Opinion
Pour l’instant Fabius a raté
sa troisième Guerre mondiale
Jacques-Marie Bourget
Vendredi 24 octobre 2014
Heureusement que, dans le monde
occidental, personne n’écoute Laurent
Fabius, et guère plus son employeur,
François Hollande. Sinon, en plus d’être
en guerre au Mali, en Centrafrique et en
Irak et en Syrie, nous aurions déjà
bombardé Moscou afin de punir Poutine
pour son soutien à Assad et aux
indépendantistes ukrainiens. Et bombardé
aussi, en amuse Bush, les villes de
Téhéran et de Damas. Avouons que si le
ministre des Affaires étrangères de la
France était plus entendu, la planète
aurait une autre gueule et nous serions
au cœur d’une troisième guerre mondiale
ce qui donnerait du travail à Dassault
et aux correspondants de guerre.
La conquête
avortée.
Est-ce un problème de timbre de voix,
pas assez puissant ? Il est clair, et
depuis longtemps, que Fabius a du mal à
imposer son discours. Les lecteurs les
plus âgés se souviendront du plus jeune
Premier ministre de l’histoire, un
"Laurent le Magnifique" pour lequel
Matignon n’était qu’un marche pied vers
l’Élysée. Pourtant, bien décidé à ne
prendre aucun risque et à ne jamais
insulter l’avenir, Fabius s’est forgé
une doctrine : ni coupable ni
responsable. Le parapluie devient son
emblème et son rang de locataire de
Matignon son paratonnerre. En 1984, lors
d’un débat télévisé qui l’oppose à
Chirac, Laurent lâche au bulldozer
corrézien : « Mais n’oubliez pas que
vous parlez au Premier ministre de la
France ». Ce tout accompagné d’un
va-et-vient de la main, celui que l’on
fait pour éliminer une miette de pain.
Fabius était programmé pour être roi,
rien de devait accidenter la mécanique.
On le voit se rendre chez le boulanger
pour acheter son pain, laissant la
Ferrari au garage il roule en 2 CV : il
est un français comme les autres...
Hélas, à force de fermer les yeux pour
ne voir que le rose de la vie, Laurent
n’a pas vu venir une catastrophe
majeure, celle du « sang contaminé » où
il était en situation de stopper la
libre circulation d’une transfusion
sanguine laissant la porte ouverte au
virus HIV. Et ne l’a pas fait. Près de
quinze ans plus tard, en 1999, pour
l’insoutenable légèreté de son être,
Fabius est jugé par la Cour de justice
de la République : il sera acquitté.
Acquitté après avoir supporté une
campagne toujours odieuse et marquée par
l’antisémitisme où il est caricaturé en
Dracula.
Autopunition ? Volonté de remettre
son compteur à zéro, Fabius devient
anachorète. Il roule sur une toute
petite moto, se nourrit de carottes et
part aux États-Unis pour enseigner dans
une fac où il occupe, selon ses dires,
une chambre d’étudiant. Perte de poids,
perte d’égo, Fabius devient plus égal et
fréquentable, même pour l’ouvrier du
Grand-Quevilly, son territoire électoral
normand. Quand on a dans ses coffres
l’héritage qui est le sien – les
millions de familles acquis dans le
commerce des antiquités – faire
pénitence n’est qu’un jeu : on sait bien
que la boîte de chocolats reste à porter
de la main. Cette remise en cause, ce
passage par le laminoir de l’histoire
nous rend un homme neuf, devenu
quasiment gauchiste. Après avoir appelé
à voter non au traité européen, marque
de son intelligence politique, il
apparait comme prêt à en découdre avec
le grand capital. Le Laurent nouveau est
arrivé. Ce qui lui permet, en 2006, de
se présenter à la primaire du PS pour
être candidat à la présidentielle.
Hélas, la femme étant un homme comme les
autres, c’est Ségolène qui est désignée.
Dans l’ombre
de Hollande
Quelques automnes se succèdent
faisant tomber leurs feuilles. Pour la
seconde fois de sa carrière notre héros
préside l’Assemblée nationale. Ce qui
fait dire à des êtres mal élevés « C’est
la première fois que l’on voit un paon
grimper sur un perchoir ». Jospin qui
sombre, le tunnel chiraquien est là et
il faut attendre 2011, pour que, tel un
sauteur à la perche, Laurent se retrouve
face à un butoir qu’il a envie de
survoler : les primaires du PS pour
l’Élysée 2012... Sagement, Fabius reste
au vestiaire, ce qui lui est lourd au
cœur. Lui, le meilleur d’entre tous sent
comme une injustice cette difficulté à
concourir. Hollande désigné, il devient
supporter de son meilleur ennemi, le
« Pépère », le petit chose, le Rastignac
de Tulle, le futur livreur de croissants
qui n’a jamais fait d’équitation, ni
dormi sous les bronzes de Carpeaux.
Et Laurent, tête et jambes de
l’équipe électorale, mouille son
maillot. Ainsi, en janvier 2012, il fait
un périple qui va le conduire à
Jérusalem en passant par Doha, au Qatar.
Discret, le voyage est néanmoins connu.
Puisqu’il ne peut s’agir de récolte de
fonds électoraux, cette quête étant
interdite, le périple est donc purement
diplomatique. Faire savoir que, même si
l’horizon de la planète du futur
président est borné par les reliefs de
Corrèze, il en connait un rayon et se
montrera plein de bonne volonté : ne
rien faire d’autre que la politique de
Sarkozy, celle commandée par Washington.
Voilà une perspective qui rassure ceux
qui auraient pu craindre un clignement
d’œil autonome derrière les lunettes de
Hollande.
Pour écrire vrai, ces deux voyages
étonnent puisque, depuis soixante ans la
politique de la SFIO, matrice du PS, a
toujours été plus que bienveillante avec
Israël et Guy Mollet n’a-t-il pas fait
don de la bombe atomique tricolore aux
équipe de Golda Meir ? Sauf à embrasser
Shimon Pérès, puisque Fabius considère
ce politicien comme un autre père, le
voyage reste mystérieux. Sarkozy ayant,
par une indiscrétion, égratigné le
premier israélien, s’agissait-il de le
convaincre de « voter » Hollande...
Fabius,
l’ami du Qatar
Le passage à Doha, sorte de grand
distributeur automatique où l’on se rend
en général pour trouver de l’argent, est
plus bizarre encore. Fâché avec l’Arabie
Saoudite, l’Iran et tous les pays du
Golfe, le poids diplomatique planétaire
du Qatar est faible, hors de l’aimable
sphère des islamistes radicaux et Frères
musulmans. Mais le Qatar, Nicolas
Sarkozy vient de le démontrer, est un
pays indispensable, auquel il faut
s’associer pour créer le chaos. C’est ce
qu’ils ont fait dans tout le nord, ou
presque, de l’Afrique et dans l’ouest du
continent, comme au Mali. Pour le compte
de ses amis de Paris, Doha ne rechigne
pas à payer les rançons exigées pour la
libération de prisonniers ou d’otages.
Pour la diplomatie future de Hollande
devenu président, le Qatar est une carte
verte et vitale. A cette tâche de VRP de
« Pépère », Fabius s’accroche d’autant
qu’à un autre bord du PS, qui en compte
beaucoup, le paisible Manuel Valls se
donne aussi beaucoup de mal. Il fait
même, par rapport à l’amour du Qatar,
une vraie surenchère dans l’affection.
Il ménage un rendez vous entre
François-candidat et HBJ, le tout
puissant Premier ministre de Doha,
l’homme le plus riche du monde. Bien
plus discret et bien mieux élevé que la
cohorte de ces politiciens sans vergogne
qui se rendent à Doha sans honte, Fabius
gardera un lien très fort avec la
famille qui règne à Doha.
Dans cette toile tissée entre
lui-même et le Qatar, Laurent Fabius
peut compter sur des amis de son réseau,
tout aussi discret qu’efficace. Toujours
au point stratégique on trouve l’avocat
Alain Maillot. En 2001 c’est à lui que
Laurent Fabius, alors ministre de
l’Économie, a confié la défense des
intérêts de la France dans l’affaire
Executive Life. Où le Crédit Lyonnais,
banque nationalisée, s’était embourbée
dans le rachat frauduleux d’une
compagnie d’assurance étatsunienne.
Maître Maillot, membre de l’équipe de
Jean-Luc Lagardère au moment de la
construction financière et juridique de
EADS, puis conseiller de son fils Arnaud
pour le projet de fusion EADS-BAE, est
persona grata dans ce Qatar qui, par
ailleurs, a placé de l’argent dans les
entreprises de Lagardère. Coup de
chance, Jean-Michel Darrois, l’ami
historique de Laurent Fabius dont il est
aussi l’avocat, est surtout un associé
du cabinet DVMB, celui de Maillot.
Chaque année, lors de l’anniversaire de
Fabius fêtée chez son ami Darrois, Alain
Maillot chante de concert le « happy
birthday to you ». Léger accroc
médiatique, maitre Maillot est apparu
comme un « apporteur d’affaires » de
Reyl, la banque genevoise où le ministre
Cahuzac avait caché son argent noir. Cet
amour partagé des émirs Al-Thani
provoque parfois de petites colères ;
vite apaisées. Comme celle survenue le 1
aout dernier au prétexte que Fabius a
trouvé plus urgent d’inaugurer l’hôtel
Péninsula, nouveau palace parisien
ouvert par le Qatar, plutôt que de
recevoir une délégation de chrétiens
d’Irak. Sans doute le choix de la
laïcité.
C’est également, et ce n’est pas une
mince besogne, le cabinet Darrois qui
défend Thomas Fabius, le fils si joueur
du ministre des Affaires étrangères. Un
travail au large éventail qui consiste
autant à expliquer comment ce cher
Thomas peut griller un contrôle de
police, en plein Paris, ou acheter un
appartement de plus de 7, 4 millions. Un
bien bel appartement alors que ses
revenus officiels sont deux jobs réputés
peu lucratifs, celui d’animateur au Club
Med et prof de tennis... Un CV qui n’a
pas encore totalement satisfait la
justice qui, selon Le Monde, a
ouvert une enquête préliminaire pour
« faux, escroquerie et blanchiment ».
Sous le président Grévy les gazettes se
régalaient en titrant « Ah ! Quel
malheur d’avoir un gendre »... Cette
fois c’est un fils. Les amis Fabius et
Darrois se sont même associés dans le
rachat de Piasa, une maison de vente aux
enchères en ligne. Ce qui renforce le
lien.
Si par malheur Fabius doit d’urgence
joindre Nicolas Sarkozy, pas de panique,
son ami Darrois est dans les petits
papiers de « l’ex » qui a même tenté de
le nommer au Conseil Constitutionnel. Et
c’est ici, comme le monde est bien fait,
que l’on retombe sur nos amis du Qatar.
Dans le désarroi de son éviction,
Sarkozy aidé de l’ineffable Alain Minc,
a alors formé le projet de lancer un
« fonds d’investissement » qui, pour
partie, serait abondé » par Doha. Or le
grand avocat parisien Darrois, a révélé
Laurent Mauduit dans Mediapart, figure
parmi les créateurs de ce fonds, aux
cotés de Sarkozy, Minc et Courbit. Le
projet pour l’instant n’a pas vu le
jour, mais la présence du meilleur ami
de Fabius parmi ses instigateurs laisse
songeur.
L’argent roi
En affaires, Laurent Fabius est un
rapide. Ainsi, il y a une quinzaine
d’années, alors qu’il achetait une
maison de campagne dans le Gers, les
propriétaires étasuniens ont été bluffés
par les arguments financiers de l’ancien
premier ministre. Pour rester à la
campagne, signalons qu’après une
nouvelle transhumance, cette fois du
Gers vers l’Ariège, le député Fabius a
utilisé sa « réserve parlementaire »
pour doter sa commune de vacances, Le
Carla-Bayle, d’une subvention de 50 000
euros. Une nouvelle qui a enchanté les
électeurs dont il défend les intérêts,
ceux de Grand-Quevilly, située à près de
mille kilomètres plus au nord... A
croire que parfois, tel son fidèle
Thévenoux qu’il a réchauffé dans son
sein, Laurent Fabius manifeste une
certaine « phobie de l’administration ».
Sur le site du Grand Soir on pourrait
s’attendre à une très fine analyse de la
politique étrangère de Fabius. Hélas, en
dépit de la mise en œuvre des meilleurs
télescopes nous n’avons rien décelé, les
étagères sont vides. Les dossiers de
commandes sont à Washington, le Quai
n’étant plus qu’une annexe du
Département d’État. Bilan ? Outre le
plaisir que prend Laurent à rêver qu’il
bombarde et devient émir du Qatar : rien
à signaler. Surtout, ne réveillez pas un
Fabius qui dort.
© LE GRAND SOIR -
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Publié le 25 octobre 2014
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