RussEurope
Hollande et les décombres
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 13 mai 2016
La loi El Khomri a
donc été passée en force, et le
Premier-ministre tout comme le Président
peuvent contempler leur œuvre : ils ont
fait de la politique française un champ
de ruines. Bien sûr, ils ont « gagné »,
comme cela se dit et se lit dans les
cercles médiatiques du pouvoir. Le
mouvement social s’épuise. Mais, c’est
une victoire parmi les décombres. Le
Président s’était présenté comme l’homme
de la synthèse et du renouveau moral ;
il n’aura réussi qu’à être l’homme de la
destruction et du discrédit.
Décombres
politiques
Le champ de ruines est impressionnant
si on regarde l’espace politique. Le
Parti « socialiste » est au bord de la
scission. Bien entendu, on ne peut
exclure un replâtrage tant les uns comme
les autres manquent singulièrement de
courage politique. Mais, la réalité est
que le P « S » a explosé. Les anciennes
rancoeurs, recuites au feu doux de
congrès, sont désormais devenues
inexpiables. Dans le même temps, ceux
que l’on appelle les « frondeurs », et
c’est sans doute bien trop d‘honneurs
que de les comparer à cette épisode de
l’Histoire de France, se sont
complètement déconsidérés par leur refus
de voter la motion de censure déposée
par la droite. Seul, la fin du dernier
mandat de François Mitterrand peut se
comparer à cela. Pourtant, à l’époque,
cela ne concernait que le P « S ».
François Hollande, par ses manœuvres,
aura réussi à entraîner dans la chute
l’autre « grand » parti, les
« Républicains ».
Que l’on regarde les principales
figures qui se battent pour la primaire,
de Nicolas Sarkozy à Alain Juppé, en
passant par l’ectoplasmique Bruno Le
Maire et le terne François Fillon, c’est
une surenchère d‘austérité qui nous est
promise. Aucun de ces personnages n’a la
moindre compréhension de la situation
économique où nous nous trouvons. Si les
programmes des uns ou des autres étaient
appliqués, ils plongeraient la France
dans une nouvelle récession. Cette
droite a d‘ailleurs fait amplement la
preuve de son sectarisme, et de son
incompréhension des problèmes
économiques, en écrivant le texte d’une
motion de censure qui est un concentré
d‘imbécillités et qui a servi à certains
des frondeurs pour justifier (à tort)
leur abstention, et en fin de compte
leur lâcheté.
Les deux grands partis sont
aujourd’hui largement déconsidérés.
Voilà les décombres sur lesquels Manuel
Valls et François Hollande sont en train
de régner. Que, de ces décombres
naissent de coupables ambitions, comme
celles d‘Emmanuel Macron, le Ministre de
l’économie, n’est pas pour étonner. On
dira que l’homme tire dans le dos de sa
propre famille politique. Mais, quand on
n’a plus d’honneur, on n’a plus de
famille. Et l’homme qui prétend sauver
l’économie française par des autocars
peut se targuer d’avoir été à bonne
école avec ce que lui aura appris la
fréquentation de cette prétendue
« gauche » de gouvernement.
Décombres
sociaux et économiques
Le désastre actuel ne s’arrête,
hélas, pas là. Il s’étend au domaine
économique et social. Qui ne peut voir
dans l’obstination mortifère du
gouvernement à faire passer la loi El
Khomri la preuve d’une soumission à un
pouvoir étranger ? Car, cette loi, elle
était exigée par les instances
européennes, au nom de ces « réformes »
qui ne sont que le nom donné à
l’austérité. Et, cette austérité, elle
est la véritable politique économique de
la zone Euro, telle qu’elle est imposée
par l’Allemagne. Car, c’est l’Allemagne
qui entend profiter des avantages que la
zone Euro lui donnent sans faire
d‘efforts en contrepartie. En son nom,
mais aussi en celui d’une construction
européenne qui est largement sortie de
ses rails, on va détruire les
institutions collectives et les règles
qui s’étaient constituées à travers près
de 150 ans de luttes sociales.
Dans le même temps que passait cette
réforme détestable en France, on
apprenait qu’à Bruxelles les
gouvernements des pays de l’UE n’avaient
pu se mettre d’accord sur une réforme de
la directive concernant les travailleurs
détachés. On sait qu’en l’état, cette
directive permet une concurrence
déloyale qui pénalise lourdement les
entreprises françaises. Ici encore se
dévoile toute l’hypocrisie du
gouvernement qui dit un jour qu’il va
faire ceci et qui le lendemain se soumet
sans faillir aux injonctions de
Bruxelles. La liste est longue des
reniements, et ceux-ci on commencé dès
le début du mandat de François Hollande
avec le vote du TSCG, traité qu’il
aurait fallu soumettre à référendum.
Cette présidence laisse donc derrière
elle un véritable champ de ruines
économiques et sociales, avec un
accroissement impressionnant du chômage
et de la précarité combiné à la
destruction sans précédant des
institutions sociales et un recul
historique en matière de droit du
travail. Ce qui est véritablement
tragique est que ce champ de ruines
pourrait laisser les mains libres à
d’autres reculs et d‘autres destruction
car, il faut le rappeler, le programme
des prétendants des « Républicains »,
est de la même eau, ou plutôt de ce même
vin ranci issu des outres fétides du
néo-libéralisme et de la soumission à
Bruxelles et à l’Union européenne.
Ruptures
Dès lors, il ne faut pas s’étonner
des violences qui accompagnent les
manifestations de protestation contre la
loi El Khomri. Il est clair que dans
nombre de cas on est en présence de
provocations encouragées voire commises
à l’instigation du Ministère de
l’intérieur. Les images de « casseurs »
opérant à côté des CRS le prouvent.
Mais, il serait faux de s’en tenir à
cette seule explication. Ce serait faire
bon marché de l’exaspération croissante
d’une large part de la jeunesse en
révolte, et qui se trouve sans débouchés
politique avec la fin du mouvement
« Nuit debout ». Avec toutes ses
limites, et elles étaient nombreuses, ce
mouvement témoignait de la convergence
des aspirations pour « autre chose ».
Les instigateurs de ce mouvement n’ont
pu ou voulu lui donner un débouché
politique. Il est donc compréhensible
que face à la violence légale déployée
par le gouvernement, violence dont
l’usage de l’article 49-3 a été le
symbole, cette exaspération s’exprime.
Mais, elle cache une exaspération plus
profonde et plus sourde, qui se traduira
certainement dans les résultats aux
prochaines élections. Le meilleur
pourvoyeur en votes Front National est
indiscutablement ce gouvernement et,
au-delà, une large part de la « classe
politique » qui, par manque
d’intelligence pour certains, par
conformisme pour d‘autres, par
soumission à l’européisme pour beaucoup,
se révèle incapable de produire les
réponses nécessaires face à la crise
économique, sociale et politique que
nous traversons. Cela fait partie des
décombres que laisse derrière lui
François Hollande.
Une grande partie de la jeunesse
n’est pas simplement « en révolte ».
Elle est en rupture avec les cadres
politiques et sociaux qu’on veut lui
imposer. Et la même chose peut être dite
de nombreuses catégories sociales, des
travailleurs hospitaliers aux paysans,
des ouvriers et employés – soumis à la
tyrannie de « petits chefs » dopés à la
loi El Khomri – aux policiers et
militaires. Il ne faudra pas s’étonner
ni gémir si ces catégories usent, pour
exprimer leur rupture, du seul
instrument qui leur est offert.
Le sommaire de Jacques Sapir
Le
dossier politique
Les dernières mises à jour
|