Opinion
Le sommet des
trois églises
Israël Adam Shamir
©
Israël
Adam Shamir
Samedi 23 avril 2016
Source:
http://plumenclume.org/...
Tandis que la fête
de Pâques russe approche, et tombera
cette année le 1sup> mai - tout
un symbole- il est temps de parler d’un
événement spirituel récent de la plus
haute importance, et qui a été mis sous
le boisseau en Occident, alors que toute
la Russie en est bouleversée. Ce n’était
pas un Oscar, pourtant. Deux vieux
messieurs, à la tête de deux grandes
églises, se sont rencontrés sur le
territoire de la troisième église.
Kyrille et François, les évêques de
Moscou et de Rome, sur le dernier
vestige du territoire communiste, à
Cuba. Ils représentaient deux églises
anciennes et vénérables : l’église
romaine catholique, et l’église russe
orthodoxe, séparées par un schisme vieux
de mille ans, avec, comme la statue du
commandeur, l’église communiste
présidant à la rencontre.
Ils ont publié leur
Déclaration de La Havane, un document
puissant qui affirme leur base commune,
reconnaît leur longue séparation, évite
les débats théologiques, exprime
l’espoir d’un rapprochement plus étroit,
et enterre certaines vieilles haches de
guerre, parfois assez récemment
brandies. C’est un grand pas en avant ;
pendant des années, cette rencontre
n’avait pas pu se tenir. Les dirigeants
de l’État russe ont eu des rencontres
avec le pape ; Vladimir Poutine
plusieurs fois, Gorbatchev aussi, mais
les chefs de l’église russe n’avaient
jamais accepté. Les Russes voulaient que
les catholiques arrêtent de faire du
prosélytisme sur le territoire canonique
de la Russie, et s’en tiennent aux
Ukrainiens uniate. Le pape François est
le premier évêque de Rome qui ait
accepté ces exigences.
Dans leur
déclaration, ils confirment que leur
mission comporte le respect mutuel pour
les membres des communautés chrétiennes
et exclut toute forme de prosélytisme.
Nous ne sommes pas
concurrents, mais frères. Nous demandons
instamment aux catholiques et aux
orthodoxes dans tous les pays à
apprendre à vivre ensemble dans la paix
et dans l’amour, et d’être « en harmonie
les uns avec les autres ».
Excellente chose. A
mes yeux l’église catholique est
l’église d’Occident, tandis que l’église
orthodoxe est celle de l’Orient. Chacune
a son propre jardin à cultiver, ses
propres traditions et cheminements.
L’Orient aime ses prêtres à longue
barbe, l’Occident les préfère rasés.
L’Orient les aime mariés, l’Occident les
aime mariés avec l’église. L’Orient n’a
pas de dirigeant spirituel unique :
chaque Église nationale est l’égale de
ses sœurs. L’Occident a le pape.
L’Orient pratique l’Eucharistie sous les
deux espèces, le pain levé avec le vin,
l’Occident préfère du pain sans levain
en tout et pour tout, et réserve le vin
au clergé. Ce sont là des différences
normales, qui n’empêchent pas le
rapprochement entre les églises.
Le pape François a
admis que la création des églises
uniates (orthodoxes dans leur liturgie
mais catholiques pour tout le reste)
avait été une erreur, mais qu’il n’y
avait pas lieu de remettre en question
celles qui existent en Ukraine et au
Proche Orient. Cet accord a plu à Moscou
mais à fait grincer des dents à Kiev et
à Lviv. Les Ukrainiens ont évoqué
sombrement une trahison, tandis que la
revue farouchement anti russe et anti
Vatican (et anti-Dieu)
The Economist voyait
le pape baisant l’anneau à Poutine
(sic !) C’est vraiment un pas en avant
historique, qui met fin aux tentatives
de l’Occident pour coloniser l’Orient,
projet qui a commencé avec les Croisades
et qui a amené tellement de guerres.
Désormais les deux grandes églises
peuvent travailler ensemble, d’égale à
égale.
Les Orthodoxes ont
beaucoup à apprendre des catholiques. Le
Vatican a ses instituts d’archéologie,
d’études bibliques, publie des journaux
et des livres, a un programme de
catéchèse pour la jeunesse, participe à
des débats publics. La voix du Pape a
été entendue sur tellement de sujets
importants ; et les hommes politiques
importants se tournent vers l’Église
pour prendre conseil.
La semaine
dernière, Bernie Sanders a salué la
position de l’église romaine catholique,
en disant : « il y a peu de lieux dans
la pensée moderne qui puissent rivaliser
avec la profondeur et la clairvoyance
des enseignements moraux de l’église sur
l’économie de marché. » Il y a cent ans,
l’Église parlait contre « l’énorme
richesse de quelques uns face à la
pauvreté pour tellement d’autres gens »,
mais maintenant, a poursuivi Sanders,
« la situation est pire aujourd’hui. Au
lieu d’une économie visant le bien
commun, nous nous retrouvons avec une
économie pilotée par un centième de la
population, qui s’enrichit tant et plus
tandis que la classe ouvrière, les
jeunes et les pauvres, tombent de plus
en plus bas ». Il a rendu hommage au
pape et à l’église pour leur
compréhension du problème et leur
engagement pour y remédier.
Les catholiques ont
eux aussi beaucoup à apprendre de leurs
frères orthodoxes. Les orthodoxes sont
fermes dans leur foi, fervents dans
leurs prières, loyaux envers leur
église. La messe orthodoxe est bien plus
longue, le carême plus strict, et il y a
foule à l’église le dimanche. Les
orthodoxes savent mieux faire face au
défi juif : ils baptisent les juifs,
alors que les catholiques ont
pratiquement renoncé à leur mission
auprès des juifs.
Pour les
catholiques, le rapprochement avec les
orthodoxes peut mettre un frein aux
avancées des réformateurs libéraux qui
sont en train de détruire l’église. Pour
les orthodoxes, l’amitié avec les
catholiques peut freiner l’avancée des
forces ultra conservatrices. En matière
d’amitié et de fraternité, les deux
églises vont pouvoir retrouver
l’équilibre qu’elles avaient perdu.
Nous sommes,
catholiques et orthodoxes, unis dans la
foi en notre Seigneur et Sauveur Jésus
Christ, et dans notre vénération commune
pour la Très sainte Mère de Dieu, la
sainte Vierge, unis par la tradition
apostolique, par les enseignements des
pères de l’église, et dans notre rejet
du péché. Nous entendons trop souvent
parler de « »mariages » entre gens de
même sexe, ce qui est une idée
monstrueuse absolument inédite parmi les
chrétiens et leurs semblables.
… L’Église
orthodoxe va être un soutien pour les
catholiques, car l’église de Rome subit
la pression des États et du secteur
endoctriné de la société et des médias.
Les Russes ont un avantage : leur
société et leur État, personnifiées par
le président Poutine, sont strictement
pour la famille, pour la famille
naturelle constituée par le père, la
mère et les enfants. Ils ont même une
loi contre ceux qui font la propagande
de la confusion des genres auprès des
mineurs.
Dans la
Déclaration de La Havane, le pape et
le patriarche ont tranché :
« La famille est le
centre naturel de la vie humaine et de
la société. Nous sommes inquiets de la
crise de la famille dans de nombreux
pays. Orthodoxes et catholiques,
partageant la même conception de la
famille, sont appelés à témoigner que
celle-ci est un chemin de sainteté,
manifestant la fidélité des époux dans
leurs relations mutuelles, leur
ouverture à la procréation et à
l’éducation des enfants, la solidarité
entre les générations et le respect pour
les plus faibles.
La famille est
fondée sur le mariage, acte d’amour
libre et fidèle d’un homme et d’une
femme. L’amour scelle leur union, leur
apprend à se recevoir l’un l’autre comme
don. Le mariage est une école d’amour et
de fidélité. Nous regrettons que
d’autres formes de cohabitation soient
désormais mises sur le même plan que
cette union, tandis que la conception de
la paternité et de la maternité comme
vocation particulière de l’homme et de
la femme dans le mariage, sanctifiée par
la tradition biblique, est chassée de la
conscience publique. »
Jusqu’où les
Églises sauront-elles avancer l’une vers
l’autre ? Même avant La Havane, les
croyants orthodoxes pouvaient partager
la communion dans une église catholique,
du point de vue catholique. Les Russes
cependant, ne donneront pas la communion
à un catholique et n’accepteront pas la
communion catholique. Il serait bon que
cela change, qu’il soit permis aux
membres de ces deux églises sœurs de
donner et de recevoir la communion.
Il serait bon de
réformer le calendrier. Les chrétiens
orthodoxes de Grèce ont choisi le
calendrier occidental, et les Russes
pourraient en faire autant, ne serait-ce
que pour une seule raison. S’ils
fêtaient la Nativité avec les Européens
le 25 décembre, ils n’auraient plus
d’objection à célébrer le nouvel an le
premier janvier, alors que pour le
moment, en fêtant Noël le 7 janvier,
cela entre en conflit avec leur jeûne du
temps de l’Avent,
La Terre Sainte est
un exemple en ce sens, car
catholiques et orthodoxes y harmonisent
leurs célébrations : la Nativité comme
en Occident, et Pâques comme en Orient.
Pour le reste, que
les églises gardent leurs différences.
Car la plus grande divergence
théologique le filioque est un sujet
tellement obscur que sont rares les
croyants qui y comprennent quelque chose
ou qui s’en soucient.
Si le pape a été
attaqué par des haïsseurs professionnels
de la Russie, le patriarche l’a été
rudement par les fondamentalistes et
ultra-conservateurs qui honnissent le
simple fait que Kyrille ait rencontré le
pape à Rome. Pour eux l’Église orthodoxe
est la seule église véritable, tandis
que les catholiques sont des hérétiques.
Les conspirationnistes russes ont
alimenté des tableaux cauchemardesques
d’un Vatican téléguidé par les
francs-maçons, les homosexuels et que
sais-je encore. Ceci étant, la situation
critique des chrétiens du Proche Orient
a poussé le patriarche à donner un coup
d’accélérateur. J’espère qu’il survivra
aux attaques, car Kyrille est un grand
représentant de la spiritualité dans sa
patrie, sous-estimé.
2
J’ai parlé de trois
églises. Que pouvait-il y avoir en
commun entre les églises chrétiennes et
l’église rouge sans Dieu, me
demanderez-vous. Leur terrain commun est
leur définition du vice et de la vertu,
ce qui est le plus important pour toute
église. Dans une émission de radio en
1837, T S Eliot avait dit : « Peut-être
que le vice dominant de notre temps, du
point de vue de l’Église, s’avèrera être
l’avarice ». Il répétait là les paroles
de saint Paul qui disait : « l’amour de
l’argent es la racine de toutes les
variétés du mal. »
Les communistes ont
fait bien des fautes, mais ils étaient
les guerriers les plus tenaces contre
l’avarice. L’Union soviétique n’avait
pas de millionnaires, et une personne
qui aurait essayé de le devenir aurait
été envoyée dans une usine en province,
comme une nuque raide requérant une
ré-éducation. Les banquiers recevaient
le même salaire que
les travailleurs qualifiés en usine,
parfois moins.
S’il y a
quelque chose qui rachète le régime
communiste, c’est bien cette noble
tentative pour tuer la cupidité. Nous
avons besoin de l’argent pour manger,
pour payer notre maison, pour voyager,
mais non pour amasser et spéculer. Et
c’est la raison pour laquelle le
communisme est tellement détesté. Fidel
Castro, dans ses souhaits pour son
parti, le 19 avril 2016, a dit que le
nom même de communisme a été calomnié et
bafoué. « Le communisme a été le concept
le plus travesti et perverti par ceux
qui avaient le privilège d’exploiter les
pauvres ». Car maintenant nous savons
que la plus grande partie des histoires
anti-communistes dont vous avez été
abreuvés, mes chers lecteurs, depuis le
biberon, sont des inventions des
propagandistes de la guerre froide.
L’église russe est
en contradiction avec elle-même dans son
attitude envers le passé soviétique.
Certains évêques sont violemment contre
tout ce qui a des relents de communisme.
C’est particulièrement vrai pour les
évêques de l’église russe à l’étranger.
Cette église s’est réunifiée avec Moscou
il y a une dizaine d’années, mais
historiquement elle a été fanatiquement
anti-communiste ; Leurs évêques priaient
pour la victoire d’Hitler, et ils ne
comprenaient pas le désir de Moscou de
les ramener eux et leurs fidèles vers
eux, dans une démarche de repentance de
l’Église. Leur influence est très
regrettable.
Le patriarche
Kyrille est vraiment tolérant. Parlant
de l’époque soviétique, il a dit : dans
chaque période de notre histoire, il y a
eu des gens qui ont fait de bonnes
choses pour notre pays. Au Moyen Age,
notre pays a été qualifié de « sainte
Russie », non parce qu’elle aurait été
sainte en soi, mais parce que son idéal
était la sainteté. Les temps de la
révolution communiste ont certes été
durs et sanglants, mais l’idéal était
bon, c’était l’idéal de la justice. La
période soviétique a également été
difficile, mais il y a eu de grandes
réalisations qui sont à relier
avec l’idéal de la solidarité.
Préservons tous ces idéaux, de sainteté,
de justice et de solidarité. »
Kyrille a parlé
avec la plus grande estime de Fidel
Castro et de Cuba. Il avait rencontré le
dirigeant cubain à plusieurs reprises,
il avait eu de longues discussions avec
lui, et il était convaincu que Fidel
Castro avait été animé par un sentiment
chrétien, par l’enseignement de notre
Seigneur : « Si tu veux être parfait,
va, vends tes biens et donne-les aux
pauvres, et tu auras des trésors au
paradis. »
Les communistes
russes, le deuxième plus grand parti en
Russie, sont amicaux envers l’Église.
Jésus Christ a été le premier
communiste, a dit le chef du Parti
communiste, Dr. Zyouganov. Le plus grand
parti, Russie Unie, est également un ami
de l’Église. Seuls les groupuscules
libéraux pro-occidentaux préfèrent les
Pussy Riot et la liberté gay, mais
ilsn’ont guère d’adeptes. La position de
l’église en Russie est donc plutôt
enviable. Mais cela implique que malgré
sa disparité économique et
l’encerclement par les mœurs
occidentales, la Russie n’adore pas la
cupidité.
L’Église catholique
ne s’est pas très bien débrouillée ces
temps-ci. Ses ennemis inventent et
mettent en avant des histoires de
prêtres violeurs, de collaboration de
l’église avec les Nazis. C’est toujours
la même raison qui est à l’œuvre :
l’église rejette l’amour du gain,
l’avarice, qui est le moteur de ses
adversaires. Il y a bien un autre
facteur commun entre l’église et le
communisme : c’est que tous deux ont
perdu certaines batailles importantes,
et sont devenus ringards.
Le vainqueur, c’est
l’espèce d’église capitaliste
néo-judaïque. Pour celle-ci, l’avarice
est une vertu, tandis que le pire péché
est « l’intolérance », quoi qu’on mette
derrière ce terme. « Ne sois pas un
perdant », est son unique commandement.
Ils n’ont pas d’éthique ; tout est
éthique s’il n’y a pas infraction
pénale.
Pour un chrétien,
« être perdant » ne veut rien dire.
Notre Seigneur était un perdant, jusqu’à
ce qu’il remporte la victoire sur la
mort. « Intolérance » ne veut rien dire,
parce que l’église a toujours accepté
les gens de toute couleur et posture
dans la vie. Pas seulement les gens
d’aspect coloré : il y a une icône russe
d’un saint à tête de chien. Au temps
jadis, le cynocéphale, l’homme à tête de
chien, a été signalé par des sources
aussi variées qu’Hérodote, saint
Augustin, l’auteur de Beowulf ; et
l’église ne doutait pas que de telles
créatures pouvaient aussi être sauvées
et devenir des saints.
En quoi consiste
donc la « tolérance » qu’on nous
prêche ? C’est juste une façon de
contourner les vrais enjeux. Il est plus
facile d’amener une personne handicapée
à l’école que de laisser les enfants
pauvres étudier aux côtés des fils de
parents riches. Il est plus facile de
demander plus de sièges pour les femmes
juives dans un conseil d’administration
que d’égaliser les revenus des employés
des boîtes en question. Aujourd’hui, il
est plus facile de se battre pour des
toilettes unisexe que contre les paradis
fiscaux.
La mission la plus
importante de l’Église reste celle-ci :
nous tourner vers Dieu. Egalité,
justice, famille, tout cela est
excellent, mais il est encore meilleur
de ressentir l’allégresse de la présence
de Dieu.
Pour joindre
l’auteur : adam@israelshamir.net
Original publié sur
The Unz Review
Traduction : Maria
Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
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