Opinion
« Les crimes et délits majeurs » d'Obama
Joseph Kishore et Barry Grey
Dianne
Feinstein (D-CA)
(Credit:
Reuters/Hyungwon Kang)
Samedi 15 mars 2014
Le discours
prononcé mardi au Sénat par la sénatrice
Dianne Feinstein donne des preuves
claires et directes de crimes contre la
Constitution américaine et les droits
démocratiques du peuple américain,
impliquant des hauts responsables de la
Central Intelligence Agency (CIA)
et de la Maison blanche, jusqu'au
président inclus. Les allégations de
Feinstein sur la tentative
d'intimidation de la CIA, ses
obstructions et son espionnage de la
Commission du Sénat sur les services de
renseignements, qu'elle préside,
constituent des « crimes et délits
majeurs, » qui selon la Constitution
permettent de lancer une procédure de
destitution (Impeachment).
Feinstein a des
liens étroits de longue date avec les
services de renseignements, qu'elle a
catégoriquement défendus suite aux mois
de révélations de l'espionnage illégal
mené par la National Security Agency.
Pourtant, mardi, elle a prononcé un
discours d'une heure dans lequel elle a
accusé la CIA d'espionner et de cacher
des documents au Congrès dans le cadre
d'une tentative de couvrir le programme
de torture que l'agence avait mené sous
le président George W. Bush.
Au cours de ses
remarques, elle a donné un historique
détaillé des actions criminelles de la
CIA, dont la tentative du directeur de
la CIA John Brennan d'intimider la
Commission du Sénat sur les services de
renseignements et de faire obstruction à
son enquête sur les crimes de l'ère Bush
en accusant des membres de la Commission
d'avoir volé des documents classés
secrets et en demandant au ministère de
la justice de lancer une enquête
criminelle. (Brennan, en tant que
directeur de l'anti-terrorisme sous
Bush, est impliqué dans le programme de
torture).
Le portrait qui
émerge est celui d'une agence de
renseignements qui opère en dehors de
toutes contraintes légales, rejette
toute supervision par le Congrès, et ne
connaît d'autre loi que la sienne.
La rapidité avec
laquelle les médias américains ont
enterré les remarques de Feinstein –
qu'ils ont en général attribués à une
simple « guerre d’influence » entre le
Sénat et la CIA – est en elle-même une
indication de la nature fondamentale des
crimes décrits par la sénatrice et de la
complicité des médias contrôlés par les
grands groupes dans ces crimes.
Ce qui se passe
n'est rien moins qu'une attaque ouverte
contre l'ordre constitutionnel qui fut
érigé en se fondant sur la Révolution
américaine, qui s’appuie sur la «
séparation des pouvoirs » et un système
de « contre-pouvoirs » entre le pouvoir
exécutif, le pouvoir législatif et le
pouvoir judiciaire – une chose que les
fondateurs considéraient comme
essentielle pour empêcher l'émergence
d'une dictature. L'obstruction de la CIA
à l'enquête du Sénat sur ses activités –
dont son refus de sanctionner la
publication d'une version déclassifiée
du rapport de la Commission qui fait
6300 pages – marque une étape dans
l'établissement d'une dictature de fait
de l'élite militaire et des services de
renseignements sur le peuple.
Le fait que la
maison blanche soit complice est clair à
la fois d'après le témoignage de
Feinstein et d'après la réponse du
gouvernement Obama à ces accusations.
Vendredi, le président Obama a tenté de
prendre la pose de l’arbitre neutre des
« questions soulevées entre la
Commission du Sénat et la CIA. » Il a
ajouté, cependant, que « Brennan en a
référé aux autorités appropriées, »
montrant clairement qu'il soutient le
directeur de la CIA et la décision de
l'agence de déposer une plainte au pénal
contre la Commission du Sénat sur les
services de renseignements. Ses
remarques répondent à celles de son
attaché de presse, Jay Carney, qui a
déclaré mardi qu'Obama avait « une
grande confiance » en Brennan.
La liste des crimes
et de personnes impliquées compte :
-
Le lancement en 2002 (sous le
directeur de la CIA George Tenet)
d'un système de détention secret
(les « sites noirs ») en divers
endroits du monde pour détenir et
torturer des prisonniers. D'après
Feinstein, une première revue de sa
commission sur ces programmes était
« glaçante ». Elle a affirmé, « les
interrogatoires et les conditions de
détention […] étaient bien plus
dures que la manière dont la CIA
nous les avait décrits. »
-
La destruction en novembre 2005 de
92 vidéos de tortures de la CIA,
dont des simulations de noyade [water
boarding]. Parmi ceux qui ont
approuvé la destruction de ces
vidéos, il y avait Robert Eatinger,
alors avocat de la CIA et
actuellement le chef du service
juridique de la CIA. C'est Eatinger
qui, au début de l'année, a informé
la Maison blanche des projets de
déposer une plainte au pénal contre
les membres de la Commission du
Sénat sur les services de
renseignements.
En 2010, Le
ministère de la Justice d'Obama a décidé
de ne pas déposer de plainte liée à la
destruction des vidéos – dans le cadre
d'une politique générale de blanchiment
et de couverture des crimes du
gouvernement Bush.
-
La commission du Sénat a voté pour
mener une enquête complète sur le
programme de détention de la CIA en
mars 2009. Dès le début, cette
enquête a été freinée par la CIA,
très probablement avec le soutien de
la Maison blanche d'Obama. Au lieu
de donner les documents, comme à
l'habitude, la CIA, dirigée à
l'époque par un ex-responsable du
gouvernement Clinton, Leon Panetta,
a demandé aux membres de la
Commission de les consulter dans un
bureau spécifique de ses bâtiments.
En 2010, d'après Feinstein, « des
documents […] qui avaient été
confiés aux membres de la commission
n'étaient plus disponibles. »
Dans ses remarques
mardi, Feinstein a dit que, « la CIA a
déclaré que le retrait des documents
était ordonné par la Maison blanche. »
Si cela est vrai, la Maison blanche est
coupable d'obstruction à une enquête du
Congrès sur des activités illégales de
la part de l’exécutif, dont la CIA.
Feinstein a noté que la Maison blanche a
nié avoir donné cet ordre.
-
En 2010, dans le cadre de son
enquête, la Commission a trouvé des
brouillons d'une enquête interne de
la CIA (la Panetta Review),
qui, d'après Feinstein, comprend une
« admission de fautes importantes de
la part de la CIA » - c-à-d,
d'activités criminelles. Ce rapport
n'a jamais été rendu public. Encore
une fois, ces documents ont été par
la suite retirés des ordinateurs
accessibles par la commission du
Sénat, mais des membres ont pu
enregistrer une copie de certains
documents qui y figuraient.
-
En décembre 2012, la Commission sur
les services de renseignements a
terminé son enquête sur le programme
de la CIA. En juin dernier, Brennan
a rendu une réponse de 122 pages au
rapport du Sénat, contredisant des
points essentiels de ce rapport.
Cette réponse, qui reste classée
secrète, contredit le propre rapport
interne de la CIA, la Panetta
Review, d'après Feinstein et
d'autres membres de la Commission.
-
En décembre dernier, la commission a
demandé que la CIA lui fournisse la
version complète de la Panetta
review. Brennan a refusé
d’accéder à cette demande et peu
après, le 15 janvier de cette année,
d'après Feinstein, il a informé la
commission que la CIA avait
secrètement espionné les ordinateurs
des membres de la commission et
indiqué que l'agence continuerait à
enquêter sur les membres impliqués
dans cette enquête. Feinstein lui
reproche que cela « a probablement
violé le principe de séparation des
pouvoirs » ainsi que « le quatrième
amendement, la Loi sur les crimes
informatiques et l'ordonnance 12333,
qui interdit à la CIA de mener des
fouilles et des surveillances à
l'intérieur du pays. »
-
La CIA a donné suite à ses fouilles
illégales en déposant une plainte au
ministère de la Justice, pour
obtenir une enquête criminelle
contre les membres de la commission,
et peut-être contre des sénateurs de
cette commission, dont Feinstein. La
Maison blanche a été informée de ces
plans en janvier et n'a rien fait,
donnant à ces actions son soutien
tacite. Feinstein a qualifié cette
action d'« effort potentiel pour
intimider cette équipe » et la
commission dans son ensemble.
-
Un reportage de McClatchy
mercredi affirme que plus de 9000
documents ont été cachés à la
commission par ordre direct de la
Maison blanche, alors même que Obama
n'a pas fait usage de son privilège
de l’exécutif [possibilité pour
l'exécutif de refuser de communiquer
des documents s'il prétend qu'ils
n'ont pas de lien avec l'affaire en
cours, les autres pouvoirs pouvant
tenter de démontrer le contraire,
ndt]. L'agence de presse cite
Elizabeth Goiein de la Faculté de
droit de l'Université de New York
qui note que, « ces documents font
soupçonner fortement que la Maison
blanche serait impliquée dans les
obstructions à cette enquête. »
-
Ces actions vont bien plus loin que
les crimes extrêmement sérieux
commis par Nixon lors du scandale du
Watergate, qui a entraîné sa
démission en 1974 face à une
destitution (Impeachment)
quasi-certaine. À tout le moins, il
y a des révélations d'infractions au
droit international et national (la
torture), de destructions de
preuves, d'obstruction à la justice,
de violation de la séparation des
pouvoirs et d'espionnage illégal.
Ils impliquent les
plus hauts responsables de la CIA de
cette période ainsi que les plus hauts
responsables de la Maison blanche dont
Obama lui-même. Ils ont été menés par
les hommes de confiance d'Obama. Brennan
était le premier conseiller d'Obama sur
l'anti-terrorisme au cours de son
premier mandat.
Tout cela a été
mené dans le dos du peuple américain.
Feinstein elle-même, en tant que chef de
la Commission du Sénat sur les services
de renseignements, a validé pendant
longtemps les crimes de l'Etat et est
complice dans cette opération de
couverture, elle ne fait une déclaration
publique qu'une fois contrainte par
l'offensive juridique de la CIA. Les
sénateurs avaient, dans ses termes, fait
tout ce qu'ils pouvaient « pour résoudre
ce conflit d'une manière discrète et
respectueuse » - c-à-d, à l’insu du
public.
En même temps, sous
Bush comme sous Obama, une appareil
d'espionnage massif et inconstitutionnel
fut construit, partiellement révélé par
le lanceur d'alerte de la NSA, Edward
Snowden. Une fois de plus, tout l'Etat
est complice, y compris la Maison
blanche d'Obama et Feinstein, qui ont
publiquement accusé Snowden de mener un
« acte de trahison. » Le président a
également admis ouvertement avoir
ordonné unilatéralement l'assassinat de
citoyens américains.
Une procédure de
destitution contre des responsables
gouvernementaux est totalement
justifiée, mais certainement pas
suffisante. Ces crimes contre le peuple
américain ne doivent pas rester impunis.
Tous les faits, ainsi que les noms de
tous ceux qui les ont perpétrés et ceux
de leurs complices doivent être rendus
publics.
Cela lèverait une
partie du voile sur la conspiration du
silence qui existe entre la Maison
blanche, les services de renseignement,
le Congrès, les tribunaux et les medias
qui ont donné à la CIA, au NSA, au
Pentagone le feu vert pour qu’ils
jettent aux orties le ‘Bill of Rights’
et établissent le cadre d’un
gouvernement totalitaire.
Il s’est passé
presque une quinzaine d’années depuis
l’élection volée de l’an 2000. Depuis,
l’attaque menée contre les droits
démocratiques a connu une escalade, tant
sous le gouvernement démocrate que sous
le gouvernement républicain. Cette
attaque est motivée par l’incroyable
augmentation de l’inégalité sociale
d’une part et d’autre part par un
tournant de plus en plus marqué vers le
militarisme. Le bilan de cette décennie
et demie démontre qu’aucune partie de l’establishment
politique ne fait plus preuve d’un
engagement sérieux vis-à-vis des droits
démocratiques.
La défense des
droits démocratiques est une question de
classe. L’apparition de formes
dictatoriales de gouvernement et
l’activité incontrôlée des agences de
renseignement ont leurs racines dans le
système capitaliste et dans les intérêts
de la classe dominante. La démocratie
n’est pas compatible avec la guerre en
permanence et la contre révolution
sociale.
Pour empêcher la
dictature et défendre ses droits
démocratiques, la classe ouvrière doit
s’organiser de façon indépendante, dans
une lutte contre le système politique et
économique existant et ce, sur la base
d’un programme socialiste.
(Article original
paru le 14 mars 2014)
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Publié le 15 mars 2014 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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