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Deux cartes et une élection
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mercredi 26 avril 2017
Les jappements de
la meute médiatique qui somme tout un
chacun de se prononcer pour Emmanuel
Hollande, à moins que ce ne soit pour
François Macron, sous peine de se faire
traiter de « facho » et d’autres nom
d’oiseaux sont aujourd’hui
assourdissants. Cette meute pratique
donc le « jappellisme », néologisme qui
rappelle les jappements des chiens. Et,
ce faisant, elle vérifie l’aphorisme
selon lequel le chien ne mord jamais la
main qui le nourrit… Pourtant cette même
meute se garde bien d’analyser ce qu’il
y a derrière l’arrivée de Mme. Marine le
Pen au second tour de l’élection
présidentielle. Croyant que bien souvent
un bon graphique vaut de bons discours,
je porte donc à la connaissance des
lecteurs, mais aussi des membres de
cette meute qui voudraient en prendre
connaissance, les cartes suivantes.
Une comparaison
instructive
La première que
je le reproduis ici, derrière son aspect
« vintage » (eh oui, il fut un temps où
l’on n’utilisait pas les couleurs
produites par un ordinateur), montre
l’état de l’industrialisation de la
France à la fin des années 1950.
Graphique 1
Emploi
industriel par département (1958)
Cette carte indique
bien quelles étaient les zones de
développement de l’industrie durent les
« trente glorieuses ». Il convient
maintenant de la comparer à la carte des
résultats du 1er tour de
l’élection présidentielle de 2017. Et
là, surprise, surprise, on constate le
quasi-recoupement entre le vote en
faveur de Mme Marine le Pen et la
première carte.
Graphique 2
Résultats du 1er
tour de l’élection présidentielle (23
avril 2017)
Résultats publiés
par le Ministère de l’Intérieur
Bien entendu, cette
corrélation entre les deux cartes n’est
pas parfaite. Les régions de la Drome
qui se développeront dans les années
1960 ne figurent pas sur la première
carte ni l’industrialisation de la
vallée de la Garonne, hors l’industrie
aéronautique autour de Toulouse.
Inversement, on voit bien la forte
présence du vote pour Marine le Pen dans
des régions plus rurales. Si la crise de
l’industrie n’est clairement pas le seul
facteur explicatif, si d’autres facteurs
doivent donc être pris en compte, comme
l’histoire de la Résistance qui explique
sans doute les très faibles résultats de
Marine le Pen dans le Limousin, la
configuration générale de ces deux
cartes apparaît bien trop similaire pour
qu’elle ne soit due qu’à une
coïncidence.
Il n’y a pas de
hasard en économie
Ce sont donc les
zones d’ancienne industrialisation, les
zones qui ont été le plus touchées par
l’impact de la mondialisation puis par
l’impact de l’euro, qui ont fourni à
Marine le Pen ses meilleurs résultats.
Il convient ici de
rappeler que les différentes phases
d’instauration du libre-échange n’ont
nullement pris en compte la différence
des coûts salariaux (et des cotisations
sociales) qui est largement le produit
de l’histoire politique et sociale de
chaque pays. On peut en dire de même des
différences en matière de réglementation
environnementale. Le libre-échange met
ainsi en compétition des histoires
sociales différentes, les tirant toutes
vers le bas, et non pas des projets
entrepreneuriaux. C’est la justification
essentielle de formes de protectionnisme
« intelligent », ou « solidaire » voire
« altruiste », comme je les ai défendues
dans mon ouvrage La Démondialisation[1],
après Bernard Cassen, et avant Jean-Luc
Mélenchon, Arnaud Montebourg et bien
entendu Marine le Pen. Mais, qu’importe
sur ce point qui a lancé l’idée. Elle
est bonne et elle s’impose si one ne
veut que les travailleurs soient
contraints d’accepter les normes et les
salaires les plus bas.
La mise en œuvre de
l’Euro est venue considérablement
aggraver la situation. L’Euro favorise
l’Allemagne en permettant à ce pays de
sous-estimer sa monnaie et défavorise
des pays comme la France et l’Italie en
les obligeant à avoir une monnaie
surévaluée. Ceci a été démontré dans un
document du Fond Monétaire International
de l’été 2016[2].
De plus, l’Euro a été longtemps
fortement surévalué par rapport au
Dollar américain, qui est la monnaie de
référence de nombreux pays, non
seulement bien évidemment des Etats-Unis
mais aussi de la Chine et globalement de
la « zone Dollar ». Cette surévaluation
a eu, en particulier pour l’industrie
française, des conséquences
désastreuses. Ces deux effets combinés
ont conduit les entreprises non
seulement à perdre des marchés à
l’export mais aussi à souffrir plus que
nécessaire face à la concurrence sur le
marché intérieur. Ces deux effets
expliquent largement la
désindustrialisation de la France, et
par conséquence la crise sociale que
l’on connaît dans les régions
d’industrialisation traditionnelle.
Avec l’ensemble des
économistes qui combattent l’Euro, ce
sont ces effets que l’on vise, même
s’ils ne sont pas les seuls effets
négatifs engendrés par l’Euro[3].
Les conséquences politiques de
l’Euro sont tout aussi graves.
Il n’y a donc rien
de fortuit dans le quasi-recoupement
entre ces deux cartes. Et il n’y a rien
de fortuit dans la montée du vote en
faveur de Mme Marine le Pen, un vote qui
traduit la révolte des milieux
populaires qui ont été délibérément
sacrifiés par les élites politiques de
ce pays, que ce soit pour des raisons de
profit financier (en ce qui concerne la
droite) ou que ce soit pour des raison
idéologiques (pour le P « S » et le
PCF). Dès lors, japper contre ceux qui
se refusent à un futile et inutile
« Front Républicain » et hurler à une
prétendue « menace fasciste », c’est
ajouter l’insulte à la blessure ; c’est
un comportement d’une absolue indécence.
Cela n’empêchera pas les journalistes
aux ordres de l’élite politique et des
oligarques qui détiennent les « grands
médias », de poursuivre. Comme on l’a
dit, on vérifie ici l’aphorisme de la
Rochefoucauld « le chien ne mort pas la
main qui le nourrit ». Mais cela
justifie totalement la position de la
« France Insoumise » et de Jean-Luc
Mélenchon qui se refuse, avec courage, à
mêler sa voix à ce concert d’aboiements.
[1] Sapir J., La
Démondialisation, Le Seuil, Paris,
2011.
[2] IMF, 2016
EXTERNAL SECTOR REPORT,
International Monetary Fund, juillet
2016, Washington DC, téléchargeable à :
http://www.imf.org/external/pp/ppindex.aspx
[3] Sapir J., L’Euro
contre la France, l’Euro contre l’Europe,
le Cerf, 2016 ; Idem, Faut-il sortir
de l’euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.
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