RussEurope
Sortir de l'Euro
Jacques Sapir
Photo: RIA
Novosti
Lundi 14 avril 2014
Les élections
européennes vont être l’occasion de
faire le point sur le sentiment des
peuples face à la construction de
l’Union Européenne. On sait que cette
opinion s’est fortement dégradée depuis
2009, ce que montrent nombre de
sondages. Le problème est
particulièrement aiguë en France où,
pour la première fois, le nombre
d’opinions défavorables à l’Union
Européenne est majoritaire.
Il convient tout
d’abord de rappeler que l’Union
Européenne n’est pas l’Europe, quoi
qu’elle puisse le prétendre. L’Europe
est une réalité géographique, une
réalité politique – même et y compris
dans ses conflits – et, bien entendu,
elle est une réalité culturelle. Cette
réalité a existé bien avant que ne
naissent les premiers projets d’union ou
de fédération.
L’Union européenne
n’est pas l’Europe…
L’Europe a existé,
culturellement et d’une certaine manière
politiquement, bien avant la Communauté
Économique Européenne (ce que l’on
appelait le « Marché Commun » et qui est
l’ancêtre de l’UE) et bien entendu avant
l’UE. L’UE a institutionnalisé des
mécanismes de coopération, mais elle a
aussi figé les relations entre les pays
Européens qui en faisaient par et a
déstabilisé largement ceux qui étaient à
sa périphérie. L’UE, et la CEE avant
elle, n’ont pas été des « forces de
paix » à l’échelle du continent
européen. Le prétendre, c’et oublier le
rôle fondamental de la dissuasion
nucléaire, assurée par des Etats (le
couple URSS-Etats-Unis puis la
Grande-Bretagne et la France). La
dissuasion nucléaire, en rendant
impossible une guerre majeure en Europe,
et ceci en particulier dès que la
dissuasion française est devenue
effective (milieu des années 1960) a
joué un rôle bien plus décisif que la
CEE et l’UE dans le maintien de la paix.
C’est à ce moment là que la réflexion
militaire en Union soviétique commence à
argumenter que toute guerre majeure
débouchera sur une guerre nucléaire
et que l’on ne peut pas gagner une
guerre nucléaire[1].
De ce point de vue, la contribution de
la CEE et de l’UE au maintien de la paix
en Europe est plus que discutable. L’UE
a été une cause de conflit, en
précipitant hier la désintégration de
l’ex-Yougoslavie et la guerre civile qui
en a résulté. Il faut se souvenir que la
cause essentielle de cette
désintégration fut l’attraction de l’UE
sur la Slovénie et la Croatie. La mise
ne place d’un plan de stabilisation,
dont les effets étaient perçus de
manière inégale entre les Républiques de
la Yougoslavie, a attisé l’opposition
entre la Croatie et la Serbie. Mais,
c’est bien la perspective d’une adhésion
rapide à l’UE qui a convaincu les
dirigeants slovènes et croates de faire
sécession. Le même phénomène est
aujourd’hui à l’œuvre en Ukraine.
Enfin, la politique
économique menée par l’UE depuis 2009
(et même depuis en réalité 2000 dans la
zone Euro) est la cause de la faible
croissance européenne et de la montée
astronomique du chômage en Grèce (plus
de 28%) en Espagne, au Portugal, mais
aussi en Italie et en France. Loin de
protéger les populations, l’UE s’est
trop ouverte et elle a favorisé la
contagion de la crise financière de
2007-2008[2].
On peut comprendre, dans ces conditions,
le ressentiment que de nombreux
électeurs éprouvent, qu’il s’agisse de
l’UE ou plus précisément de la zone Euro
qui est elle directement en cause dans
la stagnation économique et la crise que
connaissent certains pays. C’est l’une
des raisons du mécontentement
anti-européen qui monte aujourd’hui dans
divers pays. C’est pourquoi, les
élections européennes de mai 2014
porteront entre autres sur la question
de l’Euro. Cette question est en réalité
posée depuis le début des années 2000[3],
mais il est vrai qu’elle n’a pris la
dimension d’un problème central que
depuis la crise de la Grèce fin 2009[4].
Les avantages d’une
dissolution de l’Euro
Une sortie de
l’Euro, qu’elle résulte d’une
dissolution coordonnée de la zone Euro
ou d’une sortie « sèche », aurait de
nombreux avantages pour les pays de
l’Europe du Sud et en particulier pour
la France. On a tenté d’en mesurer les
effets dans un ouvrage publié en
septembre 2013[5].
Tout d’abord, à
travers une dépréciation du Franc
retrouvé qui pourrait être de 20% à 30%
(et tout concourt à penser qu’en réalité
on sera autour de 20%) cela
reconstituerait immédiatement la
compétitivité des entreprises
françaises, tant à l’export que sur le
marché intérieur français. C’est le
« choc de compétitivité » dont
l’économie française et l’industrie en
particulier ont besoin. Par rapport à
cela le fameux « pacte de
responsabilité » du gouvernement ne
représente qu’une pichenette. Notons ici
qu’une dévaluation de l’Euro, telle
qu’elle est défendue par le Ministre de
l’Économie M. Arnault Montebourg,
n’aurait que des effets bien plus
réduit. Elle ne jouerait que par rapport
aux pays de la zone Dollar. C’est certes
important, et le Ministère des Finances
a calculé qu’une dépréciation de 10%
entraînerait un gain de 1,2% à 1,8% de
croissance du PIB. Ceci valide
d’ailleurs les hypothèses de calcul qui
ont été utilisées dans l’ouvrage paru en
septembre[6].
Notons aussi que ces calculs donnent
tort à tous ceux, et ils sont nombreux,
qui prétendent que aujourd’hui la
compétitivité n’est plus mesurée par le
coût du produit.
Mais la France ne
fait qu’environ 50% de son commerce
international avec la zone Dollar. Le
reste se fait avec la zone Euro, et
concerne pour l’essentiel nos échanges
avec l’Allemagne, mais aussi avec
l’Italie et l’Espagne. C’est bien
pourquoi une sortie de l’Euro serait
bien plus avantageuse qu’une simple
dépréciation de l’Euro. Les calculs qui
ont été réalisés avec P. Murer et C.
Durand montrent que dans une telle
hypothèse, et en admettant que la
dépréciation de la monnaie italienne et
de la monnaie espagnole soit plus
importante que celle du Franc, autrement
dit en adoptant une hypothèse de
dévaluations compétitives des divers
autres pays de l’Europe du Sud, cela
donnerait un coup de fouet
impressionnant à l’économie française,
entraînant une croissance – toute chose
étant égale par ailleurs – de 15% à 22%
sur une durée de 4 ans. Il faut ici
signaler que non seulement l’industrie
serait la grande bénéficiaire de cette
dépréciation, mais que son effet
bénéfique se ferait aussi sentir dans
les services, soit dans les services
associés à l’industrie soit dans des
branches qui sont très sensibles à des
mouvements de taux de change, comme le
tourisme, l’hôtellerie et la
restauration.
Un deuxième
avantage induit serait une forte
réduction du poids de la dette, sous
l’effet des recettes fiscales engendrées
par cette croissance. Il deviendrait
possible d’alléger le fardeau de la
fiscalité pesant sur les ménages et sur
les entreprises. Dans les quatre années
suivant la décision de sortir de l’Euro,
nous verrions le poids de la dette
publique passer de 93% du PIB à 80%-66%
suivant les hypothèses. C’est bien plus
que ce que l’on pourra jamais réaliser
en restant dans l’Euro.
Un troisième
avantage, et de mon point de vue c’est
le plus important, serait de faire
reculer massivement le chômage, et de
créer en grande quantités des emplois
dans l’industrie. Ici encore, nous avons
estimé – sur la base des demandeurs
d’emploi de catégorie A – que l’on
aurait une création nette d’emploi de
1,5 à 2,2 millions en trois ans.
Rapporté aux autres catégories utilisées
par la DARES, le gain devrait être
encore plus important car la croissance
permettrait de pérenniser nombre
d’emplois précaires. Si l’on considère
le total des catégories A, B et D, le
gain pourrait se monter de 2,5 millions
à 3 millions d’emplois. Notons qu’un tel
retour massif à une situation de plein
emploi améliorerait immédiatement le
financement des caisses
d’assurance-chômage, mais aussi celles
de l’assurance-vieillesse.
Les inconvénients
potentiels d’une sortie de l’Euro
Une sortie de
l’Euro et une forte dépréciation de la
monnaie (le Franc) auraient aussi des
inconvénients, qu’il ne faut cependant
pas s’exagérer.
Tout d’abord, il y
aurait une hausse des produits importés
quand ils proviennent de pays par
rapport auxquels le Franc se serait
déprécié (Allemagne, pays de la zone
Dollar). C’est d’ailleurs le but de
toute dépréciation de la monnaie. Mais,
cet inconvénient est fortement surestimé
par des politiciens sans scrupules qui
ne cherchent qu’à affoler la population
pour défendre l’Euro. Ainsi, dans le cas
des carburants, compte tenu du poids
immense des taxes, une dépréciation de
20% du taux de change du Franc par
rapport au taux actuel de l’Euro face au
Dollar, ne provoquerait qu’une hausse de
6% du prix à la pompe. On voit que ceci
est très raisonnable.
Il y a ensuite la
dimension financière des conséquences
d’une telle dépréciation. Regardons tout
d’abord ce qu’il en est en ce qui
concerne la dette publique. On sait que
les Obligations émises par le Trésor
public, quand elles sont émises depuis
le territoire français, doivent être
remboursées dans la monnaie ayant cours
légal en France. C’est la seule
obligation légale les concernant. Si
cette monnaie n’est plus l’Euro mais le
Franc, elles seront remboursées en
Franc. Et, si le Franc s’est déprécié
vis à vis de l’Euro les détenteurs
étrangers d’obligations françaises
prendront leurs pertes, tout comme un
détenteur français de bonds du Trésor
américain prend ses pertes quand le
Dollar se déprécie fortement face à
l’Euro. Cependant, il est clair que cela
provoquera par la suite une
hausse des taux d’intérêts (ce que l’on
appelle dans le jargon financier une
« prime de risque ») pour toute nouvelle
émission. Mais, on peut parfaitement
contourner ce problème. Il faudra
réintroduire le mécanisme qui existait
jusqu’au début des années 1980, et qui
obligeait les banques françaises (ou
toute banque souhaitant travailler en
France) à avoir dans leur bilan un
certain montant d’obligations du Trésor
(mécanisme du plancher obligatoire des
effets publics).
Pour les dettes
mais aussi l’épargne des particuliers et
des entreprises, comme cette épargne et
ces dettes sont essentiellement détenues
dans des banques françaises, il n’y
aurait pas de changement. Il est ainsi
criminel, comme le font certains
politiciens tant de l’UMP que du PS,
d’aller affirmer – en cherchant à
affoler une nouvelle fois la population
– qu’une dépréciation de 20% du Franc se
traduirait par une perte de 20% de
l’épargne. En réalité, et tous les
économistes le savent, il n’y a de perte
de valeur que dans la mesure où l’on
achète, avec son épargne, des biens
provenant de pays par rapport à la
monnaie desquels le Franc s’est
déprécié. Pour les achats réalisés en
France, ou de produits (et de services)
français, ce qui représente plus de 60%
des transactions en volume, il n’y
aurait aucun changement. De plus,
certains pays ayant une monnaie se
dépréciant plus que le Franc (l’Italie,
l’Espagne, le Portugal et la Grèce),
l’épargne française verrait son pouvoir
d’achat se réévaluer pour des opérations
dans ces pays.
Le seul véritable
inconvénient est une poussée d’inflation
qui se fera sentir dans les 24 mois
succédant à cette sortie de l’Euro et
cette dépréciation du Franc. L’inflation
induite par la dépréciation du France
devrait être de 5% la première année et
de 3% la seconde. Il faudra, pour y
faire face, rétablir très probablement
des mécanismes d’indexation des salaires
et des pensions. Néanmoins, toute hausse
de l’inflation, aura aussi pour effet de
faire baisser mécaniquement les taux
d’intérêts réels (par la différence
entre le taux nominal et le taux
d’inflation). Ceci pourrait avoir un
effet très positif sur l’investissement
des ménages et des entreprises. De plus,
l’inflation efface mécaniquement une
partie de la dette accumulée. Aussi,
même la perspective de connaître à
nouveau une période de relative
inflation ne doit pas être vue comme
uniquement un inconvénient, mais bien
comme quelque chose qui pourrait être
utile pour l’économie.
Il faut enfin
ajouter que, bien entendu, des réformes
sont nécessaires en France. Mais, tous
les pays qui ont fait des réformes de
profondeur l’ont fait APRÈS une forte
dépréciation de la monnaie. Sortir de
l’Euro, laisser le Franc se déprécier,
cela peut être un premier pas décisif
sur la voie des réformes.
Le risque politique
d’une sortie de l’Euro
Le risque politique
n’est pas à négliger, mais il convient
de dire que le risque d’une séparation
est d’autant plus facile à envisager
qu’il est anticipé. C’est le paradoxe
central d’une dissolution de la zone
Euro. Personne ne veut, au niveau des
gouvernements, l’envisager ouvertement.
Pourtant, cette attitude est
profondément autodestructrice. En effet,
si cette dissolution pouvait se faire de
manière coordonnée, le choc serait
minime. Mais, le refus actuel des
gouvernements à envisager cette solution
ne laisse plus comme solution qu’une
sortie de l’Euro par un ou deux pays
(l’Italie et la France) entraînant à sa
suite une désintégration générale de
l’Euro qui pourrait prendre entre 6 mois
et un an. Dans ces conditions, il est
clair que les pays qui souffriront le
plus seront ceux qui sortiront de l’Euro
les derniers. Dans une telle situation,
il y a en effet une prime au « premier
sorti », qui bénéficie à plein de
l’effet de dépréciation de sa monnaie.
C’est d’ailleurs pour cette raison que
dès qu’un pays important aura quitté
l’Euro le mouvement de sortie deviendra
rapidement irréversible. S’il s’agit de
la France, l’Italie se verra obligé de
nous imiter en quelques semaines. La
sortie de la 2ème et de la 3ème
économie de la zone Euro entraînera
celle de l’Espagne (4ème
économie), et en chapelet le Portugal,
la Grèce, mais aussi la Belgique et les
Pays-bas. Si l’Italie sort la première,
la pression sur l’économie française
deviendra telle que nous devrons nous
aussi sortir dans les trois mois qui
suivent. Quelle que soit l’origine, la
chaîne des sorties successives sera
activée et deviendra une réalité en
moins de douze mois.
La dissolution de
la Zone Euro, ou des sorties de certains
pays, ont bien été étudiées dans de
nombreux pays : Allemagne, France,
Italie, Espagne et Pays-Bas. Dans les
études officielles, que ce soit celles
qui ont été réalisées par les Banques
Centrales, ou par les Ministères des
Finances, et dont j’ai pu avoir
connaissance, le bilan d’une telle
sortie est globalement positif. Il est
même très positif pour la France et
l’Italie, et c’est ce qui inquiète les
partisans d’une défense absolue de
l’Euro. Toutes ces études mettent en
avant le caractère positif d’une
dépréciation du taux de change.
L’obstacle se situe donc au niveau
politique. Des études « privées » ont
aussi été réalisées, et mon centre de
recherches y a contribué[7].
Certaines de ces études ont été faites
dans le but de discréditer une sortie de
l’euro, et elles font état de résultats
aberrants. Ainsi, l’Institut Montaigne
envisage une chute importante du PIB
sans donner d’indication sur le pourquoi
ni le comment du calcul. Cela jette un
grand doute sur certaines de ces études.
On peut penser que les chercheurs
supposent un effondrement du commerce à
l’intérieur de la zone Euro. Mais, le
retour aux monnaies nationales – qui est
d’ailleurs largement anticipé dans
nombre de banques et d’entreprises – ne
compromettra nullement ce commerce, tout
comme le passage à la monnaie unique n’a
pas produit le surcroît de commerce et
de croissance que certains prédisaient.
En ce qui concerne
la fraction de la dette publique détenue
par des « non-résidents », toutes les
personnes interrogées, qu’elles
appartiennent à des administrations ou à
des banques privées, reconnaissent que
le principe de la « Lex Monetae », soit
le fait que la dette d’un pays, si elle
émise dans ce pays doit être remboursée
dans la monnaie du pays, que cette
monnaie s’appelle l’Euro ou un autre nom
(Franc, Lire Italienne, Pesetas
espagnole…) s’appliquera. Il n’y aura
pas d’espace pour des procès en droit
international.
Reste alors un
argument souvent évoqué : quel serait le
poids d’un pays comme la France dans la
« mondialisation » si nous sortions de
l’Euro. Mais, cette mondialisation
n’empêche pas la Corée du Sud (44
millions d’habitants) ou même Taiwan, de
bien fonctionner. En Europe, la Suède et
la Grande-Bretagne ne se portent pas
plus mal de n’être pas dans la zone
Euro. En fait, ceux qui tiennent ce
discours sont les héritiers indirects du
régime de Vichy, en ceci qu’ils ne font
pas confiance en notre pays, en ses
valeurs et en ses capacités. Il faut
avoir confiance dans les points forts de
la France, qui sont nombreux. Il est de
plus important de préserver notre modèle
social, qui fait désormais partie de
notre culture politique ce que reconnaît
le préambule de notre Constitution ce
que l’on a trop tendance à oublier. De
ce point de vue, la pratique du Conseil
Constitutionnel a été honteuse dans
l’accommodation à des règles étrangères.
Dire cela ce n’est
nullement refuser de coopérer avec les
autres pays d’Europe. Dire cela ce n’est
nullement refuser de coopérer avec des
pays européens qui ne font pas partie de
l’UE comme la Russie qui est à la fois
en Europe et en Asie. Dire cela, ce
n’est nullement refuser de coopérer avec
les pays d’Afrique. Aujourd’hui, l’Union
Européenne fait obstacle à une vision
plus large de nos coopérations. Où est
l’UE quand la France s’engage au Mali ?
Par contre, la Russie est à nos côtés,
et ce sont des avions russes qui
assurent une bonne part de la logistique
de nos opérations extérieures. Il faut
en tirer les leçons, aussi déplaisantes
qu’elles puissent être pour certains.
La posture de
l’État-Nation est, par ailleurs, et il
faut le rappeler sans cesse et sans
faiblir, la seule à garantir la
démocratie, car il ne saurait y avoir de
démocratie sans souveraineté ni
légitimité. Ici encore, qu’il s’agisse
de raisons conjoncturelles, et ce sont
des raisons importantes, ou de raisons
de principe, il est clair que la France
doit s’attacher à retrouver sa
souveraineté.
De la solidarité
entre les pays européens
C’est un véritable
problème, mais il est très mal posé.
Tout d’abord reconnaissons qu’avec une
budget de l’UE égal à 1,26% du PIB, et
dont une large partie est dévorée par la
bureaucratie bruxelloise, cette
solidarité ne peut être financière. On
l’a vu avec le cas de la Grèce et de
l’Espagne. L’aide n’a pas été fournie
aux populations, mais aux créditeurs des
banques et de l’État, soit avant tout
aux banques françaises et allemandes. Il
faut dire et redire ici que l’on a fait
payer aux populations de ces deux pays
le soutien à nos banques. Ni plus
ni moins.
De plus, sans doute
exige-t-on trop de la solidarité de
peuples qui ne se connaissent que peu et
mal. La solution du fédéralisme intégral
doit être rejetée en raison de la charge
financière qu’un tel fédéralisme ferait
porter sur certains pays, comme
l’Allemagne en particulier. Il n’est pas
réaliste de penser que les Allemands
pourraient contribuer à hauteur de 8% à
12% de leur PIB pendant plusieurs années
aux budgets des pays du Sud de l’Europe.
Cette solidarité doit donc être déplacée
sur le terrain du politique et doit
pouvoir s’incarner dans des projets,
tant industriels que scientifiques,
menés dans des cadres bi ou
multilatéraux. Tel fut, il faut s’en
souvenir, l’origine d’Airbus et
d’Ariane.
L’Euro est condamné
Aujourd’hui, nous
avons la possibilité de dire que la
monnaie unique est condamnée, tant pour
des raisons conjoncturelles (le poids de
l’austérité qu’elle impose aux peuples
du Sud de l’Europe) que pour des raisons
principielles. Ce fut folie que de faire
la monnaie unique sans réaliser au
préalable l’Europe sociale et fiscale.
Ce fut folie en effet que de faire une
monnaie unique entre des pays dont les
structures, tant économiques que
sociales et démographiques étaient aussi
différentes et divergentes. Ce fut folie
que de faire une monnaie unique entre
des pays qui, en conséquence, avaient
des taux de gains de productivité très
différents et des inflations
structurelles (ainsi qu’un rapport entre
l’inflation et la croissance) aussi
différent. L’Euro a été réalisé pour des
raisons politiques. On a cru qu’en
imposant un premier élément d’Europe
fédérale, alors que les populations en
refusaient le principe, on arriverait,
par petits bouts, à construire
subrepticement cette Europe fédérale. On
a vu le désastre auquel cette politique
du fédéralisme furtif a conduit.
Les dirigeants, et M. Jacques Delors en
premier, ont cru que l’économie se
plierait à la politique. Mais, les faits
sont tétus. Quand on les méprise, ils se
vengent. La divergence macroéconomique
entre les pays de la zone Euro était
évidente dès 2006. J’avais tiré la
sonnette d’alarme à cette époque[8].
Elle est devenue insupportable avec la
crise financière et ses conséquences.
Avant que la crise de l’Euro n’emporte
tout, il serait plus sage de dissoudre
l’Euro et de commencer à voir entre
quels pays il serait possible
d’organiser une convergence tant sociale
que fiscale, qui pourrait permettre de
reconstruire, dans un délai qui reste à
préciser, un instrument monétaire
commun.
On nos dira alors
qu’il faut « changer l’Europe ». Vieille
antienne devenue une véritable scie.
Mais, c’est un discours que l’on tient
depuis plus de vingt ans et qui n’a
aucun effet, pour des raisons qui sont
d’ailleurs simples à expliquer. Pour
changer l’Union Européenne, il faudrait
que les 27 autres pays se convertissent
à nos valeurs, et à notre situation.
Tache impossible et même tache malsaine,
car la différence peut être source
d’enrichissement. Mais alors, il faut
trouver des solutions permettant à ces
différences de s’exprimer sans que nous
ayons à en payer les frais. Cela impose
des changements institutionnels
substantiels. Ce n’est pas « changer
l’Europe » qu’il faut, mais bien
« Changer d’Europe », et pour cela ne
pas hésiter à détruire ce qui est un
obstacle, comme l’Euro. Tel est le point
capital qui doit guider notre vote lors
de ces élections européennes.
[1] Les Voroshilov Lectures
le confirment, à partir de 1971-72.
[2]
Sapir J., « From
Financial Crisis to Turning Point. How
the US ‘Subprime Crisis’ turned into a
worldwide One and Will Change the World
Economy » in Internationale Politik
und Gesellschaft, n°1/2009, pp.
27-44.
[3] Sapir J., « La Crise de l’Euro :
erreurs et impasses de l’Européisme » in
Perspectives Républicaines, n°2,
Juin 2006, pp. 69-84.
[4]
Sapir J., « Is the Eurozone doomed to
fail », pp. 23-27, in Making Sense of
Europe’s Turmoil, CSE, Bruxelles,
2012.
[5] Sapir J., Les scénarii de
dissolution de l’Euro, (avec P.
Murer et C. Durand) Fondation ResPublica,
Paris, septembre 2013.
[6] Sapir J., Les scénarii de
dissolution de l’Euro, (avec P.
Murer et C. Durand), op.cit..
[7] Voir Sapir J., Les scénarii
de dissolution de l’Euro, (avec P.
Murer et C. Durand), op.cit..
[8] Voir mon article « La Crise de
l’Euro : erreurs et impasses de
l’Européisme » in Perspectives
Républicaines, n°2, Juin 2006, pp.
69-84.
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