Russie politics -
Billet en passant
Il ne fait pas bon vieillir en Macronie
Karine Bechet-Golovko
Samedi 9 novembre 2019
Pour la première fois dans notre pays, à
50 km d'Angers, l'Etat pourrait laisser
racheter par le privé un hôpital public
jugé non rentable, mais après qu'il ait
été remis à neuf. Au-delà des questions
financières, c'est en soi la négation
même de la mission de service public de
l'Etat au nom d'une rentabilité
douteusement appréciée. C'est un pas de
plus vers le discrédit volontaire de
l'institution étatique, auquel il n'est
plus donné les moyens de remplir sa
fonction. Ce qui le rend à terme
institutionnellement inutile et permet
une désintégration plus facile dans les
mécanismes de globalisation. C'est la
négation de l'obligation morale des
sociétés civilisées de prendre en charge
les plus faibles. Bienvenue en Macronie
! La
nouvelle est tombée, assez discrète, il
y a quelques jours.
L'hôpital public de Longué-Jumelles,
dans le Maine et Loire, est au bord de
la faillite après avoir été remis à neuf
et pourrait être cédé à moitié prix au
privé. Le département et l'Agence
régionale de santé devront décider qui,
de la personne publique ou du groupe
privé, récupèrera l'hôpital public
rénové.
Il faut dire que
l'opération est intéressante pour le
privé, puisque l'hôpital a été remis
entièrement à neuf, avec des unités
spécialisées, notamment pour la prise en
charge des personnes atteintes de la
maladie d'Alzheimer. Le coût total des
travaux s'élève à 24 millions et demi
d'euros. Or, il serait cédé pour
seulement 18 millions et demi d'euros.
Ce qui, même en comptant le passif de
600 000 euros, est une opération
intéressante pour le groupe privé, qui
gère par ailleurs des Ehpad.
Donc, dans cette
logique, l'Etat fait des travaux dans un
hôpital public, le renvend ensuite au
privé, car il est "au bord de la
faillite", à bas prix, gardant
l'intégralité du malus à la charge des
contribuables. D'autant plus que les
tarifs, si l'hôpital est ainsi racheté,
vont augmenter pour les patients.
Au-delà de la
question financière, plus que
discutable, l'on ne peut non plus
écarter celle fondamentale du rôle de
l'Etat. L'Etat a un sens lorsqu'il
remplit ses missions de service public,
c'est-à-dire lorsqu'il prend en charge
l'intérêt public, indépendamment de la
question des coûts et de la rentabilité.
Simplement parce que la logique
existentielle de l'Etat est autre que
celle du privé. Il ne doit et ne peut
servir des intérêts particuliers, il
organise la vie de la collectivité, la
défend, lui permet de prospérer.
Or, cet hôpital
accueille principalement des personnes
âgées et dépendantes dans cette commune
de 7 000 habitants. Les revenus des
personnes concernées sont limités et la
question de la possibilité d'accès à l'Ehpad
et aux soins hospitaliers se posent
réellement. Exemple :
Avec 1 000 euros de
retraite par mois, Denise, 92 ans, doit
déjà piocher dans ses économies pour
payer sa chambre à l'Ehpad. Alors cette
possible hausse des prix inquiète son
fils Christian, 69 ans, pour qui cette
augmentation ne serait qu'un début : "C'est
150 euros tout de suite, mais l'année
prochaine il y aura encore une hausse et
après ce ne sera plus maîtrisé ! Ce qui
m'inquiète, c'est qu'une entreprise
privée est là pour faire du bénéfice, il
y aura des investisseurs à rétribuer. Et
quel est le projet du privé ? Quelque
chose de grand standing, où tout le
monde ne peut pas aller ? Il y a quand
même beaucoup de gens ici qui n'ont pas
de famille, ils n'ont pas forcément les
moyens de payer... Comment ça se passera
pour eux, où iront-ils ?"
De son côté, le
maire de la ville plonge avec des
délices à peines voilées dans le
registre irrationnel de l'incantation :
"il faut voir le
privé comme une chance à saisir (...), il
faut juste y croire"
L'important ici est
de croire. Croire en le
dieu-marché. Croire en la suprématie du
privé sur le public. Croire. De toute
manière qui s'intéresse à la voix de
ceux qui ne pourront pas payer le
surplus du coût ? Ce ne sont plus des
citoyens à part entière, à peine encore
des humains - de toute manière indignes
d'intérêt.
Il est communément
accepté de dire que l'on mesure le degré
de civilisation d'une société à la
manière dont elle s'occupe des plus
faibles de ses membres. Dans le système
néolibéral porté par la Macronie, et qui
lui survivra sans aucun doute puisqu'il
s'agit d'une tendance globale, au regard
de ce critère, nous sommes en pleine
phase de régression et de barbarisation.
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