selon
ses propres propos) déclarer que si les
Etats-Unis allaient toucher les banques
ou la monnaie, alors ce serait la guerre
économique. Si l'on sort de ce monde
virtuel dans lequel s'est cloîtrée cette
"élite", il saute aux yeux que les
banques sont déjà touchées, que la
monnaie est déjà touchée, que la guerre
économique n'est pas qu'une guerre
financière et que, justement,
économiquement, la guerre est déjà en
cours.
Ce n'est pas parce
que le Gouvernement ne veut pas voir le
conflit que celui-ci n'existe pas. En
refusant le combat, en se limitant à des
demi-mesures, en s'excusant presque avec
un "on ne fait que répondre", en
pleurnichant sur le "ce n'est pas
légal", le Gouvernement affaiblit
sérieusement la position de la Russie et
du Président dans ce conflit.
Evidemment, ce
n'est pas légal, ce conflit est hors du
domaine juridique, il est politique. Le
droit n'est qu'un instrument, non une
fin en soi. Et il ne remplace pas la
volonté politique, il la met en oeuvre.
Ou pas.
L'explication
toujours avancée est la protection du
"confort" tant du business que de la
population. Le business doit avoir
un "climat d'investissement" positif, la
population ses produits importés. Cela
fait penser à l'histoire de la
grenouille. Lorsque vous la déposez dans
l'eau tiède et que vous montez doucement
la température, elle ne se défend pas,
elle se laisse cuire. Si vous la jetez
dans l'eau brûlante, elle saute et se
sauve. Les sanctions contre la Russie
montent petit à petit et le pouvoir a
décidé de ne pas réagir brusquement,
pour que la population n'en perçoive ni
les effets, ni la dimension. Préserver
la paix sociale en espérant que la
situation se résolvera toute seule, par
un changement politique interne aux
Etats-Unis et que, puisque rien
d'important n'aura été pris, les
relations pourront d'elles-mêmes se
normaliser. Par un coup de baguette
magique.
Préserver la paix
sociale en préservant le matérialisme.
Plonger les gens dans une approche, des
justifications, une vision purement
matérialiste. Primaire. Mais la
grenouille sera-t-elle bientôt cuite?
Aura-t-elle alors la force de réagir? La
stratégie mise en place montre non
seulement ses faiblesses, mais ses
dangers. La philosophie du confort
montre l'incompatibilité entre le culte
du business et la revendication d'un
intérêt national, les intérêts privés ne
constituant jamais un intérêt général.
L'autre aspect de
la question est plus idéologique. La
Russie a pris l'option libérale, pensant
retrouver le Concert des Nations, quand
ce libéralisme-là n'est plus de bon ton
en Occident, passé au néolibéralisme
grâce à la globalisation et à la remise
en cause des Etats qu'il implique.
Paradoxalement, la Russie rend donc une
image "conservatrice", alors qu'elle
n'est que classiquement libérale, mais
dérange d'autant.
Ses hésitations
permanentes à répondre montre à quel
point elle ne veut pas de ce combat et
plus elle le dénie, plus les coups
portés se renforcent.
Pour dépasser le
conflit faut-il renforcer les relations
russo-américaines?
Pour qu'il y ait
relation, il faut deux parties prêtes à
coopérer et à dialoguer. Ce qui n'est
pas le cas. Quand les Etats-Unis
déclarent qu'ils ne veulent pas rompre
les relations, ils affirment qu'ils
gardent l'espoir que la carotte sera
avalée et que l'hégémonie américaine
sera confortée. Dans ce contexte, il est
impossible de renforcer les relations
russo-américaines.
Chaque rencontre de
Trump avec Poutine provoque une
aggravation de la situation, le
rencontrer à Washington ne présente
maintenant aucun intérêt pour Poutine.
Qu'il s'agisse d'un problème intérieur
aux Etat-Unis, que Trump soit un
"gentil" mais qu'il n'arrive pas à
maîtriser les forces politiques
américaines en jeu ou qu'il soit un
"méchant" qui joue sur les deux
tableaux, finalement ne change rien à
l'affaire. Soit il est faible, soit il
est retors et dans les deux cas la
Russie n'a pas intérêt à continuer à
jouer selon ces règles.
La Russie a
intérêt à briser ces règles.
Dans ce monde post-moderne de la
communication, le plus important est de
participer. Qu'il faille contester ou
supporter peu importe, il faut faire
partie du "dialogue". Le monde dans
lequel nous vivons ne supporte pas
d'être ignoré, son risque de disparaître
serait alors trop fort.
Mais ce ne sont pas
les faibles qui peuvent le mettre en
danger de cette manière, ce sont les
forts. La Russie a la possibilité
de briser les règles du jeu en rompant
temporairement le jeu. Sur les
dossiers-clés pour lesquels elle est
indispensable. En n'ayant pas peur de
sortir de sa zone de confort -
d'elle-même. Mais aura-t-elle la volonté
politique de le faire? Et surtout en
a-t-elle encore les ressources -
politiques, intellectuelles ?
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