Analyse
Hong Kong, ou la révolte des nègres de
maison
Israël Adam Shamir

Israël
Adam Shamir
Samedi 24 août 2019 L'esclavage avait
du bon, pour certains, les mieux lotis.
Un statut colonial, c'est ce qu'on fait
de mieux, dans le genre, et ça reste
plein d'attraits pour ceux qui ont su se
faire une place juste en dessous des
sahibs et nettement au-dessus des nèg'
marrons natifs. La révolte de Hong Kong,
c'est la mutinerie des arrivistes qui
découvrent que l'écart entre eux et les
natifs est en train de fondre
rapidement. Jadis, un résident de HK
était bien au-dessus des coolies
misérables du continent; il parlait
anglais, il avait des choses, il avait
sa place dans les tentacules qui
suçaient les richesses du continent, et
un peu de cette richesse restait collée
à ses mains moites. Mais maintenant il
n'a plus d'avantage particulier en
comparaison avec les habitants de
Shanghai ou de Beijing. Il y a une
énorme dilatation de richesses dans les
grandes villes de la Chine rouge. Les
Chinois sont bien habillés, ils voyagent
à l'étranger, et n'ont pas besoin de la
médiation de HK pour leurs affaires avec
l'Occident. Beijing offrait à HK un
accord (relativement) égalitaire: on ne
leur prendrait rien; mais l'écart qui se
rétrécissait était inévitable, et même
désirable. Ceci étant, HK était la tête
de pont impériale en Chine depuis trop
longtemps.
Ses habitants
étaient complices, ou plutôt partenaires
volontaires dans chaque crime occidental
contre la Chine, à commencer par le
dumping de l'opium et l'aspiration de la
richesse chinoise. Des millions d'accros
à l'opium, de familles ruinées et de
foyers écartelés avaient quasiment broyé
l'Empire du milieu, et tout cela
ajoutait une pierre à la prospérité de
HK. Le sang, la sueur et le travail de
toute la Chine nourrissaient l'île en
abondance. HK était le premier des ports
concernés par le traité, et le voici
dernier à reprendre le chemin du
bercail. Le peuple n'était pas vraiment
désintoxiqué; ils n'étaient pas prêts,
idéologiquement, pour une nouvelle vie
en tant qu'égaux.
Le président Mao
abritait de lourds soupçons contre les
villes compradores, les cités et
les gens dont la prospérité reposait sur
la collaboration avec l'ennemi
impérialiste. Il leur avait administré
un récurage au savon communiste et une
rééducation patriotique; les compradores
récalcitrants avaient été envoyés donner
un coup de main aux paysans dans des
villages reculés pour leur faire renouer
avec le peuple. Les successeurs de Mao
avaient une foi solide - quoique
peut-être déplacée - dans le
nationalisme chinois, comme remède
universel, ils pensaient que les Chinois
de HK, de Macao et de Taïwan
reviendraient vers eux dès que le joug
colonial se briserait. Mais c'était là
un excès d'optimisme. Les forces
impérialistes n'avaient pas renoncé à
leurs ex-esclaves domestiques, et au
moment requis pour les activer contre la
Chine indépendante, elles savaient où
porter leur regard.
Leur heure est
arrivée, au moment où le conflit
commercial entre la Chine et les USA
s'est exacerbé. Le gouvernement secret
de l'Ouest, alias Etat profond, est
arrivé à la conclusion que la Chine va
trop loin, avec ses bottes de sept
lieues. Elle ne se contente plus de
fabriquer des gadgets bon marché pour
les clients occidentaux. Elle produit
des appareils de pointe, qui rivalisent
avec les produits américains, et, ce qui
est pire, leurs appareils échappent à la
surveillance de la NSA. Ils ont ciblé la
firme chinoise Huawei; puis les
sanctions et les tarifs douaniers ont
pris le relais. Quand le yuan s'est
frayé un passage, les Chinois ont été
accusés de manipuler leur monnaie. C'est
une accusation grave: quand le Japon
avait été attaqué par l'Ouest dans les
années 1990 et que le yen avait pris ses
aises à juste titre, ils avaient su
forcer Tokyo à maintenir un yen fort et
à plonger le Japon dans le marasme pour
vingt ans. Mais la Chine n'a pas reculé.
Alors le pouvoir
suprême a sorti son arme bien rodée: ils
se sont mis à fomenter des troubles en
Chine, et ont fait à la chose toute la
place dans leurs médias. Au début, ils
ont misé sur le sort des islamistes
ouigours, mais cela n'a guère marché.
Les Ouigours ne sont pas nombreux, ils
ne sont même pas majoritaires dans leur
zone traditionnelle; leur influence en
Chine est limitée. Malgré les gros
titres dans les médias occidentaux
proclamant que des millions de Ouigours
étaient enfermés dans des camps de
concentration, l'impact a été nul. Pas
un Etat musulman d'importance n'a
soutenu leur cause.
Arrive
l'anniversaire de Tienanmen (début juin)
et rien ne se passe. Pour une bonne
raison; le supposé massacre est un
mythe, comme l'ont toujours su les
Chinois et comme nous le savons
maintenant grâce à la publication d'un câble
de l'ambassade US par Wikileaks.
Il n'y avait pas eu des milliers
d'étudiants écrasés par des tanks. Un
petit nombre avait péri en affrontant
l'armée, mais la Chine avait su échapper
au destin amer de l'URSS. En Chine
d'ailleurs l'évènement était presque
tombé dans l'oubli. Une poignée de
participants rabâchent leurs expériences
au public occidental, mais la crise
souhaitée ne s'est pas matérialisée.
Alors est venue
l'heure de HK. C'est une partie autonome
de la Chine; elle n'avait pas été
rééduquée, il reste assez de gens pour
se souvenir des beaux jours de
l'esclavage colonial. L'étincelle qui a
mis le feu aux poudres, le traité
d'extradition prévu, était excessivement
faible. Depuis la dernière décennie, HK
était devenue un refuge de choix pour
les prévenus du continent, parce que HK
avait des traités d'extradition avec les
US et la Grande Bretagne, mais non avec
le continent. Il fallait remédier à
cette situation.
[Le traité
d'extradition avait joué un rôle
important dans l'affaire Snowden.
L'ex-espion de la CIA Edward Snowden
avait décidé de révéler au monde
l'ampleur de la surveillance par la NSA,
à laquelle nous sommes sujets. Il avait
choisi le Guardian pour publier
ses révélations, probablement en tenant
compte du précédent de Wikileaks.
Lorsqu'il avait donné une longue
interview au Guardian à Hong
Kong, son identité avait été révélée.
L'arrivée d'une demande d'extradition de
la part des US était imminente. Les
autorités chinoises ont dit à Snowden
qu'elles allaient devoir l'expédier dans
une prison US, où il serait torturé et
abattu, parce que le traité
d'extradition ne leur donnait pas le
choix, dans son cas. C'est seulement
grâce à la rapidité d'action de la
courageuse assistante de Julian Assange
Sarah Harrison qu'il avait pu échapper à
cette triste fin, et se retrouver en
sécurité à Moscou].
Alors que les
autorités de HK étaient obligées
d'extrader Snowden, elles ne pouvaient
pas extrader de nombreux criminels du
continent. C'est quelque chose qui
devait être rapidement corrigé, face à
la tension grandissante. C'est alors que
les agents dormants de l'Ouest se
sont réveillés et ont activé leurs
réseaux. Ils avaient pratiquement des
fonds illimités, pas seulement en
provenance de l'Ouest, mais aussi de
criminels qui n'étaient pas
particulièrement impécunieux, et qui
redoutaient une extradition. Une fois
que les manifestations ont commencé, les
médias occidentaux leur ont donné une
couverture maximale, encourageant les
mutins et magnifiant leurs menées.
Des centaines
d'articles, des histoires affriolantes
et des éditos dans des journaux
importants ont joué leur partition pour
soutenir les rebelles de HK. "La guerre
du peuple arrive à Hong Kong", écrit le
New York Times aujourd'hui.
Voici un fait ahurissant (à supposer que
vous soyez fraîchement débarqués de
Mars): le même quotidien et ses nombreux
épigones n'ont prêté aucune attention à
la véritable guerre du peuple qui fait
rage en France, où les Gilets jaunes ont
continué à se battre depuis quarante
semaines contre l'austérité imposée par
le régime de Macron. Onze personnes
tuées et 2500 blessés en France, mais
les médias occidentaux se contentent de
marmonner sur l'antisémitisme des Gilets
jaunes. Rien de neuf là dedans, certes.
Les mêmes médias n'avaient pas remarqué
la manif d'un million de personnes (one-million-strong
demonstration) contre la guerre
US en Irak, n'ont pas accordé
d'attention au mouvement Occupy Wall
Street, et ont sous-estimé les
protestations contre les guerres US et
les interventions. Une centaine de
milliers de personnes marchant dans les
rues à New York ne méritait pas un
reportage si leur objectif ne cadrait
pas avec les désirs du gouvernement
réel; en revanche, trois mille
protestataires à Moscou - qui a douze
millions d'habitants - se voyaient
présentés comme la voix du peuple
défiant Vlady le tyran.
C'est de cette
façon bien particulière que les médias
jouent leur rôle pour nous tenir
informés. Si les médias mainstream
s'intéressent à quelque chose, c'est
habituellement pour mentir; mais si les
médias ne disent rien, vous pouvez
parier que c'est important et qu'on ne
vous encouragera pas à en apprendre
plus. C'est particulièrement vrai dans
le cas des revendications populaires.
Comment pouvez-vous savoir qu'ils sont
en train de vous mentir, disent les
naïfs: parce qu'ils bougent les lèvres!
Le plus gros
mensonge c'est d'appeler les rebelles de
HK qui manifestent avec les drapeaux de
l'Union Jack des manifestants "pour la
démocratie". Ces gens veulent restaurer
le gouvernement colonial, se retrouver à
nouveau régis par leurs seigneurs aux
yeux ronds, stricts mais fiables. Ce
pourrait être une bonne ou une mauvaise
idée, mais rien à voir avec la
démocratie. Le second plus gros mensonge
c'est le slogan "Make Hong Kong Great
Britain Again" ("Rendre Hong Kong
britannique et grande à nouveau") . Hong
Kong n'a jamais fait partie de la Grande
Bretagne. Cela n'a jamais été sur la
table, ça ne rime à rien. Le politicien
britannique le plus porté sur l'aventure
et la diversité n'envisagerait jamais de
faire de sept millions de Chinois dans
un territoire au bout du monde des
citoyens britanniques à part entière,
membres de la démocratie britannique
qui, quoiqu'imparfaite, n'en est pas
moins réelle. HK était une colonie;
c'est ce à quoi les manifestants
aspirent, ils veulent restaurer la
colonie britannique.
Toutes proportions
gardées, ceci vaut aussi pour les
rassemblements à Moscou. Les
manifestants moscovites rêvent d'une
Russie occupée par les forces de l'Otan,
pas de la démocrate. Ils croient qu'ils
constitueraient eux, les
pro-occidentaux, au niveau culturel
élevé, à l'esprit entrepreneurial, la
classe compradore et prospère aux dépens
des hoi polloi. Heureusement, ils
ne sont pas nombreux; les Russes ont
déjà essayé de vivre sous occupation
occidentale bienveillante entre 1991 et
2000, lorsque le FMI administrait leurs
finances et que des conseillers venus de
Harvard géraient la machinerie étatique.
Des juifs raffinés et sans pitié, comme
Bill Browder, Boris
Berezovsky ou Roman Abramovich, ont
alors fait fortune, mais la Russie s'est
retrouvée ruinée et sa population
réduite à la pauvreté. Bien peu
sont les Russes qui voudraient revenir à
ces années-là, mais il y en a. La
majorité tient à empêcher cette minorité
impatiente de satisfaire ses propres
attentes. Ceux qui n'y arrivent pas
fileront en Israël, comme ce jeune Mr Yablonsky qui
a découvert ses racines juives au bout
de deux nuits de garde à vue. Il avait
atterri en prison après avoir violemment
combattu l'érection d'une église dans sa
ville.
Les Chinois vont en
finir avec leur souci HK de la même
façon. C'est faisable si le gouvernement
ne promet pas de réduire ses
contre-attaques à des mesures
inoffensives. Seule la menace imminente
de suppressions douloureuses et
sanglantes peut rendre ce genre de
mesures superflues. De même, seule la
menace d'un Brexit sans accord pourrait
faire reprendre leurs esprits aux
dirigeants bornés de l'UE. Un Etat qui
n'est pas prêt à user de la force va
nécessairement échouer, comme c'est
arrivé à l'Etat ukrainien sous
Yanoukovitch en 2014. Le sang coulera et
l'Etat se retrouvera en ruines, si ses
dirigeants sont trop timorés pour couper
court au soulèvement.
Nous pouvons
distinguer un soulèvement réellement
populaire d'interventions inspirées par
l'étranger pour le compte des
compradores. Le premier sera passé sous
silence tandis que les seconds seront
glorifiés par le New York Times,
c'est aussi simple que ça.
Je ne me fais pas
trop de souci pour la Chine. Les
dirigeants chinois savaient comment s'y
prendre avec Tienanmen, ils ont su gérer
les troubles des minoritaires, sans
cruautés inutiles, mais sans hésitation
ni prévarication. Ils n'ont pas
tergiversé lorsque les US ont tenté
d'envoyer leurs navires de guerre à HK,
ils ne leur ont pas fait ce plaisir. Ils
s'en remettront. Vous pouvez compléter
avec mon article de 2008: http://www.unz.com/ishamir/yeti-riots/
adam@israelshamir.net
Source: The
Unz Review
Traduction:
Maria Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
Le
dossier Chine
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