Actualité
Martin Luther King -
Lettre au président Macron sur le
racisme en France
Karfa Sira Diallo
Dimanche 30 août 2020
Alors que
l'Amérique célèbre le 57e anniversaire
de la marche de Washington dans un
contexte de tensions sociales exacerbées
et qu'à
Bordeaux une marche contre le racisme et
pour l'égalité se tient ce 28 aout,
une interpellation du président français
"immobiliste" sur les questions de
racisme.
Monsieur le
Président de la République,
Le 57e
anniversaire de la Marche de Washington
va donc se dérouler ce 28 aout sans que
vous ne joigniez votre voix à celle
d’Angela Merkel et celle de toutes
celles et ceux qui comprennent que ce
qui se joue dans les relations raciales
aux USA interroge le monde et constitue
un combat universel, à l’image du
discours historique que le révérend
Martin Luther King tiendra ce jour-là.
Comme pour George
Floyd, dont vous avez jusque-là
soigneusement omis le nom, le meurtre
public de deux militants de Black Lives
Matter à la suite du martyre que subit
Jacob Blake, criblé de balles et
définitivement handicapé par la violence
d’un policier blanc américain, survenant
quelques jours avant ce 28 aout 2020, ne
bousculeront pas votre conscience.
Qu’un président
français de votre génération perpétue
avec autant d’automacité et d’inertie
des siècles de silence et d’inaction sur
l’oppression multiséculaire dont sont
victimes les Noirs et leurs descendants
en Europe ne peut que heurter les
citoyens français mais aussi les
observateurs et admirateurs d’un Etat
qui a su aussi éclairer la voie de la
fraternité entre les hommes.
C’est que cet
aveuglement français sur les questions
raciales puise dans un déni qui remonte
à l’histoire de la République et à la
manière avec laquelle nous avons décidé
de mettre entre parenthèses plus de
trois siècles d’histoire des crimes
contre l’humanité que furent la traite
des noirs et l’esclavage. L’idéologie
qui les a justifiés et organisés, le
racisme, dont le laboratoire fut, autant
la plantation américaine, que les
ruelles de Bordeaux, Nantes et La
Rochelle où de jeunes Noirs ont été
déportés et mis en esclavage sur le sol
même d’un pays qui interdisait
l’esclavage depuis l’Edit royal de 1315.
Les discriminations
raciales que ces jeunes hommes et femmes
ont subies face aux règlementations de
la
Police des Noirs interdisant par exemple
les mariages, obligeant au port
d’une cartouche et emprisonnant dans les
« dépôts de noirs » de la façade
atlantique tout contrevenant, vont
laisser des marques indélébiles dans la
sédimentation des consciences citoyennes
mais plus encore dans les méthodes
d’accueil et de gestion des populations
descendantes de ces peuples que notre
appétit capitaliste va coloniser et
racialiser par la suite pour finir par
les river dans ces quartiers à la
périphérie de nos villes que nous
appelons aujourd’hui « banlieues ».
Pour paraphraser le
discours de Martin Luther King, de ce 28
aout 1963, « cent ans ont passé et le
Noir n'est pas encore libre. Cent ans
ont passé et l'existence du Noir est
toujours tristement entravée par les
liens de la ségrégation, les chaînes de
la discrimination ; cent ans ont passé
et le Noir vit encore sur l'île
solitaire de la pauvreté, dans un vaste
océan de prospérité matérielle ; cent
ans ont passé et le Noir languit
toujours dans les marches de la société
américaine et se trouve en exil dans son
propre pays. »
Pourtant cette
tragédie que dénonçait Martin Luther
King a traversé certaines consciences.
C’est le Défenseur
des droits de l’Etat Français, Jacques
Toubon, que nul ne peut soupçonner
d’activisme, qui établissait une
« discrimination systémique liée aux
origines »,
à l’issue d’une enquête et d’un rapport
publié le 22 juin dernier.
« Les personnes
d'origine étrangère ou perçues comme
telles sont désavantagées dans l'accès à
l'emploi ou au logement…plus exposées au
chômage, à la précarité, au mal
logement, aux contrôles policiers, à un
état de santé dégradé et aux inégalités
scolaires ». Jacques Toubon,
Défenseur des droits, 2014-2020
Ce rapport vous
l’avez complètement balayé dans votre
discours du 14 juin 2020.
Alors que George
Floyd n’était pas encore inhumé et que,
dès le 4 juin, Angela Merkel se mettait
à la hauteur des enjeux de civilisation
que pose la question des discriminations
raciales et déclarait que
« Le meurtre de George Floyd est une
chose terrible. Le racisme est une chose
terrible. La société américaine est très
polarisée…Le racisme a toujours existé.
Et malheureusement, c’est aussi le cas
ici en Allemagne », vous avez choisi
la posture défensive de lutte contre
« le communautarisme », cette lubie
intellectuelle très française que
l’extrême droite a réussi à inoculer
dans l’ADN de trop nombreux hommes
politiques.
Pendant que de
Londres à Berlin et de Bordeaux à Paris,
des dizaines de milliers de personnes,
dans une mobilisation interraciale
inédite, exprimaient leur solidarité à
George Floyd, déboulonnaient les statues
de criminels trop longtemps honorés,
exigeaient la fin des discriminations
raciales mais aussi et surtout la
justice sociale, vous décidiez ce
jour-là de parler de « déboulonnage de
statues » et de « séparatiste ».
Monsieur le
président,
A-t-on seulement vu
une demande de se séparer parmi ces
milliers de manifestants qui continuent
de scander le Black Lives Matter ?
A-t-on seulement vu
les jeunes, issus de l’histoire
coloniale et de l’immigration, choisir
la relégation imposée à leurs parents
dans les tours inhumaines où l’Etat
français les a, lui-même,
« communautarisés » depuis près d’un
siècle reproduisant des camps de
concentration et de confinement ?
Diriez-vous que les
« békés », qui vivent aux Antilles en
communauté fermée et endogène,
pratiquent un « communautarisme » ou un
« séparatisme » ?
Avez-vous entendu
les rares et courageux témoignages de
policiers indiquant « la
communautarisation » de la police
française et les discriminations liées
aux origines dans les méthodes
d’interpellation et d’interrogation ?
Pourquoi, depuis
vingt-ans, a-t-on progressé sur les
discriminations liées au handicap, à
l’orientation sexuelle, à l’égalité
femmes-hommes et pas sur celles liées
aux origines et à la couleur de la
peau ?
Comment est-on
aussi aveugle aux révélations des
inégalités raciales que le récent
confinement lié au Covid19 a exacerbé
parmi les soignant-e-s et les
patient-e-s issu-e-s de ces groupes
sociaux ?
Monsieur le
président,
Ce n’est donc pas à
une analogie simpliste avec la réalité
américaine que nous appelons en ce 57e
anniversaire de la marche de Washington
qui permettra l’édiction des lois
civiques les plus efficaces et
importantes du système juridique
américain : le Civil Rights Act de 1964,
qui déclare illégale la discrimination
sur la race, la couleur, la religion ou
le sexe et le - Voting Rights Act de
1965 interdiction des discriminations
raciales dans le vote.
Si la fracture
raciale est plus profonde aux USA qu’en
France, que le libéralisme y est aussi
plus violent et que la culture de la
propriété et de l'usage des armes à feu
y électrise et y criminalise les
rapports sociaux, il reste que
l’immobilisme que vous semblez incarner
aujourd’hui ne peut qu’aggraver le
malaise social et racial français.
En effet,
l’anniversaire du rêve de Martin Luther
King ne doit pas exclusivement diriger
nos regards vers l’Amérique. Le combat
contre le racisme est un combat
universel. Ne laissons personne nous
tromper sur ce point. Son histoire, sa
géographie et ses conséquences sont
insuffisamment connues car trop
"moralisées". C'est une question de
pouvoir surtout. Et, plus qu’ailleurs,
les symboles comptent. Ils sont la
marque de notre génération. Ils sont
l’espace de « l’en-commun » où nous
pouvons négocier un partage et une
conscience. Une vigilance.
Tournons nos
regards sur nous, partout où nous
sommes, ensemble, de toutes les
couleurs, exigeons des mesures
politiques plus vigoureuses.
Martin Luther King,
comme le mouvement des droits civiques,
n’avait pas pour horizon les droits
civiques. Le révérend voulait supprimer
la superstructure. Il entendait que
l’égalité soit aussi sociale, que les
richesses soient redistribuées, que les
Noirs, et les groupes violentés par
l’histoire capitaliste, ne soient plus
de citoyens de second rang, condamnés
définitivement à reproduire et à revivre
les mêmes violences du chômage, des
quartiers pauvres, du harcèlement
policier, des salaires indignes et des
écoles pourries.
Karfa Sira
Diallo
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