LE CRI DES PEUPLES
Nos dirigeants sont terrifiés :
pas par
le coronavirus, mais par nous
Jonathan Cook
Jeudi 26 mars 2020 Par Jonathan
Cook, le 24 mars 2020
Source :
https://www.jonathan-cook.net/blog/2020-03-24/coronavirus-terrified-us/
Traduction :
lecridespeuples.fr
On pourrait presque
sentir la sueur chargée de peur qui
suinte des pores des présentateurs des
émissions de télévision et des
publications de nos maîtres sur les
réseaux sociaux, alors que nos élites
politiques et médiatiques commencent à
comprendre ce que signifie et implique
réellement le coronavirus. Et je ne
parle pas de la menace qui pèse sur
notre santé.
Une vision du monde
qui a évincé toutes les autres idées
depuis près de deux générations
s’effondre. Elle n’a pas de réponses à
notre terrible situation actuelle. Il y
a une sorte de karma tragique dans le
fait que tant de grands pays
—c’est-à-dire des économies majeures—
sont aujourd’hui dirigés par les hommes
les moins équipés idéologiquement,
émotionnellement et spirituellement pour
faire face au virus.
Cela est clairement
exposé partout en Occident, mais le
Royaume-Uni est une étude de cas
particulièrement révélatrice [la France
macronienne peut également concourir
pour la palme d’or].
Traîner les
talons
Il est apparu ce
week-end que Dominic Cummings, la
puissance idéologique derrière le
Premier ministre britannique bouffon
Boris Johnson, a joué un rôle clé dans
le retard de la réponse du gouvernement
britannique au coronavirus, conduisant
effectivement la Grande-Bretagne sur la
(mauvaise) voie de contagion italienne
plutôt que sur celle du (bon) exemple
sud-coréen.
Selon des
rapports des médias ce week-end,
Cummings a initialement bloqué l’action
du gouvernement, arguant au sujet du
fléau à venir que « si cela signifie que
certains retraités vont mourir, tant pis
». Cette approche explique le traînage
des talons que nous avons vu pendant de
nombreux jours, puis des jours de
va-et-vient hésitant qui ne sont
parvenus qu’aujourd’hui à une décision
(confiner le pays pendant 3 semaines).
C’était il y a
deux semaines. Des milliers de personnes
étaient déjà mortes de par le monde,
l’OMS suppliait les gouvernements
d’imposer la distanciation sociale et de
tester massivement la population. Cette
négligence affreuse du gouvernement
Johnson [dans la vidéo, il se fait
l’avocat de l’attentisme via la théorie
de l’immunité de groupe] ne doit jamais
être oubliée ni pardonnée.
Cummings, bien sûr,
nie avoir jamais fait cette déclaration,
qualifiant l’allégation de «
diffamatoire ». Mais passons outre les
formalités. Est-ce que quelqu’un croit
vraiment —vraiment— que ce
n’était pas la première pensée de
Cummings et de la moitié du cabinet [et
de tout le gang de tocards autour de
Macron] lorsqu’ils ont été confrontés à
une contagion imminente qui, ils le
comprenaient, était sur le point de
réduire en miettes une théorie sociale
et économique qu’ils ont consacrée toute
leur carrière politique à transformer en
culte de masse ? Une théorie économique
dont —par une heureuse coïncidence— ils
tirent leur pouvoir politique et leur
privilège de classe ?
Et bien sûr, ces
monétaristes inconditionnels deviennent
déjà tranquillement des prétendus
socialistes pour traverser les toutes
premières semaines de la crise. Et il
reste de nombreux mois à courir.
L’austérité
rejetée
Comme je l’avais
prédit dans mon
dernier article, la semaine
dernière, le gouvernement britannique a
jeté aux oubliettes les politiques
d’austérité qui sont la référence de
l’orthodoxie du Parti conservateur
depuis plus d’une décennie, et a annoncé
une vague de dépenses pour sauver les
entreprises sans activité ainsi que les
membres du public qui ne sont plus en
mesure de gagner leur vie.
Le gouvernement
britannique paiera 80% des salaires
de
ceux qui ne travaillent pas durant la
crise du coronavirus.
Depuis le krach
financier de 2008, les conservateurs ont
rongé les dépenses sociales jusqu’à
l’os, créant une sous-classe massive en
Grande-Bretagne, et ont laissé les
autorités locales sans le sou et
incapables de couvrir le manque à
gagner. Au cours de la dernière
décennie, le gouvernement conservateur a
justifié son approche brutaliste avec le
mantra qu’il n’y avait pas d’ « arbre à
argent magique » pour aider durant les
périodes de difficultés.
Le marché libre,
selon eux, était la seule voie
fiscalement responsable. Et dans sa
sagesse infinie, le marché avait décidé
que les 1% —les millionnaires et les
milliardaires qui avaient anéanti
l’économie lors du krach de 2008—
deviendraient encore plus indécemment
riches qu’ils l’étaient déjà.
Pendant ce temps,
le reste d’entre nous verrait le
siphonnage de nos salaires et de nos
perspectives, afin que les 1% puissent
amasser encore plus de richesses et la
transférer sur des paradis fiscaux
insulaires, pour que nous et le
gouvernement ne puissions jamais mettre
la main dessus.
Le « néolibéralisme
» est devenu un terme mystificateur
utilisé pour ré-imaginer l’insoutenable
capitalisme tardif d’entreprise non
seulement comme un système rationnel et
juste, mais comme le seul système
qui n’implique pas de goulags ou de
files d’attente pour obtenir du pain.
Non seulement les
politiciens britanniques (y compris la
majeure partie du parti parlementaire
travailliste) y souscrivaient, mais
aussi l’ensemble des médias dominants,
même si le Guardian « libéral »
[équivalent du Monde en
importance, en atlantisme et en
hypocrisie], très occasionnellement et
très inefficacement, se
faisait des contorsions pour se
demander s’il était temps de faire en
sorte que ce capitalisme-turbo devienne
un peu plus attentionné et humain.
Seuls les dangereux
et délirants « sectateurs » pro-Corbyn
pensaient différemment.
Conte de fées
égoïste
Mais soudain,
semble-t-il, les conservateurs ont
trouvé cet arbre à argent magique, après
tout. Il était là durant tout ce temps,
ployant apparemment sous le poids des
fruits juteux à portée de main que nous
nous voyons pour la première fois
autorisés à cueillir.
Il n’est pas
nécessaire d’être un génie comme Dominic
Cummings pour voir à quel point ce
moment est politiquement terrifiant pour
le système. L’histoire qu’ils nous
racontent depuis 40 ans ou plus sur les
dures réalités économiques est sur le
point d’être révélée comme un conte de
fées égoïste. On nous a menti, et nous
allons bientôt le comprendre très
clairement.
C’est pourquoi
cette semaine, le politicien
conservateur Zac Goldsmith, le fils d’un
milliardaire récemment élevé à la
Chambre des Lords, a
décrit comme un « con » toute
personne ayant eu la témérité de devenir
un « critique de canapé » de Boris
Johnson. Et c’est pourquoi la célèbre «
journaliste politique » Isabel
Oakeshott, anciennement du Sunday
Times et habituée du programme de la
BBC Question Time, s’est exprimée
sur Twitter pour applaudir Mike Hancock
et Johnson pour leur dévouement et leur
esprit de sacrifice au service public
dans la lutte contre le virus.
Isabel Oakeshott
: Gardez une pensée ce matin pour le
secrétaire à la santé @MattHancock qui a
une énorme responsabilité en ce moment
et travaille des heures folles pour
aider la nation à battre ce virus. Les
jugements que lui et @BorisJohnson
doivent faire à chaque heure sont
tellement difficiles.
Jonathan Cook
: Gardez une pensée aujourd’hui pour les
journalistes dominants grassement
rémunérés comme celle-ci, qui sont
maintenant obligés de faire des heures
supplémentaires pour trouver des moyens
créatifs de donner une belle apparence
au gouvernement, et de couvrir leur
incapacité à demander des comptes aux
conservateurs durant des années de
rigueur qui ont ravagé les services de
santé.
Soyez prêts. Au
cours des prochaines semaines, de plus
en plus de journalistes vont ressembler
au corps de presse de la Corée du Nord,
avec des odes lyriques à notre « cher
dirigeant » et des exigences que nous
ayons confiance dans le fait qu’il sait
le mieux ce qui doit être mis en œuvre à
notre heure de besoin.
Sauvé par les
renflouements
Le désespoir actuel
de la classe politique et médiatique a
une cause substantielle, qui devrait
nous inquiéter autant que le virus
lui-même.
Il y a douze ans,
le capitalisme vacillait au bord de
l’abîme, ses défauts structurels étant
révélés pour quiconque se donnait la
peine de regarder. Le krach de 2008 a
failli briser le système financier
mondial. Il a été sauvé par nous, le
public. Le gouvernement a puisé
profondément dans nos poches et a
transféré notre argent aux banques. Ou
plutôt aux banquiers.
Nous avons sauvé
les banquiers —et les politiciens— de
leur incompétence économique grâce à des
renflouements qui ont été une fois de
plus mystifiés en étant appelés «
assouplissement quantitatif ».
Mais ce n’est pas
nous qui avons été récompensés. Nous ne
possédions pas les banques ni n’en
détenions une participation
significative. Nous n’avons même pas
obtenu de droit de regard en échange de
notre énorme investissement public. Une
fois que nous les avons sauvés, les
banquiers ont recommencé à s’enrichir
eux-mêmes et leurs amis, de la même
manière qui a bloqué l’économie en 2008.
Les renflouements
n’ont pas réparé le capitalisme : ils
ont simplement retardé pendant un
certain temps son effondrement
inévitable.
Le capitalisme est
toujours structurellement défectueux. Sa
dépendance vis-à-vis d’une consommation
toujours croissante ne peut pas répondre
aux crises environnementales
nécessairement liées à une telle
consommation. Et les économies
artificiellement « développées », en
même temps que les ressources
s’épuisent, créent finalement des bulles
gonflées de néant, des bulles qui vont
bientôt éclater à nouveau.
En mode survie
En effet, le virus
illustre l’un de ces défauts structurels
: c’est un avertissement précoce de
l’urgence environnementale plus large,
et un rappel que le capitalisme, en
associant la cupidité économique à la
cupidité environnementale, a assuré
l’effondrement des deux sphères en
tandem.
Des pandémies comme
celle-ci sont le résultat de notre
destruction d’habitats naturels
—consistant à faire pousser du bétail
pour des hamburgers, à planter des
palmiers pour des gâteaux et des
biscuits, à couper des forêts pour des
meubles en kit. Les animaux sont de plus
en plus rapprochés des zones d’habitat,
si bien que les maladies franchissent la
barrière des espèces. Et puis, dans un
monde de billets d’avion à bas prix, la
maladie trouve un transit facile et
rapide à tous les coins de la planète.
La vérité est qu’en
période d’effondrement, comme celle qui
dure depuis une décennie, le capitalisme
n’a plus rien, si ce n’est des « arbres
à argent magiques ». Le premier, à la
fin des années 2000, était réservé aux
banques et aux grandes sociétés, l’élite
de la richesse qui dirige maintenant nos
gouvernements en tant que ploutocraties.
Le deuxième « arbre
à argent magique », nécessaire pour
faire face à ce qui deviendra le bilan
économique encore plus écrasant du
virus, a dû être élargi pour nous
inclure. Mais ne vous y trompez pas. Le
cercle de la bienfaisance s’est élargi
non pas parce que le capitalisme se
soucie soudain des travailleurs, des
sans-abri et de ceux qui dépendent des
banques alimentaires. Le capitalisme est
un système économique amoral motivé par
le profit pour les propriétaires du
capital. Et ce n’est ni vous ni moi.
Article : les
sans-abris logés dans des hôtels.
Commentaire : On
pouvait donc mettre fin à ce problème si
facilement…
Non, le capitalisme
est maintenant en mode survie. C’est
pourquoi les gouvernements occidentaux
tenteront, pendant un certain temps, de
« renflouer » également des parties de
leur public, en leur redistribuant une
partie de la richesse commune qui a été
extraite pendant de nombreuses
décennies. Ces gouvernements vont
essayer de cacher un peu plus longtemps
le fait que le capitalisme est
totalement incapable de résoudre les
crises mêmes qu’il a créées. Ils
essaieront d’acheter notre déférence
continue envers un système qui a détruit
notre planète et l’avenir de nos
enfants.
Cela ne
fonctionnera pas indéfiniment, comme
Dominic Cummings ne le sait que trop
bien. C’est pourquoi le gouvernement
Johnson, ainsi que l’administration
Trump et leurs épigones au Brésil, en
Hongrie, en Israël, en Inde et ailleurs,
sont en train de rédiger une
législation d’urgence draconienne
qui aura un objectif à plus long terme
que celui immédiat de prévenir la
contagion.
Les gouvernements
occidentaux concluront qu’il est temps
de renforcer le système immunitaire du
capitalisme contre leurs propres
publics. Le risque est que, si
l’occasion se présente, ils commenceront
à nous considérer comme le véritable
fléau —et à agir en conséquence—, au
lieu de réserver ce traitement au virus.
Voir notre
dossier sur le coronavirus.
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