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Primaires…
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 12 janvier 2016
Un certain nombre de personnalités de
la gauche viennent de publier dans un
quotidien une tribune appelant à une
primaire pour désigner le candidat de la
« gauche » à l’élection présidentielle
de 2017[1].
Cet appel contient certaines choses avec
lesquelles ont peut être en accord.
Mais, le sens de cette initiative tend
plus à obscurcir qu’à éclairer le débat.
Fondée sur une illusion, cette
initiative ne peut avoir que des
résultats contraires à ceux qu’affichent
certains de ses promoteurs.
Un appel
« anti-Hollande »
Cet appel se présente comme une
« réaction » aux succès électoraux du
Front National aux dernières élections
régionales de décembre 2015. Il affirme
que le système politique est bloqué ce
qui induit que : « Faute de
propositions satisfaisantes, de
perspectives claires et de résultats
tangibles, nos concitoyens sont nombreux
à s’abstenir aux élections, quand ils ne
s’abandonnent pas aux promesses
insensées et au discours de haine du
Front national ». Mais, on
remarquera qu’il ne produit nulle
analyse des raisons fondamentales de
cette situation. Et pour cause : les
participants à cet appel viennent
d’horizons et de positions trop diverses
pour qu’un accord sur ce point soit
possible.
Dans les faits, cette tribune
constitue un appel contre une
nouvelle candidature de François
Hollande. Ceci est parfaitement
compréhensible. Le bilan du mandat de
François Hollande est en effet tout à
plein désastreux. Qu’il s’agisse de son
bilan politique, avec l’échec patent sur
le chômage, l’absence de politique
économique remplacée par un simple
saupoudrage de subventions aux patrons
(à l’efficacité dérisoire), le reniement
éhonté des promesses de campagne, la
perpétuation de la tendance à
l’affaiblissement de la République ou
une politique étrangère calamiteuse, ou
que l’on regarde dans le domaine
symbolique où sous les oripeaux d’une
présidence prétendument « normale » se
cache un président jouisseur et la
perpétuation des habitudes de
clientélisme et de corruption, ce bilan
est l’un des pires depuis les début de
la IIIème République. La méfiance
exprimée par les signataires de ce texte
envers une nouvelle candidature de
François Hollande se comprend donc
parfaitement, et on la partage.
Mais, fallait-il pour dire cela en
passer par un « appel pour une
primaire » ? Il y a là un singulier
manque de courage de la part des
signataires. Comme si, paralysé parce
qu’il leur apparaît par l’énormité de
leur constat, ils cherchaient une forme
d’euphémisation de leur propos. Cette
euphémisation fait perdre une grande
partie de sa force potentielle à cet
appel. Car, des primaires à gauche, il y
en eut, en 2007 et en 2012. On sait ce
qu’il en est advenu. La campagne de ces
primaires a été l’occasion d’un
formidable déferlement d’hypocrisie. Et,
aujourd’hui, nous avons comme
Premier-ministre un homme qui a fait à
peine 5% des voix lors de la primaire de
2012.
Primaire et
démocratie
En fait le mécanisme de la primaire
soulève énormément de problèmes du point
de vue démocratique. Il ne faut pas
oublier qu’initialement ce mécanisme a
été conçu comme un contournement des
partis, une manière de faire disparaître
la voix des militants en la noyant dans
un ensemble indistinct. Ce contournement
peut se justifier si l’on fait le
constat que les partis politiques, et le
P « S » en particulier, ne sont plus des
appareils démocratiques mais sont
devenus le champ clôt de clientèles
particulières, de mécanismes de
corruption qu’ils soient directs ou
indirects. Mais, si tel est bien le cas
– et l’on se souvient du conflit qui
opposa Arnaud Montebourg aux dirigeants
de la Fédération des Bouches du Rhône du
P « S », conflit qui alla jusqu’à des
menaces physiques – alors c’est le parti
qu’il convient de changer et de défaire.
La primaire apparaît alors comme une
rustine, certes nécessaire à un moment,
face à un navire qui prend l’eau. Mais,
les rustines ne sont pas des solutions
pérennes.
Le mécanisme de la primaire implique
aussi qu’il n’y aurait pas de
divergences importances de ligne
politique au sein du camp qui se définit
comme « la gauche ». Comme si la ligne
fédéraliste de Daniel Conh-Bendit était
la même que celle de Thomas Piketty, ou
que ces positions étaient compatibles
avec celles des militants du Parti de
Gauche ou d’autres. L’irréalisme de
cette proposition saute aux yeux.
Au-delà, se pose la question du débat
nécessaire qu’il faudra avoir, car
certaines des positions ne sont tout
simplement pas conciliables. L’un des
plus grands reproches que l’on peut
faire à cet appel est qu’il présente
comme une réalité homogène un espace
politique qui est profondément et
durablement divisé. Que cette réalité ne
fasse pas plaisir aux signataires est
une évidence et, encore une fois, on
peut le comprendre. Mais il faut avoir
le courage de faire face à cette
réalité. C’est Jean-Luc Mélenchon qui,
encore une fois, a mis les choses au
point[2].
En refusant de participer à la cette
« primaire » il fait éclater l’illusion
consensuelle qui se cache, aussi,
derrière ce projet.
La primaire
ou le débat ?
Cette illusion consensuelle, l’idée
que l’on pourrait par la discussion et
le débat, arriver à faire émerger un
candidat commun à ceux qui ont voté pour
le traité budgétaire européen (le TSCG)
comme à ceux qui ont voté contre, à ceux
qui préparent la liquidation des
services publiques et de l’école
républicaine et à ceux qui refusent et
d’opposent de toutes leurs forces à ces
néfastes projets pour ne citer que ces
points de clivages, cette illusion est
le principal problème que soulève cet
appel.
Ce qui se cache derrière cette idée
de « primaire », et ce en dépit de la
bonne volonté évidente de plusieurs des
auteurs du texte, c’est donc aussi la
volonté d’esquiver le débat fondamental
sur le programme qu’un (ou une)
Président(e) devrait mettre en œuvre.
Et, ce débat ne pourra aboutir à un
accord. Entre les tenants de différentes
formes de soumission à l’UE et à
l’Allemagne et ceux qui perçoivent que
la constitution d’une autre politique
pour la France, qu’il s’agisse de la
politique économique bien entendu mais
aussi de la politique étrangère et du
problème lancinant de mettre fin à la
décrépitudes de la République, implique
une rupture avec l’UE telle qu’elle
existe et avec l’Euro, il ne pourra y
avoir de compromis. Cela impliquera très
certainement une pluralité des
candidatures.
[1]
http://www.liberation.fr/france/2016/01/10/notre-systeme-politique-est-bloque_1425550
[2]
http://www.lejdd.fr/Politique/Une-primaire-des-gauches-pour-2017-EELV-et-le-PCF-partants-le-Parti-de-gauche-sceptique-768105
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