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Chroniques du mensonge ordinaire
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 24 mars 2015
Madame Juliette Méadel, Secrétaire
Nationale du PS, vient, à propos des
élections départementales dont le
premier tour a eu lieu le dimanche 22
mars de démontrer sa flagrante inculture
économique[1].
Le problème n’est pas l’ignorance sur ce
point de Madame Méadel. On a tous des
choses que l’on ignore. Le problème est
qu’elle est secrétaire nationale d’un
parti aujourd’hui au pouvoir. Alors,
même si les temps ne sont plus ceux où
l’on pouvait s’attendre d’un Secrétaire
National qu’il soit qualifié de Coryphée
des Sciences, ou la personne ayant cette
responsabilité se sentait tenue de
montrer qu’elle maîtrisait à peu près
les diverses sciences humaines à coup de
livres ou d’articles de revue, le degré
d’inculture dont Mme Méadel fait preuve
est attristant et inquiétant.
La sortie de
l’Euro ou comment jouer sur les peurs.
La question, bien évidemment porte
sur les conséquences d’une sortie de
l’Euro. Qu’écrit donc Mme Méadel ?
« Aux yeux du monde et de ses
créanciers, l’économie française
inspirerait fatalement de la défiance et
le doute dans sa capacité à rembourser
sa dette. Il en résulterait une
augmentation vertigineuse des taux
d’intérêts d’emprunt : la France, qui se
finance quotidiennement à des taux très
faibles, verrait donc la charge de sa
dette exploser. »
Premier point : en quoi est-ce qu’une
« sortie de l’Euro » inspirerait « de
la défiance et le doute dans sa capacité
à rembourser sa dette ». Si la
France sort de l’Euro, et laisse sa
monnaie se déprécier par rapport au
Dollar, mais aussi au Deutsche Mark,
c’est pour retrouver des marges
importantes de croissance. On peut
discuter des possibles taux de
croissance après une telle sortie, de 2%
à 5% suivant les calculs et estimations,
mais personne ne doute qu’il y a aurait
une croissance bien plus forte que celle
que nous connaissons aujourd’hui. Dans
ces conditions, d’où viendrait la
« défiance » ? A moins que Madame Méadel
ne nous explique en quoi une économie
allant mieux peut susciter la
« défiance », on avoue avoir un peu de
mal à comprendre. Madame Méadel indique
alors « le doute dans sa capacité à
rembourser sa dette ». Ici de deux
choses l’une. Soit elle croit encore à
cette fable inventée par Nicolas Sarkozy
comme quoi la partie de notre dette
détenue par des non-résidents
augmenterait en proportion de la
dévaluation. Mais, c’est une fable. La
lex monetae stipule bien qu’une
dette est payée dans la monnaie du pays
émetteur si elle est rédigée dans des
contrats de ce pays. Ce principe est
bien connu de tous les économistes, et
de tous les financiers qui travaillent
sur les marchés des obligations d’Etat.
On sait que 97% de la dette française
est émis « en droit français ». Elle est
donc remboursable dans ce qui sera la
monnaie de la France, soit aujourd’hui
l’Euro et demain, si nous sortons de
l’Euro, le Franc. Les montants seront
traduits de l’Euro en Franc au taux de 1
pour 1. Mais il faut croire que Mme
Méadel est sujette à des terreurs
nocturnes.
Deuxième point : « Il en
résulterait une augmentation
vertigineuse des taux d’intérêts
d’emprunt ». Ici encore, on
s’interroge sur ce que sait (ou plus
exactement ne sait pas) Mme Méadel.
Admettons que l’agence France-Trésor
place des obligations d’Etat sur le
marché. Le taux d’intérêts incorporera
une prime de risque, mais on sait par
expérience que cette prime, portant sur
un Etat solvable, et dont la balance
courante, aujourd’hui déficitaire,
montrerait des signes rapides
d’amélioration, serait loin d’être
excessive. L’écart traditionnel était de
150 points de base avec les taux
allemands, soit 1,5%. Admettons même que
cet écart soit momentanément porté à 200
points de base, cela signifierait 2%.
Or, les taux allemands sont aujourd’hui
pratiquement à 0%. Il n’y a aucune
raison de penser que les taux français
dépasseraient 2,5%. Ce n’est donc pas
une « augmentation vertigineuse »
ou les mots n’ont plus de sens.
Troisième point : en fait, l’agence
France-Trésor n’aurait sans doute pas
besoin de placer des obligations. En
rétablissant le mécanisme des
« planchers obligatoires d’effets
publics » pour les banques françaises et
les établissements étrangers opérant en
France, le gouvernement créerait une
demande pour des obligations d’Etat
qui assurerait que le financement de la
dette puisse se faire à des taux très
bas. Là, Mme Méadel montre que non
seulement elle ne maîtrise pas la
macroéconomie, mais qu’elle ignore tout
des techniques financières. Mais ce
n’est pas tout, hélas…
Quand elle écrit : « le montant
des taux d’intérêt de la dette s’élève à
45 milliards d’euros ; une sortie de la
zone euro et son corolaire, la hausse
des taux d’intérêt, multiplierait par 2
ou 3 la charge de la dette, ce qui
représente trois fois le budget de
l’éducation nationale » elle prouve
aussi qu’elle est très fâchée avec le
calcul (niveau classe de 4ème).
En effet, si la charge des intérêts
aujourd’hui est de 45 milliards, la part
de ces intérêts où les taux sont très
faibles ne représente pas plus d’un
tiers des dettes. Une grande partie des
obligations d’Etat ont été émises
avant la période de faibles taux
d’intérêts (depuis 2 ans
approximativement) et ne concerne que
les obligations à court terme (3 mois à
5 ans). On voit immédiatement que si les
taux remontaient à 2,5% (pour le taux à
10 ans) l’impact serait faible sur le
montant TOTAL des intérêts. On
conseillera à Mme Méadel de prendre un
livre de mathématiques pour classes de
collèges dans lequel on explique ces
simples règles de calcul.
Mais, en réalité, Mme Méadel n’est
certainement pas ignorante. Elle ment en
pleine connaissance de cause. En fait,
elle joue sur les peurs les plus
primaires et cherche à effrayer son
lecteur. Ce qui est alors intéressant,
c’est que ce sont exactement les
méthodes qui sont reprochées au Front
National. On ne cesse d’entendre que ce
dernier jouerait sur les peurs des
français. Mais, que fait Mme Méadel,
Secrétaire Nationale du Parti
« socialiste » ? Et l’on voudrait alors
nous faire croire en une différence de
nature entre les partis ? Avec
ce genre de méthode, c’est tout le
discours sur « nous sommes des
républicain, eux ne le sont pas » qui
s’effondre immédiatement. Je ne sais si
Mme Méadel se rend compte de ce qu’elle
dit, mais je suis convaincu de l’effet
extrêmement négatif qu’il y a à jouer
ainsi sur les peurs de l’électorat.
Quand on veut donner des leçons aux
autres, il convient de commencer à se
les appliquer.
La question
du protectionnisme.
Madame Méadel continue sur le
protectionnisme où, là aussi, elle étale
son ignorance et son discours
idéologique. Elle dit : « Pourtant,
le protectionnisme économique est
d’autant plus aberrant que les Etats et
les peuples n’ont jamais été aussi
interdépendants, liés, connectés,
informés depuis Adam Smith. Plus que
jamais, les peuples ont besoin d’échange
commercial régulé pour vivre et se
développer mieux». Tout d’abord, en
quoi le protectionnisme s’oppose-t-il à
l’interdépendance ? Cela revient
confondre protectionnisme et autarcie.
Je ne crois pas que si sa copie devait
passer devant les yeux d’un professeur
de Sciences Economiques et Sociales, Mme
Méadel obtiendrait une très bonne note.
Ensuite, si le protectionnisme n’est pas
LE moyen de régulation des
échanges, on ne voit pas ce qu’il est.
Ici, il y a un problème de logique. Soit
elle pense que l’interdépendance oblige
au libre-échange et elle ne peut pas
employer le mot « régulé » à propos des
échanges commerciaux, soit elle est pour
la régulation, et dans ce cas elle doit
admettre le protectionnisme. Enfin,
Madame Méadel devrait se renseigner. Le
nombre de pays instituant des barrières,
qu’il s’agisse de tarifs douaniers ou de
mesures réglementaires, sur le commerce
est très élevé (des Etats-Unis à la
Corée du Sud). En fait, c’est l’Union
européenne qui, à cet égard, est une
aberration en proclamant une ouverture
complète des frontières et en négociant
(en secret faut-il le rappeler) un
accord de libre-échange avec les
Etats-Unis dont les effets seront
dévastateurs, le TAFTA ou TTIP.
Mais, Madame Méadel ne s’arrête pas
là (hélas). La phrase suivante et un
condensé de toutes les sottises que l’on
peut entendre sur ce sujet du
protectionnisme : « En 2012, le
commerce extérieur représente 25% de la
croissance française, il faut donc
poursuivre, avec nos partenaires
commerciaux, la régulation des échanges
au service de la prospérité et de la
justice, et non pas l’interdire
unilatéralement. Le protectionnisme est
obsolète et impossible à mettre en œuvre
alors que les Français réalisent de plus
en plus de transactions électroniques ».
Décortiquons un peu ce paragraphe.
Oui, le commerce extérieur représente,
environ, 25% de la croissance si on le
calcule à l’export. Mais nous
importons aussi des biens. La
substitution de la production nationale
aux produits importés peut être une
forte source de croissance. Donc, il est
clair que si nous sortons de l’Euro,
déprécions d’environ 20% notre monnaie,
le gain en croissance sera important.
Mais si c’est vrai, comment alors
expliquer la « défiance » dont elle
parlait au début de son article ? Madame
Méadel n’est même pas capable d’être
cohérente sur une page…
Ensuite, les mesures de régulation
des échanges doivent parfois être
unilatérales. Ce fut le cas, par
exemple, lors de la dramatique épidémie
dite « de la vache folle ». La
prospérité et la justice, qu’il est
noble d’employer des termes aussi
grands, impliquent parfois des mesures
unilatérales.
Mais, nous n’avions pas tout lu.
Véritable cerise sur la gâteau elle
ajoute : «Le protectionnisme est
obsolète et impossible à mettre en œuvre
alors que les Français réalisent de plus
en plus de transactions électroniques ».
Les bras nous en tombent comme dirait la
Victoire de Samothrace. Le fait que les
transactions se fassent (en partie)
électroniquement renforce au contraire
les moyens de contrôle et les moyens de
perception d’une taxe. En réalité,
toutes les transactions électroniques
sont beaucoup plus (et beaucoup mieux)
contrôlables que des transactions
manuelles. Cette phrase de Madame Méadel
n’est cependant pas que d’une stupidité
sans nom. Elle témoigne dans
l’imaginaire de la Secrétaire Nationale
du PS la permanence de cette idée comme
quoi des innovations techniques changent
radicalement la nature des processus.
C’est d’une bêtise consternante. Les
innovations changes les formes de ces
processus (par exemple avec des systèmes
experts pour mettre en place un contrôle
des transactions automatisées) mais
nullement la nature ni le sens de ces
processus.
Ici encore, il faut s’interroger. Je
ne crois pas que Madame Méadel soit
aussi bête qu’elle paraisse à la lire.
Je crois que c’est une personne très
intelligente. Mais c’est une personne
qui ment sciemment à ses lecteurs. Et
c’est bien la tout le problème.
[1] Méadel J., « Sortie de l’euro,
protectionnisme : les chimères de Marine
Le Pen » in L’Obs, 16 mars 2015,
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1340014-sortie-de-l-euro-protectionnisme-les-chimeres-de-marine-le-pen.html?xtor=RSS-24
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