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L’échec d’une politique
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 8 juillet 2017
Alors que le G-20
de Hambourg se termine, et après les
deux discours d’Emmanuel Macron et
d’Edouard Philippe, le premier au
Congrès et le second devant l’Assemblée
Nationale, l’ampleur de l’échec à venir
de la Présidence Macron se dessine. Ce
n’est pas un point anecdotique, et il ne
peut s’agir d’un constat réjouissant,
mais c’est un fait : ce Président, élu
sur un malentendu et appuyé sur une
majorité elle-même probablement la plus
mal élue de la République, va plonger la
France dans une crise profonde. Une diplomatie
ingénieuse mais perdante
Reprenons la
chronologie. A Hambourg, Emmanuel
Macron, et avec lui la France, a été
inaudible. Bien entendu, la première
rencontre personnelle entre Donald Trump
et Vladimir Poutine a concentré
l’attention. Mais, au-delà, la France
n’a pu faire entendre sa voix. Cela
confirme un constat que l’on pouvait
déjà tirer après l’échec personnel pour
Emmanuel Macron qu’avait représenté le
sommet européen des 22 et 23 juin. Il y
avait été incapable de faire prendre en
compte des revendications, que l’on peut
trouver restreintes et qui constituaient
le socle minimal des demandes
françaises, à ses collègues de l’Union
européenne.
La stratégie
d’Emmanuel Macron se déploie en deux
temps. Dans le temps diplomatique, il
entend jouer les intermédiaires, les
« go between » pour reprendre le titre
d’un grand film de Joseph Losey, entre
Donald Trump et Angela Merkel, afin de
bâtir un rapport de force vis-à-vis de
l’Allemagne. C’est le sens de
l’invitation qu’il a adressée au
Président des Etats-Unis, invitation que
ce dernier a acceptée, à venir assister
avec lui au défilé du 14 juillet. Ce
n’est pas une mauvaise idée, n’en
déplaise à Jean-Luc Mélenchon sur ce
point mal inspiré, mais il est clair que
cela n’aura que peu d’effets. Donald
Trump, dont on dit souvent que le
comportement est erratique, poursuit en
réalité une politique claire de défense
des intérêts de son pays. Et cette
politique est aujourd’hui contradictoire
avec celle de l’Allemagne. Ce n’est pas
une place dans la tribune d’honneur qui
y changera quelque chose, quoi qu’en
dise certains journalistes. Angela
Merkel, qui affronte avec sérénité des
élections au mois de septembre prochain,
n’a nullement l’intention, ni la
volonté, de faire la moindre concession
que ce soit à Donald Trump ou,
indirectement, à Emmanuel Macron. En
effet, aujourd’hui le cadre de l’UE de
la zone Euro fonctionne à plein pour les
intérêts des entreprises allemandes.
Elle n’acceptera des changements que
contrainte et forcée.
Quand Macron
imite la « force des forts »
Sans doute inquiet
de la tournure prise par le volet
diplomatique de sa stratégie, Emmanuel
Macron a décidé de mettre en œuvre un
volet interne. C’est le sens du discours
d’Edouard Philippe, lundi 3 juillet,
devant l’Assemblée Nationale. Prenant
prétexte de la « découverte » par la
Cour des Comptes d’un trou de 9
milliards dans les estimations
budgétaires, il a décrété un tournant
austéritaire, un de plus, pour
l’économie française. On peut certes
s’étonner de la « découverte », quand on
se rappelle qu’Emmanuel Macron fut le
Ministre de l’économie jusqu’à l’été
2016. Il s’agit bien évidemment d’un
prétexte.
En annonçant des
coupes importantes dans les dépenses
publiques (80 milliards sur 5 ans), le
gel du point d’indice des fonctionnaires
qui ont pourtant perdu largement en
pouvoir d’achat depuis dix ans, et
diverses autres mesures dont bien
entendu la fameuse réforme du Code du
Travail dont les conséquences en matière
de pouvoir d’achat serons considérables,
Edouard Philippe assume ce tournant
austéritaire. Mais, il n’en dit pas la
véritable raison.
En fait, ce
tournant n’est nullement lié au problème
relevé par la Cour des Comptes. Emmanuel
Macron est persuadé, et sur ce point on
peut lui faire crédit de sa sincérité,
que c’est en appliquant cette politique,
et en remettant la France dans une
orthodoxie comptable (avec le respect
strict de la règle des 3% du déficit),
qu’il va construire sa crédibilité face
à l’Allemagne et à Mme Angela Merkel.
Cela revient à croire que c’est en
s’imposant une purge amère que l’on peut
être pris au sérieux. C’est un
raisonnement d’enfant de 10 ans qui se
dit, devant cette purge : « les adultes
la prennent bien, si j’en suis capable,
ils me prendront au sérieux ». Cette
logique fut magnifiquement décrite il y
a 100 ans par Jack London dans un de ses
nouvelles, La Force des Forts[1].
Sauf que la politique internationale
n’obéit nullement à ces règles
enfantines. Elle implique des logiques
d’alliances, avec des pays connaissant
les mêmes problèmes que nous, et surtout
elle implique que l’on nous croit
capable de « casser la vaisselle ».
L’impact d’une
purge austéritaire
Cette purge
austéritaire va plonger la France dans
un nouvel épisode de récession. Il
suffit pour le comprendre de lire
attentivement les statistiques
économiques. Nous vivons aujourd’hui sur
un « plateau », lié à l’amélioration du
pouvoir d’achat qui s’est manifestée
depuis l’hiver 2016. Mais, et les
statistiques de l’INSEE l’indiquent
clairement, la contraction relative des
revenus nominaux associée à une (très
petite) poussée d’inflation, va
provoquer une détérioration du pouvoir
d’achat à partir de la fin de l’année
2017. Si, en 2018, viennent se combiner
à cette détérioration les effets des
mesures d’austérité décidées par Edouard
Philippe et les effets des mesures
structurelles, dont celles concernant le
Code du Travail, alors la consommation
et le revenu disponible des ménages se
verront amputés. Cela conduira à une
nouvelle période de baisse de
l’activité, tout comme la politique de
François Fillon, ou le choc fiscal de
François Hollande avaient eux-aussi
conduit à des baisses d’activités,
autrement dit à des hausses, plus ou
moins importantes du chômage.
On comprend que les
français, dans leur grande majorité,
soient plus que circonspects quand aux
mesures promises et annoncées par
Emmanuel Macron et Edouard Philippe.
Mais, cette circonspection peut très
vite se tourner en mécontentement de
fond. Or, il faut toujours le rappeler,
le Président Macron a été élu sur un
malentendu, par défaut, et sa majorité a
réuni la plus faible proportion des
inscrits par rapport à son nombre
effectif de députés. Dans ces
conditions, le contexte d’une crise
politique grave, d’une crise politique
qui pourrait déboucher sur une crise de
régime, est d’ores et déjà en place.
L’accumulation de
poudre dans la Sainte-Barbe du navire
France n’implique pas, évidemment, que
tout va sauter. Mais, danser dans cette
Sainte-Barbe avec une torche à la main,
ce qui est métaphoriquement ce que font
tant Emmanuel Macron qu’Edouard
Philippe, et La République en Marche,
dont l’attitude à l’Assemblée nationale
par son refus du pluralisme mais aussi
de par l’inexpérience de nombreux de ses
députés, pose un véritable problème à la
démocratie, est une attitude
profondément malsaine et irresponsable.
Le problème posé
aux pays de la Zone Euro et de l’Union
européenne par la politique allemande
est une réalité. Plutôt que d’imaginer
que ce soit par l’imitation, voire par
l’apaisement – oh mânes de Daladier et
Chamberlain à Munich – que l’on pourra
faire modifier le cadre politique qui
étrangle tant la France que l’Italie et
de nombreux pays d’Europe, il faudrait
comprendre que c’est par l’affrontement
et le démantèlement volontaire d’une
bonne partie de ce cadre que l’on pourra
faire changer les choses. C’est là que
se situe la cohérence des politiques. Si
l’on veut éviter que cela se fasse dans
le chaos, il faut mettre en place de
manière délibérée et réfléchie ce
démantèlement avant que la crise
n’éclate. Et l’on sent bien qu’elle
couve, que ce soit en France ou en
Italie.
Mais, il faut aussi
que les oppositions à la politique
d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe
comprennent que, au-delà de divergences
et d’oppositions qui peuvent être
légitimes, elles ont aussi une
responsabilité dans la situation
actuelle. Car, la force du pouvoir
d’Emmanuel Macron tient bien plus à la
faiblesse et à l’impuissance politique
de ses opposants qu’à une quelconque
adhésion de la part des Français.
[1] London J. : Les
Temps Maudits, publié en français
par 10-18 / UGE, Paris ; la nouvelle
La Force des Forts ouvre ce recueil.
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