Opinion
Netanyahou, la traque
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Lundi 26 février 2018
Le meilleur Premier
ministre que le pays ait jamais eu ;
c’est ce qu’en disent ses nombreux
supporteurs. Celui qui a tenu le plus
longtemps, depuis ben Gourion, le
fondateur de l’Etat juif ; il a été aux
commandes plus longtemps que Vladimir
Poutine. Mais apparemment, il est sur
les rails pour suivre son prédécesseur
le Premier ministre Ehud Olmert en
prison. Olmert a été relâché il y a six
mois à peine après un séjour en taule
pour corruption et obstruction à la
justice ; c’est son tour, maintenant, il
va tâter de la portion congrue des
prisonniers, à la place du champagne
rose qu’il affectionne tant. A moins que
… ? Cette histoire en
boucle résonne de façon tout à fait
familière aux oreilles américaines. Le
chef de la police Ronny Alsheich a
combattu Bibi aussi durement que Robert
Mueller a combattu Trump, tandis que les
médias israéliens se tenaient du côté de
la police contre le premier ministre,
tout comme le New York Times du
côté du FBI. Chaque accusation a fuité
jusqu’à sortir dans la presse bien avant
la première comparution. Le public a été
bombardé d’accusations, jour et nuit.
Ça ne s’arrête pas au Premier ministre,
ça touche aussi sa femme, attaquée sans
répit, une femme aux manières revêches
et hargneuses.
Le modus operandi
de la police israélienne ressemble fort
aux méthodes du FBI. Trouver quelqu'un
de plus faible, le mettre sous les
verrous pour quelque bonne ou mauvaise
raison, et le forcer à dénoncer son
patron. Ce qui a été fait à
Manafort et à Gates, c’est exactement ce
qu’ont subi Shlomo Kilber et Ari Harow.
Au bout du compte,
la police est parvenue à obtenir du
premier cercle autour du ministre qu’il
trahisse son bienfaiteur. Shlomo
Filbert, directeur général des
communications ministérielles a dû
passer « deux nuits dans une cellule
froide et puante en garde à vue », dit
le journal Haaretz, et il a
accepté d’incriminer Netanyahou.
Il m’est
extrêmement difficile de plaider pour
celui-ci. C’est celui qui a tué le
processus de paix, qui a mis les
Palestiniens en esclavage, qui torture
Gaza, bombarde la Syrie et le Liban, a
fait tout ce qu’il pouvait pour allumer
la mèche de la guerre avec l’Iran.
Cependant, il faut savoir qu’il y a une
tradition juive de « l’apologia »,
autrement dit de la recherche de points
positifs chez les pires.
On avait demandé à
un rabbin de faire l’éloge de Theodor
Herzl, le fondateur du sionisme, un
personnage fortement détesté par les
juifs orthodoxes de son temps. Il
répondit : Herzl n’est jamais entré dans
les WC en portant des
phylactères ; il n’a jamais étudié le
Talmud le jour de Noël; et il ne se
rasait pas le jour du sabbat. Ce sont
autant d’agissements strictement
interdits par la loi juive, et Herzl n’a
commis aucune transgression de ces
prohibitions (d’autant moins qu’il ne se
rasait pas, n’étudiait point le le
Talmud et n’avait jamais, encore moins,
porté des phylactères).
Un autre rabbin
avait défendu Satan au sujet de sa
persévérance pour tourmenter Job. Il
disait : Dieu aimait Job, le goy
épatant, et le préférait même à Abraham,
le premier juif. L’intervention de Satan
fit revenir la tendresse de Dieu sur
Abraham ; ce qui était une bonne action,
dans la mesure où cela ramenait
l’attention de Dieu vers le peuple élu.
Après avoir entendu cela, Satan se
précipita sur le sage rabbin, et baisa
l’ourlet de sa robe.
Dans l’esprit de
ces rabbins avisés, je vais tenter de
dresser une petite liste de points
positifs en faveur du susditPremier
ministre.
* Il n’a point
touché de pots de vin dans la moindre
acception de cette expression. Ce n’est
pas un corrompu, porté sur l’argent
facile ; ce n’est pas un prêcheur
fastidieux en la matière non plus
certes, mais les hommes politiques le
sont rarement.
* On l’accuse
d’avoir pris du bon temps et d’avoir
accepté les cadeaux du milliardaire
israélien et ex-espion Arnon Milchan.
Mais c’était exactement la chose à faire
dans le cas d’un homme qui a produit des
films pro-israéliens et fait
beaucoup pour l’Etat d’Israël. Tout
autre Premier ministre israélien aurait
agi de même, et apprécié ses cigares
généreusement offerts et son bon whisky.
Netanyahou a tenté de promouvoir une
réglementation qui aurait pu bénéficier
à Milchan, mais ce décret aurait été
profitable pour tout riche investisseur
juif en Israël, pas seulement pour
Milchan.
* Netanyahou est
accusé d’avoir « aidé » les patrons des
medias et de leur avoir demandé une
couverture de presse favorable. Ceci ne
me scandalise pas outre mesure : tout le
monde en fait autant. Netanyahou avait
le même problème que Trump : les médias
lui sont universellement hostiles. Ils
ne sont pas objectifs ; les médias ont
tout fait pour avoir la peau de l’un et
de l’autre, en répandant des mensonges
ou en exagérant des transgressions
mineures de leur part. Pour exercer le
commandement de façon efficace,
Netanyahou avait besoin d’une couverture
positive, mais ils avaient des préjugés
contre lui, et une hostilité qui
l’a forcé à user de ce subterfuge.
* Il y a des
quantités de ragots sans fondement
relevant de la pingrerie, sur M et Mme
Netanyahou: ils auraient grevé le budget
de l’Etat avec leurs frais de bouche, et
en surpayant leur électricien ; ils ont
aussi rapporté les bouteilles vides
consignées et se les sont fait
rembourser, mais sans reverser la somme
correspondante à l’Etat. Le procureur
général en a raisonnablement conclu
qu’il n’y avait pas de preuve qu’ils
aient eu connaissance de ces minuties
ménagères.
Des années plus
tôt, une personne proche du Premier
ministre avait sondé un candidat
pressenti pour le poste de procureur
général sur le cas de Netanyahou. Cela
avait été présenté comme une tentative
pour vendre ce poste élevé en échange de
l’abandon des poursuites ; mais c’était
une précaution raisonnable. Dommage que
Donald Trump n’ait pas « sondé »
Sessions sur la question du Russiagate
avant de le nommer.
Conclusion, malgré
beaucoup de bruit, il n’y a pas
grand-chose de solide contre le Premier
ministre, mais il a déjà été jugé par
les médias, et déclaré coupable. Et
pourtant, Bibi n’est pas encore inculpé,
même si le chef de la police a
recommandé de le traiter en prévenu. La
décision relève du procureur général. Il
va probablement se donner un délai
tant que Ronny Alsheich, le policier en
chef, n’aura pas trouvé un moyen pour
faire pression sur le dit procureur.
Si Bibi venait à
être inculpé, il se battrait à chaque
étape judiciaire, et il peut gagner. Ses
partisans ne vont pas accepter
facilement sa défaite, hausser les
épaules et retourner à leurs affaires
courantes. Ils vont semer la zizanie, et
Bibi n’est pas du genre à rendre les
armes.
Et pourtant, s’il
devait quitter son poste, qui pourrait
bien devenir le chef de l’Etat juif? Il
n’y a pas de brave type dont on puisse
souhaiter qu’il hérite du trône. Comme
le Liban voisin, Israël est un pays
divisé en communautés définies par leur
origine et leur attitude envers la
religion. Economiquement, le plus fort
est le groupe de la
communauté ashkénaze laïque, en
provenance d’Europe de l’Est, mais il
souffre de la même maladie mentale dont
héritent les WASP. Ce sont des libéraux
qui ne sont pas certains de leur talent
et de leur légitimité pour commander.
Ils ont accepté l’agenda en faveur des
minorités tout comme les libéraux
américains blancs ; ils sont pour les
LGBT, pour les réfugiés noirs africains,
et aimeraient pouvoir compter sur les
juifs orientaux pour monter au front à
leur place.
La communauté juive
orientale déteste les juifs ashkénazes,
mais hait les Arabes encore plus. Cette
haine des Arabes est le ciment de l’Etat
juif. Les Orientaux veulent avoir la
main haute, mais ne sont pas sûrs de
leurs capacités et de fait préfèrent que
ce soient les Ashkénazes qui s’occupent
des affaires de l’Etat.
Les communautés
religieuses juives partagent aussi la
haine des Arabes, mais sont divisées
entre ultra-orthodoxes et nationalistes.
Les ultra-orthodoxes défendent
par-dessus tout leurs propres intérêts,
tandis que les religieux nationalistes
sont millénaristes et chiliastes.
Bref, il y a six
personnalités qui ont une chance
d’hériter du bureau du Premier ministre;
d’autres peuvent surgir, et quelques-uns
peuvent jeter l’éponge. Voyons
cela brièvement.
En allant de la
droite vers le centre droit, on a :
1
le ministre de la Défense à la parole
farouche, le laïc Avigdor Lieberman, un
juif russe, de Moldavie, qui a appelé à
bombarder le barrage d’Assouan et a
menacé le Liban d’une guerre
d’extinction ;
2
le ministre de l’Education Naphtali
Bennett, nationaliste religieux propre
sur lui et bien rasé, d’origine
américaine, qui a dit que les autorités
devraient enfermer Ahed Tamimi à double
tour et jeter la clé.
Ce sont là les
candidats d’extrême droite.
Pour le centre
droit, nous avons:
3
Yair Lapid, qui présente bien à la télé,
et qui part favori dans la course, tel
le Macron israélien ; selon le
Jerusalem Post « l’homme le plus
dangereux dans la politique israélienne,
de belle prestance, charismatique, se
prenant pour le messie, un aimable
ignorant sans la moindre profondeur
intellectuelle, fervent défenseur de la
morale mais surtout beau parleur ». Il
est célèbre pour avoir évoqué Copernic
l’astronome polonais comme un « Grec de
l’Antiquité » et avoir qualifié le
sculpteur suisse Giacometti de « grand
artiste de la Renaissance ».
4
Le ministre des Finances Moshe Kahlon,
un juif de Libye, le seul juif oriental
de premier rang dans le Likoud, si
bien qu’il est susceptible d’attirer les
Ashkénazes qui croient qu’il est
susceptible de rallier les Sépharades.
C’est un centriste plutôt libéral.
Gardons à l’esprit
que les juifs orientaux ont déçu, dans
la sphère politique ; ils sont vantards
et faibles, avec les meilleures
intentions du monde, et n’attirent que
rarement les électeurs orientaux, qui
préfèrent voter pour les Ashkénazes de
droite. Pour eux, la haine des Arabes
est plus importante que l’amour des
leurs.
Tous les quatre
sont des juifs nationalistes tendance
dure; tous détestent les Palestiniens et
sont très peu susceptibles de trouver un
arrangement (encore moins un accord de
paix) avec eux.
A gauche et au
Centre gauche on trouve :
5
la Hillary Clinton du cru, qui s’appelle
Zippy Livni, et qui est une ancienne
espionne. Les médias libéraux et juifs
d’Amérique la mentionnent dans des
termes éblouis. Une fois, elle avait
gagné une élection, et on lui demanda de
constituer un gouvernement, mais elle
n’avait pas pu produire une coalition de
gouvernement avec une majorité
parlementaire, de sorte que Netanyahou
se retrouva Premier ministre, après quoi
elle a rejoint l’opposition. Il est peu
probable qu’elle bénéficie d’une seconde
chance.
6
A la tête du parti travailliste, Avi
Gabay estun personnage falot et un
faucon tout à la fois. Lorsqu’il a été
élu pour diriger son parti, il avait dit
qu’il n’inviterait pas les Arabes à
intégrer la coalition gouvernementale ;
il est célèbre pour avoir dit aux Etats
arabes ; « si vous nous lancez un
missile, nous on vous en lancera
vingt » ; il avait aussi annoncé qu’il
ne démantèlerait aucune colonie juive,
même en échange de la paix. C’est un
juif marocain, et il courtise les
électeurs du Likoud plutôt que ses
propres fidèles. Il est probable qu’il
se fracassera de façon spectaculaire, en
se révélant incapable de rallier les
électeurs ashkénazes (en tant que
Marocain) ou sépharades (parce que trop
tendre avec les Arabes). Quoi qu’il en
soit, ces deux derniers personnages ont
très peu de chances d’avoir à constituer
le prochain gouvernement.
Les véritables
rivaux sont les religieux d’extrême
droite et les candidats laïques
d’extrême droite ; dans les deux cas,
Israël ira plus loin dans le sens de
l’extrême droite et du chauvinisme
extrême.
Comparé à ces
candidats, Bibi se montre prudent et
circonspect. Tandis que nombre de ses
admirateurs en Israël et aux US le
poussaient à la guerre, il s’est tenu
coi ; bien entendu, cela ne concerne pas
Gaza, parce que la pauvre Gaza est
utilisée comme terrain d’expérimentation
pour les fabricants d’armes israéliens.
Gaza ne peut pas riposter, et on peut
descendre les enfants de Gaza sans
risque. Gaza est là pour justifier les
antisémites, le jour du Jugement
dernier. Malgré toutes ses menaces
envers l’Iran et le Hezbollah, Bibi a
évité de déclencher la guerre.
Est-ce que ses
éventuels successeurs seraient aussi
prudents que lui? Il est plus que
probable qu’ils choisiraient la guerre,
parce que la guerre est le meilleur
moyen pour gagner de la popularité, de
la reconnaissance et de la gloire. Bibi
est d’ores et déjà populaire, mais tout
successeur éprouvera le besoin de
montrer ses muscles.
N’ayez pas de
regret à l’idée que la gauche
israélienne n’ait guère de chance de
l’emporter. Israël n’entamerait pas une
guerre tant que les travaillistes (ou
Union sioniste) restent à l’écart de la
coalition au gouvernement. Mais si
gauche et droite formaient un
gouvernement d’union nationale,
l’éventualité de la guerre deviendrait
une certitude. Historiquement, la droite
israélienne, malgré ses constants
penchants pour la guerre, n’a jamais
livré de bataille sans l’approbation des
Ashkénazes travaillistes ses frères. De
l’autre côté, les travaillistes ne
refusent nullement de déclencher une
guerre. Au passage, toute action décidée
contre les Palestiniens sera entreprise
avec le soutien de la «gauche » ou
encore à l’initiative de la « gauche ».
Voilà, mon
“apologie” du prudent Netanyahou ne veut
pas dire que j’aie le moindre espoir en
son commandement. Je n’en ai aucun, pas
plus que les organes directeurs de
l’Autorité palestinienne. C’est triste
de constater que l’affreux Netanyahou
sera probablement remplacé par un
politicien encore pire, qu’il soit de
l’espèce judéo-daesho-religieuse ou de
de l’espèce judéo-fasciste laïque. C’est
la terrible logique de l’apartheid.
Il y a une
solution : c’est d’en finir avec
l’apartheid et d’instaurer l’égalité
entre juifs et non juifs dans le pays ;
mais apparemment ce n’est pas à l’ordre
du jour.
Dans le contexte
international, la chute de Netanyahou
aura un lourd impact. Ce sera la
victoire des mondialistes libéraux,
parce que Netanyahou est un partenaire
pour Trump et pour Poutine. Mais de
toute façon, les libéraux ne vont pas
savourer les fruits de leur victoire,
parce qu’Israël continuera à dériver sur
la pente du fondamentalisme religieux.
Israel Shamir
can be reached at adam@israelshamir.net
This article was
first published at The
Unz Review.
Traduction de
l'anglais: Maria Poumier
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