Opinion
Cher ami occidental
Karim Jbeili
Dynamitage
d'une maison palestinienne sous le
mandat anglais
Dimanche 2 novembre 2014
J'ai hésité à t’écrire par crainte que
mes arguments, un peu trop massifs, ne
te bousculent.
J'ai une opinion très dégradée de
l'Occident et je crains que tu ne te
sente touché par toute mon amertume.
Je m'aventure quand même.
Je crois que les Occidentaux savent très
bien qu'ils se sont débarrassés des
Juifs grâce à la terre des Palestiniens.
Ils sont doublement redevables
aux Arabes, d'abord d'avoir piqué leur
terre pour la donner aux sionistes et
ensuite de ce que ces mêmes Arabes
subissent à leur place, la légitime
colère des Juifs. Les Arabes ont non
seulement perdu leur terre mais sont
aussi devenus le bouclier humain des
Occidentaux.
Alors, évidemment, les Occidentaux ne
sont pas portés à comprendre le
problème. Si jamais ils se mettaient à
le faire ils reconnaitraient par là même
leur dette à l’égard des Arabes. Ils
s'en gardent bien.
L'Occident nous a coincé et nous
manipule comme il veut. Il vit, grâce à
nous, dans la quiétude. Je me demande
ce qui se serait passé en Europe si
l'Occident n'avait pas créé l'état
d'Israël. Peut-être que les
conséquences de la deuxième guerre en
Europe ne seraient pas encore terminées?
La hargne que l’on voit aujourd’hui se
déployer contre nous se serait alors
adressée à ses véritables destinataires:
les Européens. Au lieu de cela, c'est
nous les Orientaux qui portons les
conséquences des crises et des errances
de l'Europe et subissons depuis soixante
ans une haine qui ne nous est pas
destinée.
Si au moins les Occidentaux
reconnaissaient le vol et le viol qu'ils
ont commis à notre égard, ça allègerait
un peu de nos souffrances. Mais être
violé, volé et tué sans que personne ne
le reconnaisse, c'est intolérable. Les
techniques de dialogue et les
pourparlers de paix pour que les
prétendus frères ennemis s'entendent
sont bien-sûr inutiles. Comment
veut-tu, cher ami occidental, qu'on
dialogue avec son violeur, si le viol
n'est même pas reconnu?
Même les Juifs, quoique dans une moindre
mesure, sont pris avec cette situation
intolérable. Nous sommes tous les deux
comme des gladiateurs dans un cirque,
avec César qui s'impatiente dans sa
tribune parce que le combat dure trop
longtemps. Il pourrait interrompre le
combat, mais il s'en garde bien. Il en
profite trop. Comment pourrait-il se
priver d'un tel spectacle qui noie, tous
les jours un peu plus les protagonistes,
et l’intronise seul arbitre de la
situation ? Va-t-il lever ou baisser son
pouce ? Sauver ou laisser mourir Gaza ?
Désolé, cher ami, de t'avoir infligé
toute cette argumentation. J'espère que
tu ne m'en voudras pas trop d’évoquer
aussi la question de la démocratie.
Quand tu m’en parles je sens
combien tu en es fier, même si tu ne
tiens pas à ce que ça paraisse.
Pourtant la question de la
démocratie est malheureusement prise
dans une problématique tout aussi
suspecte que la précédente.
Elle a en quelque sorte perdu sa
virginité.
Je pense qu'il y a un très sérieux
problème quand on ne parvient plus à
distinguer entre un état véritablement
démocratique, c'est à dire qui se donne
pour tâche de représenter sa société
civile, et un état anti démocratique
qui, au contraire, façonne sa société
civile à son image et donc se fait
représenter par sa société civile. Non
seulement l'Occident ne parvient plus à
faire cette distinction, concernant
Israël en particulier, mais de plus, il
s'attaque au monde arabe, sous prétexte
qu'il n'est pas assez démocratique, et
veut le forcer, le couteau sur la gorge,
à le devenir.
Comment veux-tu, cher ami, que
les Arabes adhèrent à votre conception
de la démocratie si le premier vote
qu’il a connu de vous, après la guerre,
a été celui qui l’a spolié de sa terre
en 48 ? Et l'Occident est devenu le
propagandiste de cette prétendue
démocratie par les armes et le pillage
que j'appelle le démocratisme.
Bref la démocratie est devenue le
démocratisme, comme l'islam est devenu
l'islamisme et le judaïsme est devenu le
sionisme.
Nous pédalons dans une bouillie
d'idées qui n'ont plus aucun sens
tellement elles ont été dévoyées. Il
faut sauver la pureté de la démocratie,
de l'islam et du judaïsme en sachant
distinguer clairement entre ces
illuminations historiques et leurs
sous-produits haineux.
Voilà. Je crois que j'en ai beaucoup
dit. J'espère que tu me pardonneras ces
propos quelque peu virulents et que tu
rebondiras dessus pour faire ton miel.
Toujours avec amitié
Karim Jbeili
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