Opinion
Redresser les médias tordus
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Jeudi 25 août 2016
Le
« kilomètre tordu » de la comptine
anglaise où tout est tout est
complètement tordu
[1], c’est Fleet Street, bien connue
des journalistes londoniens. C’est ce
qui m’avait été dit, quand j’ai rejoint
la BBC à Bush House, tout au bout de
Fleet Street. Ce n’est pas seulement la
rue qui est tordue, mais nombre de ses
occupants. Et c’est un problème
professionnel dans les médias, qu’on dit
aussi « retors » ou « véreux » de façon
tout à fait justifiée.
Et
pourtant, autrefois (un brin de
nostalgie n’est jamais de trop) le
journaliste avait le choix. Il pouvait
travailler dans un journal soutenant les
conservateurs ou les travaillistes, ou
encore les libéraux. Maintenant, c’est
du pareil au même : tous les journaux
anglais, y compris le Guardian,
détestent Jeremy Corbyn, le dirigeant
travailliste. Aux US, tous les médias
détestent Trump. On n’a plus le choix,
qu’on soit lecteur ou rédacteur.
Et
c’est très grave, l’opinion à sens
unique. Voyez ce que ça a donné, chez
les Russes. Je ne parle pas
d’aujourd’hui, ils jouissent d’un
supermarché très complet, pour choisir
leurs idées, mais de 1991.
Il y
a exactement 25 ans, j’ai pu observer la
mère de toutes les révolutions de
couleur, comme dirait un poète arabe, en
Russie. Cela a duré trois jours. Les
maîtres des médias ont produit et
répercuté dans le monde entier un
spectacle extraordinaire où le people se
soulevait contre ses tyrans, en bravant
les tanks, et en déboulonnant une ou
deux statues de ses oppresseurs. Puis on
a vu des mises en scène semblablement
orchestrées par la même équipe,
transmises depuis le Maidan de Kiev, la
place Tahrir du Caire et même celle de
Bagdad. Les résultats ont été
pareillement lamentables.
Ce
n’était que du vent, cette soit disant
révolution. L’ancien régime s’est
écroulé comme un château de cartes, pas
un coup de feu n’avait été tire pour le
défendre. Il y avait eu collusion entre
les vieilles élites soviétiques et les
Maîtres du discours, entre le KGB et
CNN.
Un
comité d’urgence bricolé par les
derniers défenseurs du régime a joué le
rôle du grand méchant loup; ils ont
appelé l’armée à faire rentrer les chars
dans Moscou, mais n’ont même pas osé
arrêter Eltsine. Les chars n’ont pas
marché contre les rebelles, et ont joué
les accessoires dans le spectacle
grandiose.
Les
Moscovites sont sortis par milliers pour
acclamer Eltsine, en bravant les chars
inoffensifs et le KGB domestiqué. Il n’y
a pratiquement pas eu de résistance: les
membres du parti communiste ont embrassé
le capitalisme par millions; le KGB
jadis tout puissant s’est aplati comme
un chat demandant des câlins; et l’armée
a pris ses ordres chez les nouveaux
gouvernants.
Point
de victimes (si ce n’est trois garçons
happés par un véhicule blindé qui
reculait, et ils ont reçu le titre de
Grands Héros de la Révolution, avec des
funérailles nationales.
Le
spectacle de la libération
glorieuse n’était que façade, et on est
revenus à la sinistre réalité. C’est
chaque fois la même chose avec ces
productions infiniment satisfaisantes :
c’est superbe sur le moment, mais ça
coûte horriblement cher, après coup.
C’était bien joli, de voir des foules en
délire, en train de renverser la statue
de Djerzinski à Moscou (comme celle de
Saddam à Bagdad), mais c’était aussi la
fin du mode de vie modeste, protégé et
productif des Russes. L’immense richesse
des Soviets, accumulée par le travail
intensif de plusieurs générations, s’est
retrouvée morcelée et partagée entre une
poignée d’oligarques principalement
juifs. Les riches sont devenus
crapuleusement encore plus riches en
toute obscénité, tandis que la classe
moyenne dépérissait.
L’espérance de vie est tombée à 58 ans ;
quinze millions d’hommes et de femmes
sont morts, dans le basculement de leur
vie. L’accroissement constant de la
population s’est inversé en un déclin
rapide. Il y avait 150 millions de
Russes avant la révolution de 1991,
nombre qui est tombé à 142 millions et
qui est remonté maintenant à 146
millions, ce qui reste inférieur à
l’époque soviétique. Si on déduit les
immigrants (et la Russie était en
deuxième position, juste après les US,
pour l’accueil des immigrants, avec 12
millions de personnes), on arrive à un
tableau encore pire. L’industrie avait
été détruite. La science, les arts, le
cinéma, le théâtre, les médias, tout
était dévasté, à l’exception de ce qui
avait une utilité immédiate pour les
oligarques.
C’est
seulement dix ans plus tard, avec
l’ascension de Poutine, que la Russie a
commencé à remonter la pente. Et elle
vient tout juste de retrouver son niveau
d’avant 1991.
Pourquoi est-ce que les Russes éduqués
et cultivés se sont laissé embobiner à
ce point? C’est à cause de leurs médias
tordus. La société soviétique était
hautement centralisée, il y avait peu de
confrontations et de bilans, pas
d’opposition, pas de médias politiques
libres. Mikhaïl Gorbatchev avait eu les
pouvoirs suprêmes d’un tsar. Une telle
structure favorise les trahisons ou les
erreurs de calcul catastrophiques. Ayant
décidé de se soumettre à l’Occident,
Gorbatchev avait délégué la surveillance
des médias et des cadres à un agent
entièrement sous l’emprise de
l’Occident, Alexander N. Yakolev,
rémunéré par l’Occident. En quelques
jours, les médias soviétiques ont pris
un virage à 180°, et n’ont plus
véhiculé qu’un seul message très simple:
le communisme avait été une erreur, ou
pire, un crime, les Américains sont nos
amis, laissons-nous guider par eux, et
vous vivrez exactement comme les
Suisses.
Les
Russes étaient très naïfs. Ils ne
faisaient pas confiance à leur vieille
presse, mais ils n’avaient pas encore
été immunisés contre la nouvelle. Leurs
nouveaux médias étaient aussi
totalitaires que les autres, c’est juste
la manière de faire qui avait changé.
Les Rsses ont découvert que leur Pravda
leur avait menti, et ils en ont tiré la
conclusion erronée que le New York
Times allait leur dire la vérité.
Ils ne
savaient pas que la comptine sur le
petit bonhomme tordu est une description
très juste des médias de masse. Ils ont
accepté des changements qui les
appauvrissaient. C’est de cette façon
que j’ai appris que les médias peuvent
persuader les gens d’agir contre leurs
propres intérêts.
C’est
un processus semblable qui est en cours,
vingt-cinq ans plus tard, aux US. Les
médias de masse totalitaires et unifié,
concentrés entre très peu de mains
(principalement juives) tentent de
s’emparer de l’entendement collectif.
Les Américains se targuent d’être
farouchement individualistes, et
d’adorer le pluralisme de leurs
opinions, leur liberté de pensée et
d’expression. Ils comprennent que la
coalition des minorités va renforcer la
poigne d’acier des banquiers, des
militaires et des barbouzes, et en finir
avec leur droit de voter pour la
personne de leur choix. L’expérience de
1991 m’a appris qu’il est aussi
difficile de combattre les Maîtres du
discours que pour les enfants de ne pas
suivre Hamelin le joueur de pipeau. Et
pourtant, cette fois ci, les hommes
tordus pourraient bien perdre,
simplement parce qu’ils ont cru pouvoir
se passer du voile de l’impartialité.
Michael Goodwin a écrit : “le
déploiement honteux d’une partialité
sans masque, de la part des medias de
l’élite, est quelque chose d’inédit dans
l’Amérique moderne. Les réseaux de
diffusion les plus puissants, CBS, ABC
et NBC et les plus grands journaux,
comme le New York Times et le
Washington Post, ont renoncé à toute
prétention à l’objectivité. Leur
détermination farouche pour maintenir
Trump loin du bureau ovale, c’est du
jamais vu. Il n’y a pas d’ennemi
extérieur, de groupe terroriste, de gang
criminel autochtone qui subisse le
matraquage quotidien que subit Trump.
Les mollahs fou d’Iran, qui appellent
l’Amérique le Grand Satan et qui
appellent à rayer Israël de la carte
sont traités avec amabilité, par
comparaison.”
« Les
médias US sont essentiellement unis à
100%, de toute leur véhémence, contre
Trump, pour l’empêcher d’être élu
président”, a dit Glenn Greenwald, et il
a souligné que cela ne leur rend pas
service. Les gens qui votent pour Trump
sont insensibles aux manipulations
médiatiques, tout comme les gens qui ont
voté pour le Brexit n’avaient rien à
faire des élites britanniques et de leur
arrogance, ni des éditorialistes de
leurs médias, qui prophétisaient la
défaite du Brexit, jusqu’au jour où il
s’est avéré qu’ils se trompaient.
Certes, une fausse prophétie, c’est la
plus vieille ruse du monde. Chaque fois
qu’ils disent que Trump est condamné à
perdre, que leurs sondages et analyses
proclament que son échec est inévitable,
il faut s’en souvenir: ils mentent.
L’agence Sputnik News, l’un des
organes très rares encore indépendants
des Manipulateurs unis, l’a révélé: les
medias ont caché un nouveau sondage qui
montre que Trump a fait un retour sur
scène remarquable, il a maintenant deux
points d’avance sur la Clinton, au
niveau national.
Non
que ce soit tellement important,
d’ailleurs. Les sondages sont juste un
outil pour vous pousser à soutenir leur
candidat. Personne ne connaît le
résultat jusqu’à ce quelqu’un essaie de
truquer les élections. Et il est
là, le vrai danger qu’il ne faut pas
sous-estimer.
Michael Moore a ajouté son petit
stratagème en disant que Trump ne veut
pas gagner. Certains, dans l’équipe de
Counterpunch, y compris Jeff St
Clair, ont mordu à l’hameçon. Ce qu’ils
veulent dire, en fait, c’est qu’ils
diraient des choses différentes, ou
qu’ils mettraient en œuvre une autre
stratégie. Par exemple, Trump ne s’est
pas servi du transfert de 400 millions
de dollars vers l’Iran comme d’un
tremplin pour attaquer l’administration.
Mais en quoi cela signifierait-il qu’il
ne veut pas gagner?
En
rien; c’est une décision sage et
reposant sur des principes, que de ne
pas fragiliser l’accord nucléaire avec
l’Iran. Cet accord est un bon
arrangement, et il vaut mieux le
préserver. Peut-être que Trump a été
attentif à l’histoire publiée par Ron
Unz sur les prisonniers US qui ont été
abandonnés à leur sort à Hanoï parce que
l’administration préférait renier son
engagement de paiement à Hanoi. Les US
devaient plus de 400 millions de
dollars à Téhéran ; ce transfert, il
fallait le faire, et tout homme d’Etat
responsable éviterait de s’en prendre à
cette décision même si c’était une bonne
occasion de frapper Obama.
On
dirait bien que Trump fait ce qu’il
faut, et que ses nerfs ne le lâcheront
pas, et que lui et ceux qui l’entourent
tiennent une chance sérieuse de vaincre
les Maîtres du discours, de façon à
laisser le monde vivre à sa façon, ce
que précisément, les Maîtres du discours
ne sauraient tolérer.
Ce
qui ne veut pas dire que la stratégie de
Trump soit parfaite. Son matraquage sur
le thème des musulmans s’avère inutile.
Comprenez-moi: je suis toujours contre
l’immigration de masse, qu’il s’agisse
de musulmans, de juifs ou de
bouddhistes, et si les US et d’autres
pays en finissent avec cette traite des
esclaves modernisée, je dirai Amen. Mais
les US n’ont pas de problème musulman,
et fort peu de musulmans au demeurant.
Le régime d’Obama n’a pas permis aux
réfugiés syriens ou irakiens
d’affluer sur ses rivages en quantités
substantielles. Dix mille par an, c’est
ce qui débarque en Grèce tous les jours!
Peut-être que Trump espérait que les
supporteurs juifs feraient bloc autour
de lui, dans la mesure où les juifs
américains embrassent et financent
n’importe quel nationaliste au discours
sanguinaire en Europe, que ce soit au
Danemark, aux Pays-Bas ou en Angleterre.
Les juifs qui détestent les musulmans
sont nombreux aux US, mais ils sont
restés tièdes avec Trump, comme l’a
établi Kevin McDonald. Ils veulent
répandre la méfiance et la haine entre
autochtones et musulmans d’Europe, mais
pas aux US, ce serait attiser le feu
beaucoup trop près de chez eux! Une fois
que vos concitoyens de souche auront
saisi la différence entre un musulman et
un chrétien, ils seront bien capables de
découvrir la différence entre un
chrétien et un juif. Par conséquent, si
Trump a cru qu’il obtiendrait le soutien
juif en échange de mesures politiques
contre les musulmans, il a fait un
mauvais calcul.
La
campagne anti-musulmans de Trump ne lui
a rien rapporté, mais il est devenu le
porte- étendard de la liberté de pensée
contre les Maîtres du discours. “Je ne
me bats pas contre cette Clinton
retorse, a dit Trump en public, je me
bats contre les médias tordus.” Et il
est là, le message le plus important de
la campagne.
En ce
moment, nos chances de mettre en déroute
les bonshommes tordus sont plus grandes
que jamais, parce que les médias
officiels perdent des points face aux
réseaux sociaux et à l’internet libre.
Les réseaux sociaux aussi sont infléchis
et manipulés, certes, mais ils restent
plus libres et moins centralisés. Il
faut les briser, nos médias, les
démocratiser, mettre fin à leur
fonctionnement en monopole. Les US se
sont débrouillés pour briser la
puissante Stadard Oil en 1911; il
devrait être possible de faire éclater
les medias en petites entreprises
indépendantes en 2017. Faute de quoi,
nous continuerons éternellement à être
abreuvés de propagande. Les médias sont
nécessaires, mais il faut en finir avec
les monopoles.
Les
Maîtres du discours adorent créer un
évènement médiatique pour le propager
jusqu’à ce qu’il soit dans l’ordre du
jour des médias du monde entier. Vous
vous souvenez du pauvre petit Syrien qui
avait été retrouvé noyé sur une plage de
la Méditerranée? Cette histoire fort
triste, tragique mais sûrement pas
exceptionnelle, a été propulsée et
martelée jusqu’à ce que la chancelière
allemande ait proclamé qu’elle
accepterait tous les réfugiés syriens.
C’était exactement ce que voulaient les
Maîtres du discours : inonder l’Europe
de réfugiés, de façon à créer en Europe
une nouvelle coalition de minorités, de
façon à surcharger l’Etat-providence au
point de provoquer l’effondrement de
l’Europe en tant qu’entité indépendante.
Maintenant, ils se choisissent un autre
enfant icône à Alep, en Syrie, pour
rendre acceptable une intervention
militaire en Syrie. Cette mort est un
évènement tragique, comme la mort d’une
centaine de milliers d’autres en Syrie.
Si Hillary Clinton n’acheminait pas des
montagnes d’armes pour les destiner aux
extrémistes islamistes en Syrie, tous
ces enfants seraient en vie. Une
intervention armée de l’Occident leur
rendrait-elle la vie? Non, la meilleure
solution, c’est la pacification d’Alep
et de toute la Syrie. Les rebelles armés
pourraient quitter Alep en toute
sécurité, et les civils resteront chez
eux, en paix.
Je ne
crois pas que ces images tragiques
soient montrées en toute bonne foi. Il y
a tellement d’enfants palestiniens qui
ont été abattus par les Israéliens, sans
que leurs portraits aient jamais arrêté
le flux sans fin de l’aide militaire US
à Israël. Les Palestiniens ont essayé de
publier des photos, pour un résultat
nul. Ils ont été condamnés pour
publication de “porno de guerre”. Donc
ces paroles en images qui obéissent à la
voix de leur maître ne sont efficaces
que si c’est le pouvoir qui s’en sert.
C’est de la manipulation, et non de la
compassion.
Si
nous voulons la paix et la prospérité,
la justice et la miséricorde, nous
devrions casser l’impact des médias
tordus. Les gens tordus, il faut les
redresser, dit la Bible. C’est le
message le plus important en cette
étape, et cette fin du mois d’août est
une excellente saison pour agir en ce
sens.
Traduction : Maria Poumier
Première publication :
Unz Review http://www.unz.com/ishamir/a-crooked-mile/
Pour
joindre l’auteur : adam@israelshamir.net
[1] Mother Goose Nursery Rhymes
(“There was a crooked man, and he walked
a crooked mile etc”: Un bonhomme tordu
marcha un kilomètre tordu, trouva une
monnaie tordue contre un échalier tordu,
acheta un chat tordu qui attrapa une
souris tordue, et ils vécurent tous
ensemble dans une petite maison tordue”)
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