Opinion
Disparition des trois jeunes colons :
Les Israéliens font la sourde oreille
aux motifs d'enlèvement
Jonathan Cook
Photo:
D.R.
Samedi 21 juin 2014
Les menaces de mort affluent
quand la législatrice palestinienne
Haneen Zoabi exprime son désaccord avec
le consensus israélien et que Lieberman
la traite d'« incitatrice ».
L'apparent enlèvement de trois
adolescents – imputé par Israël au
groupe islamique palestinien Hamas – a
provoqué une vague de colère en Israël,
mais n'a guère incité les esprits à
examiner les causes de l'incident ou
l'à-propos réel de la réponse d'Israël.
Les jeunes, dont l'un est âgé de 19 ans
et les deux autres de 16, ont été portés
disparus depuis qu'on les a vus faire du
stop dans une zone d'implantation en
Cisjordanie, dans la soirée du 12 juin.
Une vaste opération militaire
israélienne, qui a entraîné des
arrestations massives de Palestiniens,
un bouclage de la ville de Hébron et des
raids contre des centaines de maisons,
n'est toujours pas parvenue à l'heure
qu'il est de les situer.
Il y a des signes que les tensions
montent rapidement. On rapporte que,
vendredi matin, un jeune Palestinien de
16 ans a été tué par balles par des
soldats israéliens au cours d'un raid
contre le village cisjordanien de Dura,
et qu'un autre Palestinien a été
grièvement blessé lors d'affrontements à
Qalandia. Des frappes aériennes
israéliennes contre Gaza ont blessé six
personnes, dont quatre enfants.
Mais, du fait que la plupart des
Israéliens accueillent favorablement la
réponse musclée d'Israël, un membre
palestinien du Parlement israélien,
Haneen Zoabi, a découvert le prix de ne
pas s'être jointe au chœur des
protestations. Cette semaine, on lui a
adjoint un garde du corps après qu'elle
a reçu une avalanche de menaces de mort,
mais elle a également fait l'objet d'une
enquête de la part du Ministère public
pour incitation.
Lors d'une interview, elle a refusé de
récuser les gens qui ont perpétré les
enlèvement comme de vulgaires «
terroristes », les décrivant en
lieu et place comme des gens poussés à
des actes de désespoir du fait qu'ils
vivent sous occupation.
Le ministre des Affaires étrangères,
Lieberman, a répondu en traitant Zoabi
de terroriste et en ajoutant :
« Le sort des kidnappeurs, et le sort de
Zoabi, une incitatrice, devrait être le
même. » Une page Facebook populaire en
Israël, toutefois, a incité l'armée à «
abattre un terroriste toutes les heures,
tant que les garçons ne seraient pas de
retour ».
Des
Palestiniens kidnappés
Suite à cette colère furieuse, Zoabi
s'est dit « surprise » par la
controverse, « puisque l'injustice
infligée au camp adverse est bien plus
grande. Il y a des milliers de
Palestiniens kidnappés dans les prisons
israéliennes ». Et de conclure :
« De même que je veux qu'on libère
les Palestiniens kidnappés, je veux
qu'on libère les jeunes [Israéliens]. »
Ce genre d'équivalence morale – bien que
justifié – est ce que très peu de Juifs
israéliens, au contraire de bien des
gens de la communauté internationale,
désirent entendre. Mais s'ils espèrent
éviter un avenir d'escalade incessante
de la violence qui va entraîner à la
fois les Israéliens et les Palestiniens,
ils feraient mieux d'écouter des voix
palestiniennes comme celle de Zoabi.
Comme l'a fait remarquer cette dernière,
les tentatives palestiniennes d'enlever
des Israéliens sont étroitement liées à
la question des 5.000 Palestiniens dans
les prisons israéliennes, et plus
particulièrement de près de 200 d'entre
eux qui sont en détention administrative
sans accusation. Plus de la moitié de
ces derniers sont en grève de la faim
depuis près de deux mois afin de
protester contre la poursuite de leur
incarcération.
Des groupes palestiniens ont longtemps
considéré les enlèvements d'Israéliens
comme un levier pour faire libérer des
prisonniers, comme cela s'est passé à
grande échelle en 2011 avec la
libération de plus de 1.000 prisonniers
en échange de celle d'un soldat
israélien, Gilad Shalit, capturé par le
Hamas cinq ans plus tôt.
Le gain d'outils de marchandage est
devenu est but tout aussi apprécié
depuis que le Premier ministre
israélien, Benjamin Netanyahu, a renié
en avril une promesse de relâcher un
dernier contingent de prisonniers à long
terme. Le président palestinien, Mahmoud
Abbas, s'est engagé dans des mois de
pourparlers de paix stériles en échange
d'un accord de libération de plus de 120
prisonniers.
En fait, Netanyahu n'a répondu aux
enlèvements par une nouvelle
manifestation de circonspection quant au
problème des droits des prisonniers,
mais en surenchérissant massivement sur
les motifs de griefs des Palestiniens à
propos des prisonniers.
Des
arrestations massives
L'armée israélienne procède dans
toute la Cisjordanie à des arrestations
en masse d'hommes politiques et de toute
personne ayant la moindre connexion avec
le Hamas. Elle ré-emprisonne aussi un
grand nombre de Palestiniens qui avaient
été libérés en échange de Shalit. Les
chances que l'une ou l'autre des 350 et
quelques personnes arrêtées jusqu'à
présent ait des informations sur les
enlèvements sont hautement improbables,
comme l'ont même admis les analystes
militaires israéliens.
En outre, le gouvernement se hâte, par
le biais de la législation, à vouloir
nourrir de force les prisonniers en
grève de la faim, et il a donné son
accord à la réintroduction effective de
la torture comme procédure usuelle
contre les personnes qu'il arrête. Ceci
annule un décret de la Cour suprême
israélienne qui, voici 15 ans, pour la
première fois, avait sévèrement limité
l'usage de la torture.
Plus susceptible encore de déchaîner les
passions que la question générale des
prisonniers, il y a celle de la façon
dont Israël traite les enfants
palestiniens. Jusque 700 d'entre eux
passent par les prisons israéliennes
chaque année, la plupart pour avoir jeté
des pierres et en fonction de preuves
que leurs avocats n'ont pas vues et ces
détentions s'appuient souvent sur des
aveux forcés de la part de l'enfant
lui-même ou de la part d'autres enfants
en détention. Le taux de condamnation
des mineurs d'âge dépasse 99 pour 100.
Des groupes des droits de l'homme font
remarquer qu'Israël est le seul pays qui
poursuit systématiquement des enfants
dans un système de tribunaux militaires.
Les raids nocturnes de l'armée
israélienne contre des maisons
palestiniennes, au cours desquels des
enfants de 10 ou 11 ans peuvent être
arrachés de leur lit à la pointe d'un
fusil, puis transférés dans des prisons
en violation de la législation
israélienne, ressemblent point par point
à des enlèvements, aux yeux de la
plupart des Palestiniens.
Les Israéliens et les observateurs
internationaux pourraient en arriver à
la même conclusion s'ils regardaient les
prises de vue horribles proposées dans
un documentaire récent diffusé par la
télévision australienne, Stone Cold
Justice.
Les
exécutions de la Journée de la Nakba
Ainsi, le slogan visible sur des
t-shirts partout en Israël - «
Ramenez nos garçons » – pourrait
tout aussi bien être porté par les
Palestiniens dans les rues de Ramallah
ou de Naplouse.
Les espoirs israéliens actuels de regret
de la part des Palestiniens pour les
enlèvements sont également peu
susceptibles de susciter beaucoup
d'introspection chez les Palestiniens.
Au lieu de cela, ils se demandent
pourquoi il y a eu si peu d'intérêt, et
de la part des Israéliens, et de la part
de la communauté internationale, quand
des soldats israéliens ont exécuté,
plutôt qu'enlevé, deux enfants
palestiniens le mois dernier près de
Ramallah, lors des protestations de la
Journée de la Nakba.
Plutôt que d'évoquer les tollés que l'on
entend actuellement, la plupart des
Israéliens ont rejeté les preuves
clairement visibles sur les prises de
vue de la vidéo de la mort par balle de
Nadim Nuwara, 17 ans, et de Mohammed Abu
al-Thahir, 16 ans. Tous deux étaient
désarmés quand ils ont été abattus. Une
autopsie récente a confirmé ce qui était
déjà manifeste : ils ont été tués tous
deux à balles réelles par des tireurs
d'élite israéliens.
Le dangereux repli sur soi d'Israël – et
son refus de considérer le cadre
politique et militaire élargi dans
lequel ont eu lieu les enlèvements – ne
sort que renforcé par la réponse
internationale. Les dirigeants mondiaux
qui se sont hâtés d'émettre des
condamnations à propos des enlèvements
n'ont pas exprimé semblables
dénonciations à propos des atrocités
israéliennes plus graves encore commises
sur des Palestiniens, tels les meurtres
de la Journée de la Nakba.
La Croix-Rouge intervient
Les organisations des droits de
l'homme n'ont pas fait mieux. Le
Comité international de la
Croix-Rouge, l'arbitre officiel des
Conventions de Genève, les fondements
des lois humanitaires internationales, a
publié une déclaration réclamant la
libération immédiatemediate des trois
adolescents israéliens.
Mais la Croix-Rouge évite soigneusement
d'émettre des déclarations critiques sur
les nombreux crimes de guerre israéliens
commis en appliquant l'occupation. Comme
on s'y attendait, la Croix-Rouge a
rejeté les requêtes l'invitant à
adresser un appel similaire à Israël
pour qu'il libère les enfants
palestiniens qu'il détient.
Ce que les réponses internationales ont
négligé de voir, c'est le contexte des
actes palestiniens de violence, tels les
enlèvements : le quasi-demi siècle
d'occupation belligérante de la part
d'Israël. C'est un acte de violence
permanent et incitatif contre le peuple
palestinien, acte auquel ce dernier
réagit parfois avec ses propres actes de
violence, mais plus limités.
Au lieu de voir ce fait en face, Israël
a répondu en écrasant sa botte militaire
encore plus fermement sur les gorges des
Palestiniens. Aujourd'hui, il exploite
l'indignation suscitée par les
enlèvements pour justifier l'élimination
de la présence politique du Hamas en
Cisjordanie, même si, jusqu'à présent,
il n'y a aucune preuve permettant
d'associer ces enlèvements au Hamas.
(C'est avec l'assistance des services de
sécurité de l'Autorité palestinienne
qu'Israël a arrêté la plupart des chefs
militaires du Hamas en Cisjordanie,
après la capture de Shalit en 2006.)
Affaiblir le
Hamas
Israël n'a même pas essayé de
dissimuler ses intentions. Un officier
supérieur, Nitzan Alon, a déclaré cette
semaine : « Le Hamas sortira
affaibli de cette confrontation, tant
sur le plan stratégique que sur le plan
opérationnel. Nous allons continuer à
l'affaiblir aussi longtemps qu'il le
faudra. »
Le ministre israélien de l’Économie,
Naftali Bennett, a été plus assertif
encore : « Nous allons transformer
l'affiliation au Hamas en un billet
d'entrée pour l'enfer. » Alors
qu'Alex Fishman, un analyste aux liens
étroits avec les services de sécurité, a
déclaré qu'Israël traitait la chose
comme « une occasion opérationnelle
unique » de « châtrer » le
Hamas en Cisjordanie.
Selon les médias israéliens, l'intention
d'Israël est non seulement d'arrêter la
direction du Hamas en Cisjordanie, y
compris ses dirigeants politiques et de
briser les reins à ses réseaux
caritatifs, mais aussi d'exiler sa
direction cisjordanienne à Gaza. En
bref, Israël a l'intention d'interférer+
directement dans la politique
palestinienne, en garantissant un État à
parti unique – sous le parti du Fatah
d'Abbas – en Cisjordanie et en
restreignant le Hamas au confinement à
l'étroit à Gaza.
Étant donné que les factions
palestiniennes se sont récemment mises
d'accord à propos d'un gouvernement
d'unité et qu'elles préparent des
élections dans les prochains mois,
Netanyahu a l'intention, en fait, de
briser la réconciliation palestinienne
et de priver les Palestiniens de
l'occasion d'élire leur direction. Ou,
comme se demandait l'analyste militaire
israélien Amos Harel à propos des
objectifs des opérations actuelles :
« La campagne se poursuivra-t-elle tant
que le président palestinien Mahmoud
Abbas n'aura pas renoncé publiquement à
l'accord avec le Hamas ? »
« Les portes
de l'enfer »
Netanyahu une fois de plus reprend le
beurre – en refusant de s'engager dans
de véritables négociations à propos d'un
État palestinien – et l'argent du
beurre, en mettant en l'air les efforts
palestiniens pour chercher d'autres
options diplomatiques pour mettre un
terme à l'occupation. C'est la
confirmation que Netanyahu est bel et
bien l'homme, et bien plus que les
kidnappeurs, qui menace toute chance de
coexistence pacifique entre Palestiniens
et Israéliens.
Le porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuhri,
a déclaré que les expulsions de la
Cisjordanie vers Gaza allaient «
ouvrir les portes de l'enfer ». Un
autre responsable du Hamas a exprimé une
mise en garde plus réaliste en disant
qu'une autre Intifada – ou insurrection
– était en vue et qu'elle se
déclencherait « lorsqu'une pression
suffisante serait exercée sur le peuple
palestinien ».
Mais la question la plus délicate pour
les Palestiniens est de savoir de
quelles stratégies de résistance ils
disposent réellement ? Et c'est ici que
se situe le paradoxe.
Car, du fait qu'Israël les a confinés
dans des espaces de plus en plus
restreints à l'intérieur des territoires
occupés, les Palestiniens ont trouvé les
outils qui leur étaient disponibles pour
résister davantage et de façon plus
restreinte aussi. C'est particulièrement
manifeste à Gaza, où les militants ont
adopté la stratégie du tir de roquettes
sur Israël – très condamnée à l'échelle
mondiale – principalement parce qu'il
n'y a pas d'ennemi auquel se confronter
directement. Une guerre contre les
drones qui volent en attente dans le
ciel sans qu'on les voie, n'est pas
encore envisageable.
Comme l'a suggéré Haneen Zoabi dans son
interview, les enlèvements d'Israéliens
sont une arme de faible, une façon dont
les Palestiniens peuvent riposter contre
ceux qui leur volent leurs terres sans
risquer le cours suicidaire de défier la
puissance de l'armée israélienne.
Une
surveillance de haute technologie
Mais les intentions israéliennes
d'affaiblir les structures
politico-militaires officielles de la
société palestinienne représentée par le
Fatah et le Hamas ne rendront pas moins
probables les actes de violence
opportuniste tels les enlèvements
d'adolescents israéliens. En fait, on
peut s'attendre à ce que de tels
incidents deviennent plus courants.
Les groupes à la bureaucratie lourde
comme le Fatah et le Hamas, qui
dépendant d'une planification
centralisée, ont éprouvé de plus en plus
de difficultés à agir contre Israël, en
cette époque de surveillance de haute
technologie. Les préparatifs
d'opérations de résistance ont
invariablement laissé une empreinte
visible pour les renseignements
israéliens.
En lieu et place, il y a des signes
révélant que des cellules bien plus
restreintes, largement indépendantes de
ces structures traditionnelles,
commencent à apparaître, peut-être
basées autour de certaines familles, au
sein desquelles les liens de loyauté
sont plus étroits et moins susceptibles
d'être infiltrés par Israël.
Les difficultés d'Israël à résoudre les
actuels enlèvements suggèrent qu'une
telle cellule, précisément, pourrait
être derrière cette opération. Rompre
les liens entre le Hamas et le Fatah et,
de la sorte, les affaiblir, pourrait
simplement accélérer ce processus.
De tels développements promettent un
avenir plein de traîtrise, plus encore
même pour les Palestiniens que pour les
Israéliens. Samir Awad, un professeur de
sciences politiques à l'Université de
Birzeit, près de Ramallah, a fait
remarquer que l'effondrement des
factions politiques pourrait aboutir à
ce qu'il appelle l'«
afghanistanisation » des
territoires occupés, avec des seigneurs
de guerre tribaux reprenant de petites
enclaves qui deviendraient ainsi leurs
fiefs personnels.
Dans l'intervalle, l'analyste Chemi
Shalev a mis en garde récemment contre
le fait que les enlèvements poussaient
les Israéliens au bord de la «
démence » collective submergée par
l'autosatisfaction sans bornes et
l'intolérance, « une société qui
perd son emprise sur elle-même ».
La vindicte publique contre Zoabi pour
avoir émis quelques simples vérités est
un autre signe de ce que la plupart des
Israéliens préféreraient continuer à
vivre dans un refus dangereux que de se
confronter à la réalité destructrice de
l'occupation.
Publié
Middle East Eye le 20 juin 2014.
Traduction : JM Flémal.
Jonathan Cook est
lauréat du prix spécial Martha Gellhorn
de journalisme. Ses ouvrages récents
sont « Israel and the Clash of
Civilisations: Iraq, Iran and the Plan
to Remake the Middle East » (Israël
et le choc des civilisations : l’Irak,
l’Iran et le plan de remodelage du
Moyen-Orient) (Pluto Press) et
Disappearing Palestine: Israel’s
Experiments in Human Despair (La
disparition de la Palestine :
expérimentations israéliennes autour du
désespoir humain) (Zed Books). Son
nouveau site Internet est :
www.jonathan-cook.net.
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