RussEurope
Trois ans
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mercredi 6 mai 2015
Le Président, François Hollande, fête
ce 6 mai le troisième anniversaire de
son élection à la magistrature suprême.
Cela invite à revenir sur l’homme et sur
la politique qu’il a conduite. Beaucoup
de choses ont déjà été dites à ce sujet.
L’échec le plus patent, mais aussi le
plus prévisible, de sa présidence fut le
chômage. François Hollande s’est ici
enfermé dans une position intenable :
celle qui consistait à croire, contre
toutes les évidences et de nombreux
avis, que l’accroissement du chômage
avait une dimension cyclique. Il en
déduisait le fait qu’il suffisait
d’attendre le retournement du cycle pour
que la situation s’améliore. Ce faisant,
il se condamnait à la méthode Coué. Les
déclarations, tant les siennes que
celles des ministres, sur cette question
rappellent les dires du Premier-ministre
russe en 1995, devant l’aggravation de
la crise. Victor Tchernomyrdine ne
cessait d’affirmer sur les plateaux de
télévision « Oui, la situation est
difficile, mais nous voyons la lumière
au bout du tunnel… ». Ce à quoi les
russes, qui n’étaient pas dupes,
ajoutaient : « oui, mais c’est celle de
la locomotive qui vient en face… ».
François
Hollande et la question du chômage.
Sur le fond, François Hollande n’a
pas voulu voir la dimension structurelle
du chômage en France, qui découle
largement de notre adhésion à la zone
Euro. L’effet délétère de cette dernière
se décompose en un effet direct et un
effet indirect. L’effet direct est
clair. L’Euro fort, que l’on a connu
jusqu’à l’automne dernier pénalisait
durablement la compétitivité des
entreprises françaises. La chute des
marges des entreprises les poussait à
comprimer la masse salariale, soit en
recherchant toutes les méthodes pour
baisser les salaires, point sur lequel
elles ont trouvé un appui dans la
politique gouvernementale, soit en
licenciant et en faisant faire le même
travail à un nombre réduits de salariés.
Le meilleur indicateur de cette
situation perverse est le fait que l’on
compte aujourd’hui à peu près 600 000
personnes en épuisement professionnel
(« Burn out »), alors que nous avons
près de 4 millions de chômeurs, dans
compter les personnes en quasi-chômage.
La baisse de l’Euro par rapport au
dollar a donné un petit ballon
d’oxygène, mais uniquement pour les
entreprises faisant leur chiffre
d’affaires dans la zone dollar. Le
problème de compétitivité se maintient
dans la zone Euro, où la France ne peut
déprécier sa monnaie par rapport à
l’Allemagne et aux pays de l’Europe du
Nord. C’est ce qui explique que la
baisse de l’Euro, qui notons le n’a pas
entraîné la forte inflation promise en
cas de sortie de l’Euro et de retour au
Franc par de nombreux économistes, ait
eu si peu d’effet sur l’économie
française.
A cet effet direct s’ajoute l’effet
indirect de l’Euro. Ce dernier implique
une certaine forme d’organisation des
structures financières et monétaires. En
particulier, il interdit à la Banque
Centrale (la Banque de France) de
refinancer spécifiquement les crédits
accordés aux entreprises pour leur
développement, ce qui condamne à
l’inefficacité la Banque de
Développement Industriel, idée qui
n’était pas mauvaise à l’origine, mais
qui n’a pu s’appuyer sur un système de
financement adéquat. Les banques
traditionnelles, largement refinancées
par la Banque Centrale Européenne,
préfèrent éviter tout prêt à risque, et
ne financent que très faiblement
l’activité économique. Etranglée en aval
par l’effet direct de l’Euro, la
production française l’est aussi en
amont par l’impossibilité de trouver les
ressources nécessaires à son
développement. L’industrie française
s’étiole, à la fois par manque de
demande, par manque de compétitivité, et
par manque de financement. Elle
s’effondre sous les coups de la
concurrence étrangère, de pressions
non-économiques auxquelles se livrent
les Etats-Unis. Il ne faut donc pas
s’étonner de la montée inexorable du
chômage.
Aveuglement
et idéologie.
Cela ne fait que traduire un
aveuglement profond aux principes de
l’économie, et l’on peut alors
s’interroger pourquoi François Hollande,
qui n’a pas le profil d’un Mitterrand,
d’un Sarkozy ou d’un Chirac, qui est
bien mieux armé intellectuellement pour
comprendre la nature de ces problèmes, a
commis de telles erreurs. Non seulement
il n’a pas identifié la cause profonde
de la crise française, mais les
« réformes » qu’il propose ne peuvent
qu’aggraver la situation. On sait bien
quelles en seront les conséquences,
qu’il s’agisse de la loi « Macron » ou
des différentes mesures qui
l’accompagnent. En détricotant le
système social, cela aboutira à
comprimer les revenus et donc la
demande. Ajoutons à cela une politique
fiscale irréfléchie et largement
injuste, et l’on comprend la stagnation
de la demande, mais aussi la colère des
classes moyennes et populaires, qui se
traduit dans les sondages réellement
calamiteux que connaît François
Hollande.
L’explication de cet aveuglement est
pourtant simple, mais la rondeur du
personnage a pu nous la cacher. Il n’y a
pas d’aveuglement, mais un choix
idéologique fait en faveur de l’Union
européenne, et de ses règles les plus
draconiennes. Non que François Hollande
n’ait caressé le rêve de réorienter
l’UE. Mais, devant l’intransigeance
allemande, il a préféré caresser
d’autres rêves, plus charnels. Mis
devant l’alternative de devoir provoquer
une crise majeure de l’UE pour la
changer ou de se plier à la volonté
allemande, François Hollande a choisi de
capituler. Et il a fait ce choix fort
tôt dans son quinquennat, car ceci s’est
joué à l’été 2012.
On a beaucoup glosé sur sa propension
à choisir les solutions de facilité, à
éviter le conflit. Cette propension
assurément existe ; il n’est que de voir
comment il a géré sa vie personnelle.
Mais, ce serait ici ignorer un fait
essentiel, qui se révèle à chaque fois
où, devant choisir sur le fond, François
Hollande fait preuve d’une incontestable
dureté. Sous ses dehors bonhomme,
affichant peu de convictions déclarées,
toujours prêt à la « synthèse »,
François Hollande se dévoile comme un
idéologue. Reconnaissons qu’il a su
donner le change. L’Europe, ou plus
précisément l’Union européenne,
constitue le point dur de son idéologie,
ce qu’il ne remettra jamais en cause, et
auquel il sacrifiera tout, sa
réputation, sa carrière, son avenir
politique, son pays.
Je ne ferai pas l’injure de penser
que François Hollande n’aime pas la
France. Mais, il ne l’aime que parce
qu’elle est dans l’Union européenne,
parce qu’elle est, selon lui, appelée à
se fondre dans cet ensemble. Et, s’il
faut pour cela imposer aux français une
rigueur budgétaire dont on ne voit pas
la fin, un chômage sans cesse croissant,
un détricotage du modèle non seulement
social mais aussi politique français,
des règles privant les citoyens de leur
souveraineté, il le fait sans état
d’âme. Au nom de cette vision
particulière, il devient capable de
toutes les manipulations, de tous les
mensonges, de toutes les bassesses. Ses
proches et certains de ses ministres,
n’est-ce pas Arnaud Montebourg, le
savent bien.
François
Hollande et les « principes ».
Ce que l’on a aussi découvert dans
ces trois dernières années, c’est le
rapport particulier de François Hollande
avec la notion de « principe ». Il aime
bien en faire état, claironner son
attachement indéfectible. En cela il est
bien un produit de la déliquescence du
parti « socialiste ». Mais, ce que l’on
a pu constater dans l’exercice du
pouvoir c’est surtout une
instrumentalisation très politicienne de
cette notion de « principe ». L’affaire
des deux BPC de la classe « Mistral » en
est un excellent exemple. A la suite de
la crise ukrainienne, François Hollande
prend la décision de suspendre leur
livraison à la Russie. Mais, le
Président se déplace en personne pour la
signature de contrats d’avions de combat
« Rafale », hier avec la Qatar et sans
doute demain avec les Emirat Arabes
Unis. Ou donc se trouve la ligne à ne
pas franchir ? Ce n’est certes pas sur
la question de la démocratie.
A tout prendre, et quelles que soient
les réserves et les critiques que l’on
peut faire sur ce point au gouvernement
russe, il est clair que la Russie est
bien plus démocratique que le Qatar, les
EAU ou l’Arabie Saoudite, qui mène une
guerre d’agression au Yémen sans que
cela ne fasse sourciller le moins du
monde la diplomatie française. Sur la
question des « principes », un thème
dont François Hollande aime pourtant
bien s’emparer pour endosser les habits
du défenseur de la liberté et des Droits
de l’Homme, on est forcé de constater
que sa position est comme les
chaussette : elle se retourne sans
peine. La question de la présence, ou de
l’absence, de François Hollande à la
parade du 9 mai à Moscou, quelque chose
qui n’a rien à voir avec les désaccords
que l’on peut avoir avec Vladimir
Poutine, mais qui touche bien pour le
coup à la symbolique de ces mêmes
principes, risque de nous le confirmer.
A moins que ce cynisme ne cache
quelque chose de beaucoup plus grave. On
est d’autant plus sévère avec les russes
qu’on les intègre, consciemment ou non,
parmi les peuples civilisés. Pour les
émirati, les qatari, et les saoudiens,
il n’en va pas de même. Ces peuples sont
considérés comme des barbares et à eux,
on ne leur demande rien. L’attitude de
François Hollande, et plus précisément
sa différence d’attitude quant à la
Russie et quant à ces pays, pourrait
donc bien traduire, au mieux, un
européocentrisme latent, au pire une
forme de racisme, dissimulé sous le
masque souriant de la condescendance.
L’image du Président, telle qu’elle
se dessine après trois ans d’exercice du
mandat présidentiel s’avère en
définitive bien plus sombre que l’image
que le candidat avait voulu nous vendre.
Monsieur « petites blagues » semble être
passé du côté obscur de la farce.
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