Analyse
La « fin de
l'histoire » ou
le temps messianique
Jean-Claude Paye
©
Jean-Claude Paye
Dimanche 31 décembre 2017
En l'absence de tout
questionnement, la « fin de
l'histoire », théorisée par
Fukuyama,[1]
le « choc des civilisations, »
mis en avant par Samuel Huntington,[2]
comme la notion de violence originaire
réhabilitée par René Girard, apportent
une réponse sur le devenir d'une société
régie par l'image. Ces notions sont
complémentaires. La première opère un
déni de toute négativité, donc de tout
devenir. La seconde indique le chemin à
suivre pour d'obtenir une telle finalité
: transformer les conflits politiques en
guerres d'images, c'est à dire en
hostilité des civilisations et en
guerres de religions. Quant à la
sacralisation présente de la violence,
elle nous indique un retour de nos
sociétés vers l'idolâtrie.
Le « temps
qui reste ».
Les prédications de la fin de l'histoire
et de la guerre des civilisations
forment une religion civile faisant écho
à l'emprunte théologique du fondateur du
christianisme, Paul de Tarse. Ces
visions sécularisées post-modernes
s'inscrivent dans la perspective
paulinienne du temps messianique, c'est
à dire du temps qui reste avant
l'apocalypse, une fois la certitude
acquise que Jésus est bien le messie
attendu.
Giorgio Agamben, dans son livre Le
temps qui reste, un commentaire de
l'Epître au Romains,[3]
ainsi que dans sa conférence
« L'Église et le royaume » faite à Paris
en 2009, définit le temps messianique
comme le temps de la fin, comme « le
temps qui se contracte et qui commence à
finir. »[4]Paul
procède à une suspension du temps
chronologique. Vivre dans le temps de la
fin implique une transformation profonde
de la durée. Agamben parle d'un temps « qui
pousse à l'intérieur du temps
chronologique...et le transforme de
l'intérieur ». Il ne s'agit ni de
l'instant ponctuel, ni d'un segment du
temps chronologique. C'est un temps
intérieur, « le temps que nous sommes
nous mêmes ».
La lecture du temps messianique, comme
une durée appartenant à chaque monade,
correspond à la manière dont les médias
s'adressent à chacun d'entre nous.
Chaque évènement est construit comme une
réminiscence de l'originaire du 11
septembre et il s'agit, à chaque fois,
de rattacher l'événement à la
quotidienneté. Les commentaires
inscrivent le souvenir des attentats
dans ce que Merleau Monty appelle « la
chair. » Ils établissent ainsi une
réversibilité entre intérieur et
extérieur, une identité entre
l'objectivité du fait et le ressenti.
Grâce à ce processus
d'indifférenciation, le vécu devient
l'objectivité même de l'évènement. Toute
question sur les faits devient non
seulement superflue, mais
blasphématoire. Elle relèverait du « conspirationnisme .»
Temps de
l'indifférenciation.
L'omniprésence d'un temps, réduit à une
dimension purement intérieure et dégagé
de la matérialité des choses, est le
résultat de l'effacement de la
distinction sujet/objet. En suspendant
l'articulation de l'extériorité et de
l'intériorité, l'Épitre de Paul aux
Corinthiens est en phase avec le
discours actuel de « la lutte contre
le terrorisme » et plus généralement
avec la langue de la post-modernité.
L'épître procède à une
indifférenciation, non entre les choses
de l'extériorité elles-mêmes, mais entre
leur existence et leur non existence :
« Je vous le dis mes frères, le temps
s'est contracté ; le reste est que ceux
qui ont des femmes soient comme ceux
n'en n'ayant pas, et ceux qui pleurent
comme non pleurants et ceux qui ont de
la joie comme n'en ayant pas et ceux qui
achètent comme non possédants, et ceux
qui usent du monde comme n'en abusant
pas. [5]»
La procédure d'annulation de l'existant,
caractéristique « du temps qui reste »
est perçue par Agamben comme tension
d'un concept vers lui-même sous la forme
du « comme non, »[6],
entre l'existence d'une chose
et sa non existence et non comme un
processus d'indifférenciation entre une
chose et son contraire, entre des objets
extérieurs.
La manière dont les médias ont diffusé
l'information sur l'affaire Merah[7]
relève également du comme non.
Si le scooter peut à la fois être
blanc ou noir, il ne s'agit pas là d'une
contradiction entre deux objets, mais
bien d'informations qui s'annulent.
Elles ne sont pas essentielles, car
elles portent sur le visible et non sur
l'invisible. Ce dernier, la substance
terroriste de l'accusé, nous est
seulement dévoilée par l'énonciation de
ses attributs : islamiste, violent,
frustré ...
Renversement du
comme si
en comme
non.
S'il s'agit bien d'une néantisation du
rapport entre un fait extérieur et le
vécu, le « comme non » ne peut
être pensé comme une forme de
négativité, tel le fait Agamben, mais
comme une réduction idéitique du monde,
semblable au savoir faire de la
phénoménologie husserlienne.
Afin de considérer le « comme non »
comme une négation, Agamben effectue une
analogie entre la procédure paulinienne
et la fictio legis du droit
romain. Cette dernière est alors
renversée, car. la fiction construit
bien un « comme si.»
Tel que l'auteur le rappelle : la
fictio consiste à « faire
comme si .....et à déduire de cette
fiction la validité d'un acte juridique
qui, autrement, ne pourrait être que nul[8] ».
Elle est bien une fiction d'existence et
non une « fiction d'inexistence. »
Afin de fusionner le « comme non »
et le « comme si », Agamben prend
un exemple relevant du droit romain.
Malgré qu'un citoyen réduit en esclavage
perde automatiquement sa nationalité, la
loi autorise de faire « comme s'il
était mort en citoyen libre » et,
s'il a rédigé un testament, d'accepter
la validité de cet acte. Il s'agit bien,
de faire « comme si » le
prisonnier mort était toujours citoyen
romain. Ce n'est pas un déni de sa
capture, d'un « comme non » de
son asservissement.
Ce qui importe est qu'il ait eu la
nationalité romaine et que cette qualité
perdure en matière de succession. Le
formalisme de la fiction est
nécessaire à la consolidation de
la sécurité juridique de la loi. Au
contraire, en renversant la supposition
d'existence en une présomption
d'inexistence, Agamben identifie
vraisemblable et invraisemblable. Il
s'agit là d'une procédure récurrente
dans les commentaires sur le 11/9 ou sur
l'affaire Merah.
Non distinction du
vraisemblable et de l'invraisemblable.
La fiction, le comme si, est à la
base du droit. Le principe « nul
n'est censé ignorer la loi » repose
sur une supposition rendant possible
l'application d'un ordre juridique.
L'interprétation de la fictio legis
comme capacité de rendre « inopérant »
un fait, afin de la rendre analogue à la
procédure de suspension de la réalité du
temps messianique, est un renversement
de la notion de fiction. Cette dernière
relève du niveau imaginaire de
l'organisation sociale, elle permet
d'organiser le réel et non de
s'abandonner à lui, comme l'impose le « temps
qui reste. »
Nommer la fictio « comme non »
n'est pas donc anodin, puisqu'il fait
reposer l'ordre de droit, non plus sur
un vraisemblable, mais sur un
invraisemblable, dans l'exemple utilisé
sur le déni de la mort en captivité du
citoyen romain. Nous retrouvons là un « savoir
faire » actuellement omniprésent,
que ce soit dans les commentaires sur
les attentats du 11 septembre ou ceux
sur l'affaire Merah. L'invraisemblable
et le rejet des données de l'observation
constituent la base devant fonder la
certitude subjective en la parole du
pouvoir. Cette procédure est un socle de
la post-modernité. En supprimant toute
dimension imaginaire, elle participe à
une politique du chaos nous enfermant
dans le réel.
Indifférenciation de la négation et de
la néantisation.
Agamben effectue une fusion entre la
négation, constitutive de la fiction, et
la néantisation résultant du « comme
non. » Pourtant elles ne peuvent
être confondues et sont diamétralement
opposées. Tel que nous l'a appris Hegel,
la négation est le mouvement même du
devenir, la néantisation est, quant à
elle, la procédure constitutive de « la
fin de l'histoire » ou bien « du
temps qui reste.» La négation a une
dimension temporelle, elle est un
dépassement qui conserve la
détermination dont elle provient. Le
néant est quant à lui un pur immédiat[9]
nous figeant dans « l'éternité
de l'instant. » Il est à la fois
libéré du passé et du futur.
La lecture d'Agamben, convertissant la
fictio legis en une
néantisation de l'existant, ne tombe pas
du ciel, elle s'inscrit dans l'air du
temps. La démarche est d'une grande
cohérence si on la réfère à l'analogie
effectuée entre Marx et Paul de Tarse,
entre la lutte pour l'émancipation et la
jouissance de l'anéantissement
Afin d'appuyer la lecture du temps
messianique comme négativité, Agamben
établit une similitude entre le
« comme non » paulinien et le
concept de « prolétariat » chez
Marx.[10]
Cette notion serait une « sécularisation »
du temps qui reste, dans la mesure où
elle représente « une dissolution de
tous les milieux et l'émergence d'une
fracture entre l'individu et sa propre
condition sociale.[11]»
Cependant, contrairement à la procédure
du « comme non, » « l'annulation
des conditions juridico-factuelles »
de l'exploitation ne passe pas par un
renvoi de la classe à elle-même, mais
par un rejet, par une lutte contre son
contraire, la classe bourgeoise.
Annulation du
devenir.
Il s'agit là d'un procès que Freud a
pensé comme Austossung, le
refoulement originaire par lequel le
sujet rejette à l'extérieur de lui-même
« le mauvais ou le nuisible. »
L'expulsion se double alors d'une
introjection de ce que le sujet
considère comme « bon ou utile. »
Le refoulement originaire permet la
séparation entre un intérieur et un
extérieur. Il n'y a une conscience
intérieure que grâce à ce rejet. Chez
Freud, comme chez Marx, « il faut un
renvoi au-dehors pour qu'en retour se
constitue un dedans.[12] »
Ce double mouvement, d'expulsion et
d'introjection, est analogue au
processus de formation de classe chez
Marx. Le sujet de classe se constitue
par la lutte contre son contraire. La
conscience n'est pas un processus
interne, d'éducation ou de simple prise
de conscience, mais d'affrontement avec
la matérialité des rapports
d'exploitation. Il ne peut donc être
confondu avec la procédure paulienne
d'annulation interne des conditions
d'existence. L'analogie effectuée par
Agamben est un déni du processus
d'émancipation marxien. Elle est
forclusion de toute possibilité de
sortir de l'état de chose présent, de la
psychose ordinaire. Le « comme non »
du temps qui reste ne peut
donc être pensé comme négation. La
fonction du temps messianique est au
contraire de supprimer le possible et
ainsi la négativité qui en est la
condition.
La transformation de Marx en philosophe
chrétien revient à identifier le
processus de lutte de classe au « comme
non » paulinien, la lutte
pour l'émancipation avec l'état de
choses présent posé comme un horizon
indépassable. Ce renversement est
analogue avec celui qui identifie le « comme
non » à la fiction. Dans les deux
cas, c'est l'imaginaire social qui est
rejeté, c'est à dire la capacité de
maîtriser le réel et de le transformer.
La lecture d'Agamben, s'inscrit
parfaitement dans le paradigme de la fin
de l'histoire comme réalisation du temps
messianique paulinien.
Le temps messianique
ou le temps du « retranchement .»
Le « comme non » désigne le
processus que Freud nomme « Verwerfung »
et Lacan « retranchement[13] »,
avant d'adopter définitivement le terme
de « forclusion. »Cette procédure
est identifiée par Freud comme suit : « on
peut dire que fût porté aucun jugement
sur son existence, mais il en fut aussi
bien que si elle n'avait jamais
existé. »[14] Ainsi,
le sujet ne peut advenir. Faute de ne
pouvoir inscrire le réel, il est au
contraire constamment pris par celui-ci
et reste dans la sidération. Ne pouvant
penser le réel, il devient son déchet.
La réduction du monde à une intention
originaire nous enferme dans le
processus d'indifférenciation de la
psychose. La post-modernité, dont le
discours sur ces affaires est un
symptôme, apparaît comme la réalisation
du paradigme paulinien : «il n’y a
plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni
esclave ni libre, il n’y a plus ni homme
ni femme; car tous vous êtes un en
Jésus-Christ.[15] »
La fin de l'histoire développée par
Fukuyama exprime le même
rapport au monde que le temps
messianique paulinien, à savoir le
renoncement au possible afin d'être
Un avec la Mère symbolique et de
continuer à jouir de sa jouissance.
Dans la post-modernité, la klesis
messianique apparaît bien comme le mode
d'identification de la monade avec le
pouvoir politique. En l'absence de
distinction intériorité/extériorité, le
sujet ne fait plus qu'un avec la
Mère symbolique. La capacité de
perception est déconnectée et le rapport
de l'individu au monde se limite au « ressenti
» correspondant au caractère
unimodal du vécu, quand la frontière
entre le dedans et le dehors n'est pas
encore établie grâce au refoulement
originaire.[16]
Violence originelle/ violence
historique.
Le renversement du possible en
néantisation et la transformation du
comme si en son contraire, le
comme non, sont des procédures qui
s'inscrivent dans la religiosité
présente.
Le « temps qui reste » correspond
au caractère iconique des rapports
sociaux de la post-modernité, à savoir
une religion basée sur le sacrifice,[17]
sur l'abandon à une violence originaire,
telle qu'elle est théorisée par René
Girard ou, dans sa version sécularisée,
par la « lutte contre le terrorisme. »
La notion de violence originaire n'est
pas nouvelle. Déjà un socialiste
contemporain de Marx, Eugen Dühring,
faisait de la « violence immédiate »
le fondement du politique et, par
in-extenso, de l'ensemble de
l'organisation économique et sociale.
Contrairement à l'époque actuelle, où
cette position nihiliste est
généralisée, elle fût, en son temps,
combattue par Engels dans L'anti-Düring.
Deux thèses sont opposées. Dühring
avance que la violence est première,
qu'elle constitue « un péché originel
d'asservissement. [18]»
Engels relativise et met en situation
cette assertion à travers une
historisation des évènements .[19]
Pour Engels, comme pour Marx, la
violence ne peut être abstraite de ses
conditions économiques et sociales.
comme Georges Labica l'a
exprimé dans sa lecture du texte
d'Engels, « la violence n'est pas un
concept.[20] »
Poser le contraire, comme le font Düring
ou Girard, revient à confondre
l'innommable avec ce qui permet de
l'inscrire dans le symbolique. La notion
de violence originaire correspond au
caractère religieux de nos sociétés, au
retour en force de la fonction du
sacrifice et du rôle central de la
victime.
Sacralisation de la
violence.
La « guerre contre le terrorisme »
exige un sacrifice permanent à des dieux
obscurs la
destruction de nos libertés. La lutte
antiterroriste, indéterminée et infinie,
fusionne guerre et paix, hostilité et
criminalité. Elle confond intérieur et
extérieur et applique au citoyen des
dispositions autrefois réservées à
l'ennemi.
La
violence terroriste existerait pour
elle-même. La voix de la victime nous
appelle de l'extérieur, mais ne parle
pas. Son action est silencieuse, mais
dit la vérité. Elle se pose en tant que
signifié originaire. Elle est ce qui se
met à la place de ce que Lacan,
travaillant sur la structure
psychotique, a désigné comme le
signifiant originaire, le symboliquement
réel, la part du réel qui est
directement symbolisée.Le logos, le symboliquement réel,
en tant qu'il permet l'inscription du
réel, est possibilité d'un devenir.
L'image de la voix de la victime, au
contraire, annule toute capacité de
symbolisation. Elle supprime la fonction
de la parole et ainsi la possibilité
d'une négativité. Elle installe un
silence traumatique.
Le discours, sur le 11/9 ou sur la
guerre humanitaire, nous introduit dans
un ordre politique psychotique nous
intimant de renoncer à nos libertés,
afin d'être protégés de l'autre et de
nous mêmes. La structure politique
maternelle supprime alors toute
séparation entre l'Etat et le citoyen.
Cependant, les travaux de Jacques Lacan
nous ont appris que c'est justement le
phantasme de l'unification à la mère
imaginaire,ici
à l'Etat, qui est à la base
de la violence sans limite que la lutte
antiterroriste prétend combattre.
Une société de pure jouissance.
Le rejet de la négativité se manifeste
comme phénomène de la fin du politique
et du retour du sacré. L'annulation du
désir au profit d'un surcroît de
jouissance ne produit pas un
désenchantement du monde, un « épuisement
du règne de l’invisible dans le monde
d’ici-bas », tel que le théorise
Marcel Gauchet,mais,
au contraire, une omnipotence de
l'invisible, de l'image telle que la
caractérise Marie-José Mondzain. Il
s'agit bien, tel que le formule Marx
dans Le Capital, d'un nouvel
enchantement du monde, celui corrélatif
au règne du « monde enchanté de la
marchandise, »de ce monde qui annule la
valeur d'usage au profit de la valeur
d'échange.
A travers son étude sur la marchandise,
Marx a montré la place fondamentale du
fétiche dans l'organisation de la
société capitaliste. La « forme-marchandise
du produit du travail » ou « la
forme valeur de la marchandise » est
une image[26]
qui nous installe dans une
structure psychotique. À travers
l'image, les rapports sociaux
fonctionnent comme des rapports entre
choses, les objets parlent à la place
des individus. Le réel échappe alors à
toute symbolisation. L'invisible, la
valeur, occupe la place du surmoi et
l'injonction surmoïque du « plus de
jouir » s'incarne dans son fétiche,
l'argent.
D'abord base d'organisation de la
production, la fétichisation a envahit
l'ensemble de la vie quotidienne, ainsi
que l'univers communicationnel. La
production capitaliste n'a plus
seulement pour objet la réalité,
mais elle met le Réel en demeure
et rend exploitable le plus intime de
l'être. Elle devient ainsi annulation de
tout devenir et remplace le possible par
un surplus de jouissance, par un
surcroît d'images et d'objets
fétichisés.
Temps
messianique comme transparence.
Le choix de demeurer dans la psychose
correspond au « comme non »
paulinien ou à son double, l'énonciation
de « la fin de l'histoire. » Ces
paradigmes, comme la prédiction
auto-réalisatrice de « la guerre des
civilisations, » rendent compte du
caractère religieux de la post-modernité
capitaliste. Il s'agit d'une société
qui, en occident, ne devant plus faire
face à une opposition organisée, rejette
la politique au profit du sacré, la
gestion de la différence au profit de la
promotion du Un.
La conflictualité ouvrière, moteur du
développement du capital, est en berne
et ne dégage plus de projet de société.
Alors, le politique devient simple
transparence de la fétichisation
économique. En l'absence d'un désir
collectif, le temps social se réduit en
un temps purement intérieur, celui de la
jouissance monadique.
Comme dans le « temps qui reste »,
la jouissance propre à la post-modernité
se pose comme abolition du temps à
travers la « recherche subjective
de ''la première fois'' », en
référence à « un passé immémorial
d'avant le temps, donc à l'éternité[27] ».
Comme toute jouissance , elle se place
hors de la succession d’un passé, d’un
présent et d’un avenir, mais, ici, elle
se spécifie par le rejet de tout désir,
par l'enferment dans la poussée
pulsionnelle. En tant que « plus de
jouir », elle se suffit à elle-même.
Dans le temps messianique, comme dans « la
fin de l'histoire », l'articulation
jouissance/désir est disloquée. La
jouissance n'est plus seulement hors
temps, hors imaginaire, elle n'est plus
constitutive du temps lui-même, en tant
que temps réel opposé au temps
imaginaire, mais occupe la place de
celui-ci. Elle n'est donc plus
jouissance du corps, du signifiant
marquant le corps. Elle se place hors
corps, en dehors de ce qui sépare
intérieur/ extérieur et devient
jouissance de l'image. Le « temps
qui reste » est alors abandon du
désir et pétrification du mouvement
pulsionnel. L'altérité est désamorcée et
la faculté de juger est supprimée.
Le temps messianique est la suspension
du temps chronologique réclamée par
l'annonciation de « la fin de
l'histoire. »
Le comme non est une opération de
conversion du regard
qui n'est plus tourné vers l'extérieur,
mais exclusivement vers l'intérieur,
c'est un processus interne
d'auto-annulation. Le « comme non »
nous installe dans l'image « qui
est, tout en étant pas », il est une
manière de reconnaître les faits, tout
en ne les reconnaissant pas. Il procède
à indifférenciation entre l'existence et
l'absence. Ainsi, les objets de
l'extériorité ne sont pas refoulés, ils
sont déniés. Ils sont montrés, mais
n'existent pas en dehors du sens qui
leur est attribué. Le mensonge change de
fonction, il ne cherche plus à nous
tromper, mais à nous enfermer dans la
psychose par la non distinction entre ce
qui est et ce qui n'est pas.
Jean-Claude Paye,
sociologue.
[1]
Francis Fukuyama,
La Fin
de l'histoire et le dernier
homme,
Flammarion
1992.
[2]
Samuel P. Huntington,
Le choc des civilisations,
Odile Jacob 2000.
[3]
Lire Giorgio Agamben,
Le Temps qui reste. Un
commentaire de l'Épître aux
Romains, Payot- Rivages
2004.
[5]
Épître aux Corinthiens 1/
7, 29-32
[6]
« L'apôtre ne dit pas
ceux qui pleurent comme ceux qui
rient, ni ceux qui pleurent
comme ceux qui ne pleurent pas,
mais ''ceux qui pleurent comme
non pleurant'' », Le
Temps qui reste, Agamben,Op.
Cit., 47.
[10]
G. Agamben,
Op. Cit.,
p. 56.
[11]
G. Agamben,Op. Cit.,
p. 57.
[12]
Gérard Pommier,
« Qu'est ce que le ''Réel'',
Érès 2004, p.14.
[13]
Jacques Lacan, Ecrits
I, Seuil Folio 1999, p. 384.
[14]
Sigmund freud, Cinq
psychanalyses, P U F 1992,
p. 389.
[15]
Paul de Tarse, Épitre
aux Galates, 3/28
[16]
Gérard Pommier, Op.
Cit., p. 14.
[20]
Georges Labica,
Théorie de la violence.
Napoli : La Città del Sole ;
Paris J. Vrin, 2007 [
[21]
Jean-Daniel Causse, « Le
christianisme et la violence des
dieux obscurs, liens et
écarts », AIEMPR, XVIIe congrès
international Religions et
violence ?, Strasbourg 2006,
p. 4
[24]
Marcel Gauchet, Le
Désenchantement du monde. Une
histoire politique de la
religion, Gallimard, Paris
1985, p. 2.
[25]
Karl Marx, Le Capital,
Chapitre I : La marchandise,
Editions sociales, Paris.
[26]
« Ce qu’il y a de
mystérieux dans la
forme-marchandise consiste donc
simplement en ceci qu’elle
renvoie aux hommes l’image du
caractère social de leur propre
travail comme étant le caractère
objectal des produits de ce
travail (…), qu’elle leur
renvoie par conséquent aussi
l’image du rapport social des
producteurs au travail
d’ensemble comme étant un
rapport social qui existerait en
dehors d’eux, un rapport social
d’objets, » Marx-Engels,
Werken, t 23, p.
86.
http://www.mlwerke.de/me/me23/me23_049.htm
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