Opinion
Nigeria: le rapt de Boko Haram utilisé
pour justifier le renforcement du
dispositif militaire des Etats-Unis en
Afrique
Jean Shaoul
Photo:
D.R.
Mardi 13 mai 2014
Les Etats-Unis ont envoyé des «
conseillers » militaires et de la
sécurité au Nigeria pour aider le
gouvernement du président Goodluck
Jonathan à secourir plus de 200
lycéennes enlevées par le groupe
islamiste Boko Haram.
La Grande-Bretagne a également envoyé
des forces de sécurité. L’ancienne
puissance coloniale a déclaré jeudi
vouloir travailler en étroite
collaboration avec Washington.
Vendredi, le secrétaire d’Etat
américain John Kerry a dit: « Notre
équipe inter-agences est actuellement
sur le terrain au Nigeria et va
travailler de concert avec le
gouvernement du président Goodluck
Jonathan pour faire tout ce qui est
possible pour rendre ces filles à leur
famille et à leur communauté. »
Les enlèvements fournissent à
Washington, dont les demandes de mise en
place d’opérations militaires et de
renseignement depuis le Nigeria ont subi
à maintes reprises des rebuffades, une
occasion en or pour prendre pied dans ce
pays riche en pétrole et représentant
actuellement la plus grande économie
d’Afrique. Cette initiative fait partie
des efforts entrepris pour établir une
série de bases militaires dans toute la
Corne de l’Afrique, le Sahel et
l’Afrique occidentale.
Cette décision est dans la droite
ligne d'un « pivot vers l’Afrique » plus
large visant à s’assurer la mainmise sur
les énormes ressources minérales et
énergétiques du continent et à contenir,
sinon exclure, la Chine de l’Afrique. La
Chine a désormais dépassé les Etats-Unis
en tant que principal partenaire
commercial de l’Afrique et dispose
d’importants investissements miniers,
énergétiques et d’infrastructure sur le
continent.
Les Etats-Unis ont utilisé la «
guerre contre le terrorisme » pour
justifier leurs interventions en Afrique
du Nord, au Sahel et actuellement dans
l’Etat d’Afrique occidentale du Nigeria.
Mais, la réalité est que la guerre des
Etats-Unis et de l’OTAN en vue d’un
changement de régime en Libye, menée
partiellement du moins parce que le
dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait
des décennies durant bloqué les efforts
de Washington pour dominer l’Afrique, a
contribué à déstabiliser l’ensemble de
la région.
Les divisions
politiques de l’Afrique
Les forces
islamistes, cette fois-ci Boko Haram,
précisément des forces que les
Etats-Unis et l’OTAN avaient soutenues
et armées en Libye comme force par
procuration sur le terrain dans la
guerre visant à faire tomber Kadhafi,
sont utilisées comme bête noire pour
justifier l’intervention des forces
militaires américaines.
Les grandes
puissances européennes, qui jadis
régnaient sur une bonne partie de
l’Afrique mais qui n’ont plus les
ressources militaires pour reprendre le
contrôle de leurs anciennes possessions
coloniales, ont salué les interventions
militaires américaines en Afrique, tout
récemment en Libye, au Mali, au Niger et
en République centraficaine, comme moyen
de protéger leurs propres intérêts.
C’est en ayant à
l’esprit les intérêts géostratégiques
américains que le gouvernement Bush
avait créé le commandement américain en
Afrique (AFRICOM). Le gouvernement Obama
a élargi AFRICOM pour totaliser quelque
5.000 hommes stationnés en Afrique avec
une présence dans 38 pays. Les
Etats-Unis ont présentement plus de
troupes en Afrique qu’à n’importe quel
autre moment depuis leur intervention en
Somalie en 1993.
AFRICOM a aussi une
composante civile lui fournissant un
développement, une bonne « gouvernance »
et une couverture « humanitaire »
capable d’influencer la politique
intérieure et étrangère des Etats
africains dans une situation où il
existe une opposition très répandue
contre le stationnement de forces
militaires américaines. Vu qu’aucun pays
africain n’a voulu accueillir une base
militaire américaine complète, AFRICOM
est basé à Stuttgart en Allemagne.
L’ampleur de son
activité est vaste. Le commandant
d’AFRICOM, le général David Rodriguez, a
dit que l’année dernière l’armée
américaine avait réalisé 546 « activités
» sur le continent, soit 172 de plus
qu’en 2008, portant le total à un
millier d’« activités » au cours des
années.
Le site internet
TomDispatch.com a obtenu l’accès à une
réserve de documents d’information
militaire non divulgués précédemment et
préparés en 2013 pour de hauts
commandants et des responsables civils.
Il a révélé que les opérations
militaires étaient bien plus vastes
qu'on n'en avait précédemment fait état.
L’armée américaine en Afrique a
participé à près de 80 pour cent des
activités de l’AFRICOM. Durant 2012 et
2013, ses activités, incluant au moins
49 des 54 pays africains (mis à part
l’Egypte), comprenaient des opérations
de commando spéciales tout comme
l’entraînement des forces par
procuration. L’année dernière, les
Forces spéciales américaines ont procédé
à Nzara, dans la banlieue de Yambio au
Sud-Ouest du Soudan, à des exercices
d’entraînement avec l’Armée populaire de
libération du Soudan.
Un niveau
d’activité semblable est prévu pour 2014
et qui comprendra des exercices complets
avec les forces armées d’au moins 20
pays africains ainsi que des activités
de « contre-terrorisme. »
Il y a quelques
semaines encore, AFRICOM effectuait des
manœuvres navales non loin du port
nigérien de Lagos sous prétexte de
renforcer la sécurité des Etats de
l’Afrique occidentale. Selon la radio
Deutsche Welle, « Plus de 30 navires
de guerre de 20 pays participent à de
grandes manœuvres le long de la côte de
l’Afrique de l’Ouest. En plus de 11 pays
d’Afrique occidentales, la France,
l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne et
les Pays-Bas ainsi que le Danemark, la
Turquie, le Brésil et les Etats-Unis ont
déployé des navires, ce qui en fait les
plus grandes manœuvres d’Afrique. »
Parmi les participants non africains, la
plus importante présence était celle de
l’Allemagne.
En février de cette
année, des troupes des opérations
spéciales américaines formaient à la
tactique contre-révolutionnaire des
troupes tunisiennes dans une base
éloignée de Tunisie occidentale.
Washington affirme
n’avoir qu’une « présence légère » en
Afrique avec seulement une seule base
permanente pour AFRICOM dans le camp
Lemonnier à Djibouti, minuscule Etat
situé dans la Corne de l’Afrique et
adjacent à l’Erythrée, l’Ethiopie et la
Somalie. Cette base est utilisée pour le
lancement d’attaques de missiles depuis
des drones et des frappes aériennes au
Yémen, en Somalie et en Afrique
orientale. Son agrandissement est prévu
pour un budget de 750 millions de
dollars.
Mais, l’examen des
documents officiels par TomDispatch
montre qu’en fait les Etats-Unis opèrent
à partir de sept sites coopératifs (CSLs)
et d’un nombre de sites avancés (FOLs)
au Gabon, au Kenya, au Mali, au Maroc,
en Tunisie, en Namibie, au Sénégal, en
Ouganda, en Ethiopie et en Zambie. Ils
ont conclu un accord avec Sao Tome en
vue d’une base navale sur place pour la
sauvegarde des intérêts pétroliers
américains dans le Golfe de Guinée.
Les forces
spéciales du Joint Special Operations
Task Force-Trans Sahara utilisent pour
leurs « activités à haut risque » une
base aérienne dans la capitale
Ouagadougou du Burkina Faso tandis
qu’une unité de renseignement, de
surveillance et de reconnaissance (ISR)
opère depuis le Tchad. L’armée
américaine compte 29 accords pour
utiliser des aéroports internationaux en
Afrique comme centres de ravitaillement.
En janvier 2013, le
président Barack Obama avait annoncé
avoir signé un accord avec le
gouvernement nigérien pour le
déploiement, dans un premier temps dans
la capitale Niamey au Niger, de 250 à
300 militaires, dont des équipes de
pilotes, de sécurité et d’entretien à
distance. Il n’y aurait, dans cet
accord, « aucune contrainte liée à la
coopération militaire-militaire ».
L’armée de l'air
des Etats-Unis a utilisé Niamey pour le
lancement de drones Predator vers le
Mali, faisant partie du soutien
militaire des Etats-Unis à l’invasion
française qui incluait le transport
aérien de troupes françaises et
africaines et le ravitaillement d’avions
militaires français qui ont bombardé des
villes contrôlées par des insurgés
islamistes et des séparatistes touaregs.
Dans le cadre de l’opération au Mali,
les forces spéciales américaines ont été
envoyées au Niger, au Nigeria, au
Burkina Faso, au Sénégal, au Togo et au
Ghana.
Dans les 15 mois
depuis l’annonce de l’accord, les
activités des Etats-Unis depuis Niamey
ont considérablement augmenté.
L’aéroport international est maintenant
régulièrement utilisé pour le lancement
de drones pour la surveillance aérienne
de tous les pays d’Afrique du Nord et du
Sahara et pour mener des frappes
aériennes contre leurs adversaires. Un
responsable du département d’Etat
américain a prévenu que ceci était une
campagne « ouverte » qui pourrait durer
des années et n’était que la « première
phase. »
Les Etats-Unis
projettent de construire un nouveau
complexe au Niger et d’autres bases de
surveillance en Ethiopie et aux
Seychelles, tandis que des indications
laissent entendre qu'ils disposent d'un
complexe près de Gao, au Mali Nord,
précédemment inavoué. Les forces
américaines avaient formé l’officier
militaire qui avait renversé en 2012 le
gouvernement élu du Mali.
En janvier,
Washington avait reconnu avoir envoyé en
décembre une équipe de conseillers en
Somalie. C’est la première fois que des
troupes américaines sont stationnées là
depuis que des combattants de la milice
de la capitale Mogadiscio avaient abattu
deux hélicoptères et tué 18 militaires
américains lors de l’incident « Black
Hawk Down » de 1993. Le but prétendu est
de « soutenir » les troupes de l’Union
africaine qui combattent les islamistes
d’al-Shabab en Somalie.
Les Etats-Unis ont
aussi une force d’action rapide de 550
marines qui est stationnée à la base
aérienne de Morón en Espagne. Avec six
V-22 Osprey, appareil à rotor basculant
qui décolle et atterrit comme un
hélicoptère, et deux ravitailleurs en
vol, les marines sont capables de voler
des milliers de miles vers des endroits
éloignés en Afrique. Le mois dernier, le
gouvernement espagnol a approuvé
l’augmentation du nombre de soldats
jusque 850 et le nombre d’avions jusque
16.
(Article original
paru le 10 mai 2014)
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Publié le 13 mai 2014 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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