Russie politics -
Billet du jour
Assassinat de trois journalistes
russes
en Centrafrique: que s'est-il
passé?
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 2 août 2018
Trois journalistes
russes, envoyés par une organisation
financée par l'oligarque Khodorkovsky,
ont trouvé la mort en République de
Centrafrique alors qu'ils étaient venus
enquêter sur une société militaire
privée russe, qui assure la sécurité du
Président centrafricain, dans un pays
que la France considère historiquement
comme sa zone d'influence. Une partie de
ping-pong médiatique semble s'être
ouverte entre la France et la Russie. L'oligarque
Khodokovsky, qui avait été condamné par
la justice russe pour fraudes diverses
et variées dans le cadre des affaires
Yukos, continue son activité contre le
pays depuis sa libération, par grâce
présidentielle. Il finance ainsi
plusieurs plateformes d'opposition,
notamment l'organisme qui a
envoyé ces trois journalistes en
Centrafrique, journalistes
"expérimentés" et "certifiés", qui
avaient travaillé sur l'opposition
russe, sur la Tchétchénie ou sur le
Donbass - côté ukrainien.
Le but ici était
clair: une société militaire privée
russe, la Wagner, est accusée d'être
impliquée en Syrie ou en Ukraine, sans
pour autant avoir d'existence juridique
en Russie. Or, si des preuves n'ont pu
être obtenues dans ces zones, la Russie
a renforcé son influence en Afrique ces
dernières années. Elle livre des armes à
l'armée, forme des bataillons dans le
cadre de l'ONU et assure la sécurité du
Président. L'occasion est belle pour
relancer une énième enquête.
Bref, elle commence
à occuper beaucoup de place dans un
territoire qui n'est pas reconnu comme
étant le sien. C'est tribal, mais c'est
ainsi.
L'angle d'attaque,
pour la mettre mal à l'aise, était cette
société Wagner. C'est peut-être pour
cela que les journalistes se sont fait
pour le moins "discrets".
Pas de garde, ne se sont pas présentés,
rien. Ce qui leur a coûté la vie, selon
les dires du porte-parole du
Gouvernement centrafricain, M. Kazagui:
" Le meurtre des
journalistes par des coupeurs de route
appartenant à un groupe armé »est « une
hypothèse très plausible », a estimé
M. Kazagui, interrogé par l’AFP. « Ils
ont pris des risques très peu calculés
et à mon sens démesurés », a-t-il
ajouté.« Ils avaient
des visas touristiques. Ils ne sont pas
venus se signaler dans mes services, ni
à l’ambassade de Russie, ni à quelque
autorité que ce soit », a précisé M.
Kazagui.
Reste la
personnalité surprenante de ce
chauffeur, qui leur a été fourni par
leur contact à
l'ONU et qui, lui, a survécu,
déclarant par ailleurs:
Un journaliste
aurait été tué sur-le-champ, deux autres
seraient morts des suites de leurs
blessures, selon M. Kazagui, qui a
indiqué à l’AFP que l’un des
journalistes se serait violemment opposé
aux hommes armés qui voulaient voler
leur matériel. Ces détails ont été
fournis par le chauffeur du véhicule,
qui a été blessé, selon le ministre
Tout cela aurait
ressemblé à un fait divers, tragique,
mais somme toute banal, s'il n'y avait
eu cet article d'un journal africain
assez peu connu,
Palmares Centrafrique, pourtant
largement cité par les sources russes,
les journaux libéraux ou les agences de
presse. Or, cet article indique que les
trois journalistes ont tout d'abord été
enlevé, puis interrogés et torturés
avant d'être abattus. Deuxième
sensation: cela est le résultat des
basses-oeuvres de la France, qui
soutient activement les groupuscules
musulmans contre le pouvoir et ne peut
accepter l'influence de la Russie dans
la zone.
Très délicatement,
la Russie n'est pas la Grande-Bretagne,
elle discute cet article - dans sa
première affirmation, ne citant à aucun
moment la France, mais donnant une
importance considérable à cette source
et montrant par là-même qu'elle est au
courant. La
question des tortures est discutée,
tantôt avancée, tantôt démentie par le
ministère des affaires étrangères russe,
qui affirme par ailleurs ne pas être au
courant d'interrogatoires.
L'importance prise
par cet article est quand même
surprenant, article particulièrement
vindicatif contre la France, commençant
ainsi:
C’est maintenant
clair que la France est derrière les
perpétuelles crises qui paralysent la
République Centrafricaine. Celle qui a
longtemps été l’alliée inconditionnelle
des rebellions y compris la séléka vient
de frapper fort dans l’assassinat des
trois journalistes russes en zone séléka.
Les sous-entendus
de l'implication de "la Russie de
Poutine" arrivent et ici aussi ces
journalistes d'opposition sont beaucoup
plus utiles morts que vivant,
finalement, si l'on lit entre les lignes
le court texte d'Euronews:
L'ONG Reporters
sans frontières s'interroge sur la
crédibilité de la version officielle.
"La version officielle, celle d'une
attaque criminelle et d'une exécution à
des fins crapuleuses est une version
plausible. C'est effectivement une zone
dangereuse, explique Arnaud Froger,
chargé de l'Afrique à l'ONG Reporters
sans frontières. Maintenant il y a
évidemment d'autres hypothèses qui
peuvent être formulées. On sait qu'il y
a une forte présence russe en
Centrafrique. Dans quelle mesure cette
investigation sur des mercenaires russes
que menaient ces trois journalistes a pu
leur poser des problèmes, c'est une
question que l'on peut se poser, c'est
une question à laquelle l'enquête devra
répondre, puisque aucune piste à ce jour
ne doit évidemment être écartée, y
compris la piste professionnelle."
La Russie est présente militairement
en Centrafrique, officiellement
depuis le début de l'année.
L'objectif affiché est de venir en
aide à une armée en grande
difficulté.
Pourtant, la presse
française, au moins pour l'instant,
semble insister sur le crime crapuleux.
Pendant que la presse russe relance en
creux cet article impliquant la France,
sans la citer directement. Une sorte de
ping-pong médiatique donnant le temps à
l'hésitation avant de ne décider que
faire de cet élément, comment le
tourner. Mais laissant aussi le jeu au
politique, par l'intermédiaire de
signaux et de non-dits, de déclarations
partielles.
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