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Mélenchon, les institutions et la
souveraineté
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Dimanche 19 juin 2016
La montée en puissance de Jean-Luc
Mélenchon dans différents sondages est
l’indice d’une évolution de l’opinion.
Plusieurs de ces derniers le donnent
faisant jeu égal avec le Président en
exercice, François Hollande, voire le
dépassant dans certains. Bien sûr, tout
ceci n’est qu’indices. On sait trop la
fragilité de ces sondages à 11 mois de
l’élection. Mais, ces indices sont
concordant avec la chute de la
popularité du Président qui le met à un
niveau jamais atteint sous la Vème
République et qui le contraint a
accepter le principe d’une primaire,
geste inouï, et pour tout dire
humiliant, pour un président en
exercice. La possibilité qu’au premier
tour de l’élection présidentielle de
2017, Mélenchon dépasse Hollande est
désormais à envisager. Ceci
constituerait un événement majeur dont
les conséquences à court et à long terme
seraient considérables. D’ores et déjà
cette possibilité neutralise l’argument
du « vote utile » pour le candidat du P
« S », voire le fait jouer en faveur de
Mélenchon.
Bien entendu, Mélenchon attire la
haine des « socialistes de
gouvernement » (deux mensonges pour le
prix d’un car ils ne sont ni socialistes
ni capables de gouverner), de leurs
alliés et de leurs supplétifs, comme le
paratonnerre attire la foudre. Le vomi
s’étale dans les colonnes de l’Obs,
normalisé comme le fut Prague après
1968, ou de sa succursale pour bobo
startupisés, Challenges. De
même, l’attaque haineuse de Cohn-Bendit,
qui peut être parfois drôle et plus
rarement pertinent, est révélatrice de
la panique qui saisit le camp des biens
pensants. L’important est ailleurs.
Mélenchon doit faire face à ses propres
contradictions. Il a, peut-être,
rendez-vous avec l’histoire. La manière
dont il fera face à ses contradictions
sera décisive pour déterminer si sa
montée dans les sondages est appelée à
s’amplifier ou si elle ne fait que
traduire un instant particulier.
Les attentes
aujourd’hui
Il faut rappeler les données du
problème. En décembre dernier, aux
élections régionales, on avait pu
constater l’échec du Front de Gauche et
même le délitement de ce Front. Entre
les partisans de Mélenchon et la
direction du PCF, rien n’allait plus.
Mélenchon courrait le risque de se voir
enfermer dans la mécanique d’une
« primaire » dont l’objectif, évident,
était de faire place nette à une
candidature de François Hollande tout en
permettant au PCF de se trouver un
prétexte pour se rallier, sous couvert
de démocratie mais en réalité à des fins
purement alimentaires.
La décision de Jean-Luc Mélenchon de
renverser la table de l’ignoble festin
que l’on préparait dans les arrières
cuisines où se mijote la soupe
politicienne a été salutaire. On l’a
signalée et applaudie dans ce carnet[1].
Cette décision a mis au jour les
divisions tant au sein du PCF que dans
la gauche « socialiste ». Les
ralliements à la démarche de Mélenchon
furent nombreux et significatifs. Cette
décision correspondait aussi à la
logique intime des institutions. Tel
n’était pas le moins surprenant des
constats que l’on pouvait faire. Par son
geste, il se donnait un personnage
gaullien. Pour qui prétend vouloir
abolir la « monarchie présidentielle »,
ce n’est pas un petit paradoxe.
La candidature de Mélenchon
réintroduisait alors un élément de
politique charismatique, ce qui
correspondait aux attentes d’une partie
des électeurs dans la situation
actuelle, dont j’ai écrit qu’elle
correspondait à un « moment
souverainiste ». Ce moment, dont l’état
d’urgence fut un symbole, implique une
action « exceptionnelle ». C’est cela
qui en fait un « moment souverainiste »
car est souverain qui décide de
et dans la situation
exceptionnelle[2].
Et, ce cheval du souverainisme,
Mélenchon l’a enfourché. Que l’on
réécoute ses déclarations lors de
l’émission Des paroles et des actes
pour s’en convaincre.
Aujourd’hui, alors que la France
s’enfonce dans la crise politique et que
le gouvernement s’entête à vouloir
imposer une politique minoritaire,
Mélenchon apparaît celui qui, à gauche,
est le mieux placé pour répondre aux
attentes issues de la situation.
Crise
politique et moment souverainiste
Car, jamais depuis des dizaines
d’années, la situation n’a été aussi
pesante et aussi grave. Le choc des
attentats de novembre ne s’est pas
dissipé. La tuerie de Magnanville est là
pour nous le rappeler. Mais, à ce choc
est venu s’ajouter un mouvement social
de grande ampleur. Le rejet, majoritaire
dans la population, de la loi El Khomri,
n’a d‘égale que l’obstination du
gouvernement à imposer cette loi inique,
dont chacun sait qu’elle correspond à un
projet étranger, issu de l’Union
européenne. Cette loi n’est que la
traduction dans le droit français de
mesures inspirées et appliquées hors de
nos frontières. Et le fait
qu’aujourd’hui chaque événement social
mette en évidence la question de la
souveraineté nous confirme que nous
sommes toujours dans ce moment
souverainiste que j’ai décrit dans un
récent livre[3].
Le point qui doit retenir notre
attention est qu’en maintenant ce projet
de loi envers et contre l’opposition de
la majorité de la population, ce
gouvernement prend la décision
consciente de diviser gravement le pays,
de dresser les français contre l’Etat,
d’opposer les travailleurs aux forces de
l’ordre alors que face à la menace
terroriste l’unité de la Nation est plus
que jamais nécessaire. A cet égard, les
tentatives du pouvoir de faire interdire
les prochaines manifestations contre la
loi El Khomri prennent la dimension
d’une tragique provocation. On ne sait
alors ce qu’il convient de plus
stigmatiser : l’irresponsabilité d’une
politique dont les conséquences peuvent
à tout moment se révéler criminelles ou
un gouvernement « hors sol » qui agit,
dans les faits, comme un agent de
l’étranger.
Il n’est donc pas surprenant que les
côtes de popularité du Président comme
du Premier-ministre atteignent
aujourd’hui les abysses et les sondeurs
seront bientôt contraints d’user de
bathyscaphes. Et il n’est pas non plus
surprenant que la panique gagne cette
équipe gouvernementale dont les plus
intelligents comprennent ce qui les
attend. Ce qui se prépare n’est pas
seulement une défaite électorale
majeure. C’est une délégitimation
radicale dont la logique ultime sera un
éclatement du P « S ». François Hollande
se voulait l’héritier de Mitterrand ; il
n’est que la pale copie de Guy Mollet.
Mitterrand avait fondé le P « S » et
Hollande (certes bien aidé par Manuel
Valls) en est en réalité le fossoyeur.
Le P « S » sera renvoyé aux enfers
politiques comme le fut en son temps la
SFIO agonisante.
Manœuvres et
basse politique
Les tentatives de manœuvres
politiciennes auxquelles se livre ce
gouvernement aux abois sont à la mesure
de sa myopie et de son incompétence.
Après avoir tenté de susciter des
candidatures de division pour affaiblir
Jean-Luc Mélenchon, il en est réduit à
espérer celle de Nicolas Hulot. Il est
vrai que ce dernier pourrait rassembler
sur son nom une bonne part du vote
écologique, déçu par ce gouvernement et
écoeurés par le comportement des
dirigeants d’EELV qui sont passés du
statut de Verts à celui de politiciens
blettes sans jamais être murs. Mais il
est vrai aussi qu’une campagne
l’obligerait à faire la lumière sur
certaines de ces sources de financement.
Il n’est pas dit qu’il prenne, en fin de
compte, plus de voix à Mélenchon qu’à
Hollande.
L’épisode Macron se termine. La bulle
se dégonfle, ce qui est bien le moins
pour un ancien banquier d‘affaires. Le
personnage se voyait en capitaine et se
révèle incapable de résister à un œuf.
Il se croyait taillé dans le fer de
l’armure de Jeanne d’Arc, dont il tenta
sans vergogne de capter l’héritage, et
il n’est en réalité qu’une rose fleur
éphémère, morte au matin. La confusion
entre les deux en dit long sur
l’intelligence de son parrain politique,
le secrétaire général de l’Elysée.
Mais, la dernière en date de ces
manœuvres est bien le ralliement de
François Hollande au principe de la
Primaire. L’habileté n’est que
d’apparence. Assurément, il se donne une
image « démocratique » que démentent
tous ses gestes politiques. Assurément,
il oblige ses adversaires de la
« gauche » du P « S » à se démasquer et
à devoir, le cas échéant, le soutenir un
fois désigné. C’est en fait la même
manœuvre qui avait été tentée contre
Mélenchon et que l’on recycle cette fois
contre Arnaud Montebourg et quelques
autres.
On le voit, rien n’est digne, rien
n’est à la hauteur des enjeux, rien ne
montre que l’on ait compris les dangers
de la situation actuelle. C’est malin
mais ce n’est pas intelligent. Hollande
doit se comporter en Président et il
réagit en premier secrétaire. Cela dit
tout de l’inaptitude de l’homme.
Mélenchon au
pied du mur
Mélenchon peut-il se hisser à la
hauteur de ces mêmes enjeux ? Deux
questions seront ici décisives. La
première est bien entendu la question
des institutions. Que la question se
pose est une évidence, et il faut savoir
gré à Mélenchon de le dire et d’en faire
un point important de sa campagne. Les
différentes réformes constitutionnelles
de ces vingt dernières années ont
déséquilibré la Vème République.
L’introduction en son sein de
dispositifs issus de l’Union européenne,
parce qu’ils sont attentatoires à la
souveraineté, en affaiblit gravement la
légitimité. L’écriture d’une nouvelle
Constitution s’impose. Mais, il n’est
pas sur que les propositions portées par
Mélenchon apportent de véritables
remèdes aux maux dont nous souffrons.
Proposer l’élection d’une Assemblée
Constituante au milieu de la crise que
nous connaissons n’a de sens que si
cette assemblée concentre entre ses
mains tous les pouvoirs sur la
base d’une déclaration de nullité de la
Constitution actuelle. Le modèle, il
faut le dire clairement, c’est celui de
la Révolution, c’est 1793. Peut-être en
sommes nous là. Mais alors, dire comme
l’a fait Mélenchon : «Je voudrais être
le dernier président de la Ve République
et rentrer chez moi sitôt qu’une
Assemblée constituante, élue pour
changer de fond en comble la
Constitution, ait aboli la monarchie
présidentielle et restauré le pouvoir de
l’initiative populaire » n’a pas de
sens.
Des décisions lourdes de conséquences
devront être prises, sur l’Euro, sur
l’Union européenne mais aussi concernant
notre position dans les relations
internationales. Il faut tirer toutes
les conclusions du constat du « moment
souverainiste » que nous vivons
actuellement.
Il faudra donc le faire en même
temps que l’on réécrira la
Constitution. Croire que la personne qui
aura mis en branle cette révolution, car
pour le coup cela en sera une, puisse
s’en retourner chez elle paisiblement
est un rêve. Ce qui attend Mélenchon
n’est pas le sort de Cincinnatus mais
celui des héros des Dieux ont soif
d’Anatole France. Ou alors, il doit
rester dans le cadre de ce qu’il appelle
la «monarchie présidentielle », quitte à
user de l’ensemble des dispositifs
exceptionnels pour mettre en œuvre les
réformes qui s’imposent.
Admettons alors que Mélenchon
comprenne et assume ce que serait alors
son destin, est-il bien entouré pour
l’accomplir ? On constate tous les jours
que les autres responsables du Parti de
Gauche ne tiennent pas, et en
particulier sur la souveraineté, le même
discours que lui. Ce ne serait certes
pas la première fois qu’un dirigeant se
trouve ainsi en décalage avec ses
troupes. Mais, le problème posé est de
savoir comment se résout ce décalage. Le
dirigeant se plie-t-il à la volonté de
ses troupes ou, ouvrant le jeu des
alliances, élargit-il sa base de
légitimité. Autrement dit, la posture
adoptée par Mélenchon et sa stratégie
affichée sont contradictoires avec le
sectarisme qui caractérise sur bien des
points le Parti de Gauche et, dans une
moindre mesure, Mélenchon lui même. La
question se pose donc de savoir s’il est
capable de faire l’équivalent du
discours de la « main tendue » prononcé
par Maurice Thorez en 1936 et où le
dirigeant communiste s’adressait non
seulement aux catholiques mais aussi aux
« volontaires nationaux », c’est à dire
aux militants et sympathisants des
Croix de Feu[4].
Souveraineté, démocratie, laïcité
On doit le rappeler, nous vivons
aujourd’hui une situation grave, car le
cœur même de nos institutions est mis en
cause, une situation dangereuse, car
nous sommes confrontés non seulement à
la menace djihadiste mais aussi à une
politique gouvernementale qui divise
profondément la société française et qui
de par son caractère minoritaire
engendre une montée dans la violence,
une situation enfin exceptionnelle car
l’avenir du pays est en jeu. Cette
accumulation de facteurs de crises
appelle donc à des mesures
exceptionnelles, qui impliquent un
véritable renouveau.
Les forces de ce renouveau sont
aujourd’hui divisées, ce qui correspond
à l’histoire des forces politiques dans
notre pays. Cette division, pour
légitime qu’elle puisse être, est
cependant le principal danger pour le
renouveau politique et social du pays
car l’adversaire, quoi que minoritaire,
est quant à lui bien uni. Il convient
donc de penser sur quelles bases des
forces marchant séparément peuvent
frapper ensemble. Le mouvement social
contre la loi El Khomri peut nous mettre
sur la voie. Il montre l’urgence de
redonner la parole au peuple.
L’impératif démocratique est une des
leçons du mouvement social qu’il nous
faut retenir. Mais, ce mouvement montre
bien que la démocratie n’a de sens que
si elle se fonde sur le principe de
Souveraineté. La démocratie n’a de sens
que si elle débouche sur des décisions
souveraines. C’est en particulier le cas
sur la hiérarchie des normes. La lutte
pour la souveraineté est donc
primordiale. La souveraineté implique
alors que les moyens d’action du
gouvernement soient rétablis dans leur
plénitude. Mais, tant la mise en œuvre
de la souveraineté que l’exercice de la
démocratie exigent à leur tour que le
peuple ne soit pas artificiellement
divisé en communautés ethniques ou
religieuses. Ceci fonde l’importance du
principe de laïcité. C’est donc sur ce
tryptique, Souveraineté, Démocratie et
Laïcité, qu’il convient aujourd’hui de
se rassembler.
[1] Voir : Sapir J. « Mélenchon
Candidat ? »,
http://russeurope.hypotheses.org/4704
et « Mélenchon et l’imbroglio »,
http://russeurope.hypotheses.org/4526
[2] Schmitt C., Théologie
politique, Paris, Gallimard, 1988,
p. 16.
[3] Sapir J., Souveraineté,
Démocratie, Laïcité, Paris,
Michalon, 2016.
[4] On relira à ce propos avec
profit l’article de Michel Winock,
« Retour sur le fascisme français : La
Rocque et les Croix-de-Feu », in
Vingtième Siècle, n°90, avril-juin
2006.
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