La minorité palestinienne d’Israël
a organisé sa première conférence BDS
Jonathan Cook
Samedi 5 mars 2016
L’importante minorité
palestinienne d’Israël a tenu sa toute
première conférence BDS le week-end
dernier, en dépit d’une législations
anti-boycott introduite il y a cinq ans,
en application de laquelle les militants
sont passibles de lourdes pénalités
financières. Un des participants y a vu
un signe que la minorité palestinienne
est en train d’émerger lentement du “règne
de la terreur” instauré par cette
loi.
Les dangers inhérents à la promotion
de la campagne BDS à
l’intérieur d’Israël sont mis en
évidence par les difficultés rencontrées
par les organisateurs de la conférence
pour trouver une salle. Un cinéma privé
de Nazareth a accepté d’accueillir
l’événement, après que plusieurs autres
salles publiques de Haïfa
aient refusé, apparemment par crainte
d’être sanctionnées par le gouvernement
israélien.
La question de savoir dans quelle
mesure il est possible, pour les 1,6
million de citoyens palestiniens
d’Israël de promouvoir BDS
était en tête de l’ordre du jour de la
conférence, avec plusieurs orateurs
traitant des aspects juridiques et
stratégiques.
L’allocution d’ouverture de la
conférence a été prononcée par
Mohammed Barakeh, responsable
du “Haut Comité de suivi”, un
organisme de coordination qui représente
toutes les factions politiques, ce qui
est un signe d’une évolution de principe
de la direction palestinienne en Israël
en faveur du soutien politique à
BDS. Barakeh a
déclaré que BDS est “une
forme importante de solidarité avec les
Palestiniens” et cause une panique
croissante parmi les dirigeants
israéliens.
Il y a, dit-il, un lien entre “le
soutien à BDS et notre survie dans les
conditions actuelles” de
montée du racisme israélien,
l’assassinat de Palestiniens par les
“forces de sécurité” israéliennes,
l’expansion des colonies et
l’enracinement de l’occupation.
Il a relevé les arguments, faisant
écho à ceux qu’utilisaient jadis les
partisans de l’Afrique du Sud, selon
lesquels BDS
infligerait surtout des souffrances aux
travailleurs palestiniens. “Les
combattants anti-apartheid en Afrique du
Sud avait une réplique simple :
l’apartheid nous nuit plus encore”.
Barakeh a admis que
BDS pose des problèmes
particuliers aux Palestiniens d’Israël.
“Nous ne pouvons pas tout boycotter.
Nous avons besoin d’écoles, de
passeports, de sécurité sociale. Nous
avons le droit d’être des citoyens et de
vivre dans notre patrie.”
Menaces juridiques
La conférence – intitulée “BDS
et les Palestiniens de 1948 : entre
l’influence internationale et le
contexte local” – avait connu
une longue gestation. En 2009, les
factions politiques des Palestiniens
d’Israël avaient mis sur pied un groupe
de travail appelé “Comité
Boycott ’48” – en référence aux
Palestiniens qui avaient réussi à
demeurer sur leur terre en 1948 et
finalement devinrent des citoyens
israéliens – afin d’examiner la question
du soutien à BDS.
Les lignes directrices qu’il avait
formulées en 2012 furent enterrées par
l’entrée en application de la loi dite
“anti-boycott” que le parlement
israélien avait adoptée un an plus tôt.
Cette loi exposait toute personne qui, à
l’intérieur d’Israël, appelle au
boycott, même limité aux seules
colonies, à une faillite potentielle sur
décision d’un tribunal civil israélien.
Les entreprises et les citoyens
israéliens, ainsi que les colons,
étaient en effet en droit de leur
réclamer des dommages et intérêts
illimités [1].
La conférence est maintenant
redevenue possible, ont admis les
organisateurs, parce que l’an dernier la
Cour suprême israélienne, tout en
rejetant un recours visant à
l’annulation de la loi, a posé des
limites en ce qui concerne son
application [2].
L’événement était sponsorisé par
trois groupes : le “Comité
Boycott ’48”,
Mitharkeen, un groupe d’action
directe comprenant des Palestiniens
d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza, et
Hirak Haifa, un groupe
de jeunes basé dans la grande cité du
nord d’Israël.
Sawsan Zaher, une
avocate appartenant au centre de soutien
juridique aux Palestiniens d’Israël Adalah,
a passé en revue les implications pour
les citoyens israéliens de promouvoir
BDS, ainsi que les
moyens d’éviter les procès. La loi
de 2011, a-t-elle souligné, interdit à
toute personne qui préconise BDS
de bénéficier de la moindre commande
publique ou d’émarger au budget de
l’État de quelque manière que ce soit.
Peu de Palestiniens d’Israël sont
concernés par le premier cas de figure.
Mais des entités comme des associations
culturelles, des partis politiques, des
écoles, des bibliothèques qui ont reçu
des subventions de l’État pourraient
être prises comme cible, ce qui rendrait
malaisé pour les institutions
palestiniennes de manifester leur
solidarité.
Propagande sioniste
L’an dernier, un arrêt de la Cour
suprême a cependant atténué l’impact sur
le militantisme au sein de la société
civile, qui a retrouvé une certaine
marge de manœuvre. Les juges ont en
effet estimé qu’un plaignant qui réclame
des dommages-intérêts doit démontrer
qu’un appel en faveur de BDS
a causé un dommage mesurable et qu’il
existe un lien de causalité direct entre
le militantisme et le dommage subi.
Le fait d’exprimer un soutien à
BDS en général, ou
l’appel à un boycott des colonies, ne
rentre plus dans le cadre de la loi,
a-t-elle estimé, mais bien le fait de
viser une entreprise en particulier.
Raja Zaatry, qui
représentait le “Comité Boycott
’48” a estimé qu’un combat mené
en Israël dans le cadre de la campagne
BDS doit être
précautionneusement adapté aux réalités
locales. L’objectif de la loi de 2011
était de “terroriser la société
israélienne” et le principal défi
de la campagne BDS
était de gagner une place dans le
courant dominant parmi les Palestiniens
en Israël.
La priorité des priorités, a-t-il
suggéré, devrait être de faire en sorte
que la minorité palestinienne cesse
d’être impliquée dans les propagande
sioniste contre BDS.
Comme d’autres participants à la
conférence, il s’en est en effet pris
aux Palestiniens d’Israël qui
contribuent à “blanchir” l’image
d’Israël à l’étranger. La chanteuse
Mira Awad a été
nommément prise à partie pour ses
apparitions dans des spectacles [1] à
l’étranger pour représenter Israël,
comme elle le fit en Espagne ou en Inde.
Prenant un autre exemple, Zaatry a
relevé que l’université d’Ariel, située
dans
une colonie du même nom implantée au
cœur de la Cisjordanie, a exploité
le fait que 300 citoyens palestiniens y
étudiaient pour suggérer qu’elle fait la
promotion de la coexistence. A ses yeux,
la minorité palestinienne devrait
commencer par lancer des campagnes
contre l’Université d’Ariel et les
produits des colonies [juives de
Cisjordanie].
Les Palestiniens d’Israël pourraient
aussi renforcer le mouvement
international BDS en mettant en évidence
non seulement les brutalités de
l’occupation, mais également le racisme
systématique auquel ils sont confrontés
à l’intérieur d’Israël.
Mais il a aussi mis en évidence
certaines complexités : “Nous devons
être prudents. Beaucoup de Juifs
israéliens boycottent déjà les
communautés palestiniennes à l’intérieur
d’Israël, comme Nazareth. Nous ne
désirons pas alimenter ce genre de
racisme avec notre propre forme de
boycott contre leurs cités”.
Cette vidéo de solidarité provenant
d’Afrique du Sud a été projetée au cours
de la conférence :
Boycotter la Knesset
La campagne BDS a
été confrontée à son plus redoutable
défi dans l’arène politique en Israël.
Le comité avait évité de formuler des
propositions qui soient sources de
division, a expliqué Zaatry,
en particulier en ce qui concerne le
problème le plus controversé au sein de
la minorité palestinienne : faut-il ou
non boycotter le parlement israélien ?
Les élus de la “liste
conjointe”, qui rassemble quatre
factions politiques, constituent
actuellement le troisième plus important
groupe politique à la Knesset.
Deux autres partis, le parti laïc
Abnaa al-Balad, et le
Mouvement islamique,
récemment déclaré hors-la-loi, ont l’un
et l’autre rejeté l’idée de participer
aux élections nationales.
La position du comité avait reçu
l’appui de Omar Barghouti,
un des fondateurs du mouvement
BDS. Au cours d’une table-ronde
il a déclaré que la décision de
boycotter la Knesset
devrait attendre jusqu’à ce que se forme
un consensus plus large sur la question.
Quoique la “liste conjointe”
n’ait pas adopté les lignes directrices
de BDS, Zaatry
fit remarquer qu’une des factions qui la
composent, le Parti Communiste,
a adopté l’an dernier une résolution qui
soutient le boycott des colonies. Les
membres d’une autre faction,
Balad, ont exprimé leur soutien
à cette même politique.
Mais Zaatry a aussi
rappelé que les partis politiques
exercent des pressions : il y a deux ans
Avigdor Lieberman, qui
était à l’époque Ministre des Affaire
étrangères, avait fait pression sur
l’Université de Haïfa pour qu’elle
licencie Yousef Jabareen,
qui était à l’époque maître de
conférences et qui siège aujourd’hui à
la Knesset, parce qu’il
avait participé à un débat sur
BDS.
Un objectif important, a encore
estimé Zaatry, était de
bâtir une lutte commune avec les Juifs
israéliens sympathisants afin de contrer
la propagande gouvernementale selon
laquelle le soutien à BDS
relève de l’antisémitisme.
Le rôle du milieu universitaire
Anat Matar,
philosophe de l’Université de Tel Aviv a
abondé dans le même sens. Elle a
souligné que le milieu universitaire
israélien fait partie intégrante de
l’oppression des Palestiniens, en raison
des liens étroits entre les universités
et les diverses industries israéliennes
du secteur de la sécurité. Les
universités israéliennes se donnent
aussi beaucoup de peine pour établir des
relations fortes avec les milieux
universitaires à l’étranger.
Faisant écho à l’appel de
Zaatry pour que la campagne
BDS en Israël soit très
pragmatique, elle a affirmé que les
universitaires sympathisants devraient
refuser des conférences internationales
en Israël. Mais, dit-elle, elle préfère
participer à des conférences à
l’étranger : “Je me sens
plus libre de dire ce que je pense
réellement de BDS quand je suis à
l’étranger”.
Omar Barghouti, pour
sa part, a mis en évidence les succès de
la campagne BDS depuis
son lancement par la société civile
palestinienne en 2005, et l’importance
de garder le mouvement ouvert à tous, y
compris les Juifs israéliens.
Selon lui, la loi de 2011 implique
que la minorité palestinienne ne peut
pas prendre des entreprises pour cible
[d’un boycott], mais il suggère que des
militants collectent et publient des
données à propos de ceux qui tirent des
profits de l’occupation. Il a exhorté
les militants à se montrer aussi
créatifs que possible.
D’autres militants ont encore tenté
de formuler des suggestions pratiques
quant aux moyens pour les citoyens
palestiniens d’Israël de contribuer au
mouvement BDS.
Haneen Maikey, de
Al-Qaws, une
organisation qui milite pour la
diversité sexuelle et de genre au sein
de la société palestinienne, a souligné
que la communauté LGBT
[4] devrait travailler dur pour
contrecarrer la propagande d’Israël en
matière de “pinkwashing” – les
efforts d’Israël pour se faire passer
pour “gay-friendly”. Cette
propagande a été conçue pour “détourner
l’attention des violations des droits
humains au détriment des Palestiniens”.
Elle a ajouté que les mouvements
LGBT en Israël devraient
persuader leurs homologues étrangers de
ne pas participer à des événements tels
que la “Gay Pride March” à Tel Aviv. Ils
devraient aussi se montrer très présents
lors de conférences LGBT
à l’étranger afin d’essayer de contester
la narration israélienne, dont les
agents s’y montrent très actifs.
Les profiteurs de l’occupation
Hadeel Badarneh, de
l’organisation “Who
Profits ?”, qui dévoile
quelles sont les entreprises qui tirent
profit de l’occupation, a expliqué qu’il
est important de penser au-delà du seul
cas des industries de sécurité et des
colonies, et de prendre en considération
ce qu’elle appelle “l’infrastructure
israélienne du contrôle économique”.
Tnuva, producteur
israélien de produits laitiers à
capitaux chinois, a tiré profit du fait
que la population de la Cisjordanie
était dépendante de ses produits pour
créer un monopole qui représente 60
millions de dollars pour la seule
Cisjordanie.
De manière similaire, la compagnie
Nesher a pris le
contrôle de 85% du secteur de la
construction dans la zone, y compris en
ce qui concerne la fourniture de la
majeure partie du ciment nécessaire pour
la reconstruction de la Bande de Gaza
après les agressions destructrices
répétées d’Israël contre l’enclave.
Elle note qu’on constate une tendance
croissante aux “investissements
éthiques”, et les militants
jouent discrètement un rôle pour exercer
une pression sur les entreprises pour
qu’elles se retirent d’Israël.
Les questions culturelles aussi
fortement mises en évidence
Suha Arraf, qui
avait suscité la fureur des dirigeants
israéliens en 2014 en désignant le film
Villa Touma comme un
film palestinien alors qu’il avait été
financé par des fonds israéliens, a
exprimé les difficultés rencontrées par
les artistes palestiniens pour trouver
des moyens de financer leur travail.
Elle dit que les pays arabes refusent
de financer des projets, qu’ils
considèrent comme participant de la “normalisation”
[de l’occupation], tandis que l’Autorité
Palestinienne manque de moyens
financiers. Les bailleurs de fonds
étrangers, quant à eux, n’acceptent
généralement d’intervenir qu’en
complément de financements d’origine
locale.
Elle estime que le mouvement
BDS se doit de mettre au point
des sources de financement alternatives
si on attend des artistes qu’ils
rejettent l’aide israélienne.
Liens culturels
La conférence a aussi entendu une
intervention de Ali Muasi,
un enseignant qui a été récemment bien
malgré lui une vedette des médias
locaux.
Muasi
a été licencié samedi dernier par son
école, située dans la ville
de Baqa al-Gharbiyya,
au centre d’Israël, parce qu’il avait
projeté devant ses élèves un film
palestinien intitulé “Omar”,
qui traite des efforts agressivement
déployés par Israël pour recruter des
collaborateurs dans le but d’affaiblir
la société palestinienne.
Alors que jusqu’ici il n’est
nullement apparu que Ali Muasi
ait violé une quelconque règle, le
Ministère de l’éducation n’a jusqu’à
présent manifesté aucune intention de le
soutenir contre ce licenciement.
Muasi a parlé des
exigences contradictoires du boycott et
de la nécessité pour les Palestiniens en
Israël et dans les territoires occupés
de maintenir des relations politiques et
culturelles avec le monde arabe. Il
rejette la position actuelle de
BDS selon laquelle des artistes
arabes peuvent se rendre dans les
territoires occupés alors que les
Palestiniens vivant en Israël ne le
pourraient pas. Selon lui, il faut
s’opposer aux visites dans les deux cas.
“Nous devons soumettre de telles
visites à une condition : est-ce
qu’elles nous aident à progresser vers
notre projet de libération nationale ?”.
A son avis, la plupart des visites
n’offrent rien de plus que du
divertissement, tout servant
principalement à conférer de la
légitimité à Israël. Grâce à l’Internet,
a-t-il ajouté, il est aisé pour les
Palestiniens de maintenir des liens
culturels avec la région sans devoir s’y
rendre. “Nous devons nous
demander dans quelle mesure ces visites
nous aident à changer notre situation.
C’est la même question que nous devons
nous poser en ce qui concerne notre
participation à la Knesset.”
A des membres de l’assistance qui
exprimaient leur opposition à ses vues,
Muasi a rétorqué que si
des artistes arabes exprimaient
clairement leur opposition à
l’occupation il seraient traités de la
même manière que l’intellectuel
étatsunien Noam Chomsky,
à qui Israël a refusé l’entrée du
territoire en 2010. Néanmoins,
Muasi fait une exception en ce
qui concerne les Palestiniens vivant en
exil. Il estime qu’ils devraient venir –
même si pour cela ils ont besoin de
l’autorisation des militaires israéliens
– car le renforcement de leurs liens
avec la patrie palestinienne est une
priorité.
[1] selon cette
loi, les plaignants ne devaient même pas
prouver l’existence d’un quelconque
préjudice dans leur chef. – NDLR
[2] En 2009, Mira Awad fut la
première Arabe choisie pour représenter
Israël au Concours Eurovision de la
chanson aux côtés de Noa – NDLR
[3] LGBT :
Lesbiennes, gays, bisexuels et trans,
terme utilisé pour désigner les
personnes non hétérosexuelles et/ou
cisgenres. – NDLR
Cet article a été publie sur le site
Mondoweis le 2 mars 2016 sous le
titre “Emerging from a ‘reign of
terror’: Palestinians in Israel hold
first BDS conference”.
Traduction : Luc Delval
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