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Opinion

La longue captivité d'Assange

Israël Adam Shamir


Israël Adam Shamir

Vendredi 22 juin 2018

Les longues journées d’été sont propices aux marches en forêt et à la nage ; le soir, je lis les classiques avec mon fils de dix ans, qui, autrement, passe beaucoup trop de temps sur les jeux vidéo. Cette fois, nous en sommes à l’Odyssée, le poème que j’ai traduit il y a quelque vingt-cinq ans, et hier, j’ai relu le Livre IV où Ménélas pleure ses preux camarades tombés à Troie ou sur le périlleux chemin du retour. Et pour moi, c’était le moment de pleurer mes chers compagnons d’armes qui ont succombé aux  flèches et aux frondes de la fortune ombrageuse. Vous êtes si nombreux, à vous être lancés contre la Bête, et qui êtes à présent morts, ou en exil, ou en prison, comme mon éditeur espagnol Pedro Varela ou le chercheur américain Barrett Brown. Ou encore mis à la porte comme Julio Pino, professeur à l’université de Kent State.

"Alors Ménélas dit : je pleure sur tous mes hommes, mais je plains plus encore celui-ci, Ulysse, qui fut retenu pendant des années sur l’île d’Ogygie par la nymphe Calypso". Cela m’a rappelé le sort de Julian Assange, notre moderne Ulysse, qui est retenu dans sa luxueuse prison de Knightsbridge depuis des années. En fait, depuis six années entières, car aujourd’hui, tandis que j’écris ceci, c’est l’anniversaire de son incarcération à l’ambassade d’Equateur.

Il y a tellement d’épithètes homériques décrivant le roi d’Ithaque qui s’appliquent à Julian ! Il est sage et noble, plein de ressources et rusé, habile et malin, brillant et rapide, lui le plus malheureux des hommes.

Son nom fait encore peur à l’ennemi, et donne du courage à l’ami. Homme des antipodes par sa naissance, Julian est devenu célèbre en Europe du nord, où ce bel homme, grand et mince, aux tempes argentées, s’en est venu brandir l’étendard de la révolte. Il y a huit ans, je le comparais au Néo de Matrix, l’homme destiné à briser la matrix des mensonges et à nous délivrer.

"Les Aventures extraordinaires du capitaine Néo en terre de blondeur", voilà comment l’histoire des escapades de Julien en Suède sera connue, une fois qu’elle se sera frayé son incontournable chemin jusqu’à quelque metteur en scène excentrique de Holywood, disons Robert Zemeckis ou Mel Brooks, ou peut-être le Stephen Herek des Excellentes Aventures de Bill et Ted. Andy Wachowski serait le plus indiqué, parce qu’il pourrait faire pour Julian Assange ce qu’il fit jadis pour Keanu Reeves.

Impossible d’imaginer plus beau scénar. C’est une histoire de rêve pour un tabloïde, mais il pourrait se produire une transfiguration et nul intellectuel ne le renierait, ce Julian définitif. Sa dernière aventure relève de la pulp fiction, grouillant d’espions de Langley, de pirates informatiques, de féministes cinglées, de flics balourds et de ragots scabreux au royaume femelle de Suède.

Julian, c’est un personnage qui aurait pu être tiré d’un plan de Matrix : chevelure platine et longiligne, il se déplace dans le cyberespace comme un superman. Les rares fois où il émerge dans le monde réel, c’est pour faire des prouesses de Kung Fu. Il boit et mange à peine. Son apparence physique, on peut l’apercevoir devant un ou deux MacPro, tandis que son alter ego digital commute et calcule en attaquant  à mort le système en un fantastique combat virtuel. Comme Neo, c’est un hacker né, qui cherchait à toucher le fond du piratage jusqu’au jour où il a découvert la Matrix. Il avait déjà des centaines de hauts-faits en la matière à son actif lorsqu’en 1992 il a plaidé coupable pour vingt-deux d’entre ses exploits. J’aime à penser qu’un jour, lorsqu’il aura atteint la plénitude des temps, il deviendra  une sorte d’ange gardien pour les hackers, ou peut-être le dieu grec du cyberespace avec son clavier d’or, surfant pour l’éternité sur le web".

Cette métaphore sur Julian a été reprise récemment par le vaillant Jonathan Cook, l’homme de Nazareth, mais elle lui va à lui aussi, et il en est de même pour nombre d’entre nous, dont le rédacteur de la « Pravda américaine » Ron Unz, car tous nous nous battons pour la libération de l’esprit et du discours.

Au début de son activité politique, Julian avait été porté aux nues par les médias et par la société. Son Wikileaks était considéré comme la chose la plus à la mode dans tout l’univers connu. Il  flottait de fête en réception, faisant l’admiration des Scandinaves de Reykjavik à Stockholm.

Mais l’ennemi préparait ses collets. Une féministe amie de la CIA se glissa dans son lit avec un plan infâme : elle lui offrit son petit appartement en disant qu’elle quittait la ville pour quelques jours, et lorsqu’il eut accepté et emménagé, elle revint inopinément et lui offrit de partager le lit unique. Il ne savait pas qu’elle avait mené à bien une mission de la CIA à Cuba, autrement il aurait été plus circonspect.

Ou peut-être pas : un pur-sang comme lui était facile à tenter. Le lendemain elle touitait sur sa prise avec ses amis, se flattant de partager désormais l’auréole de La célébrité. Et quelques jours plus tard, elle s’en alla porter plainte au commissariat, alléguant qu’il l’avait possédée sans protection ; ce qui est un délit de viol au second degré dans la Suède féminisée. Sur l'accusation, une deuxième fille renchérit bientôt, parce qu’elle était malheureuse, Julian ne l’ayant pas appelée le lendemain d'une autre partie de jambes en l’air. La procureure suédoise androphobe Marianne Ny prit le relais dans la chasse à l’homme, et les journaux suédois étalèrent en gros titre : « le violeur court toujours ». Aussitôt Julian perdit tout son nuage  d’admirateur-trices ; l’Empire connaissait la vulnérabilité de la foule à ses pieds.

Cependant, en quelques jours un non-lieu fut prononcé, et Julian se retrouva libre de quitter la Suède. Il s’en alla en Angleterre, et c’est là qu’il prépara la grande publication du Cablegate, la vaste collection des câbles du Département d’Etat et des ambassades US du monde entier. Volés par Manning, ces câbles nous ont dévoilé le tableau complet des menées de l’Empire avec les nations. J’écrivais alors : 

« Des secrets et des messages confidentiels d’ambassades américaines (il y en a environ un quart de million) attendent d’être lâchés dans le cyberspace. Ils s’attaqueront au bas-ventre mou de l’empire, à savoir à ces auto-tromperies flatteuses qui entretiennent les armées impériales ; cela pourrait fort bien suffire à retourner le sort dans la bataille pour le recouvrement de nos libertés en voie de disparition.

Ces vilains petits télégrammes diplomatiques jettent une lumière crue sur la politique ténébreuse de l’Empire américain, sur ses méthodes pour collecter l’information, donner des ordres, subvertir des hommes politiques et dépouiller des nations. Mais avant de nous livrer à un anti-américanisme aussi confortable que primaire, n’oublions jamais que cette révélation d’exactions criminelles (qui est sans doute la plus fracassante de toute l’histoire) n’a été possible que parce que des Américains courageux et honnêtes étaient prêts à risquer leur vie et/ou leur intégrité physique pour faire ainsi ‘fuiter’ la vérité. 

La tension devient extrême, lorsque vous osez vous opposez au formidable pouvoir de la Matrice [....]  Impossible de ne pas admirer Julian Assange. Il est en permanence agréable, tranquille, gentil et, même, un peu soumis ; comme le Tao, il dirige sans avoir l’air de diriger, il donne des directions, pas des directives. Il n’élève jamais la voix ; il a à-peine besoin de parler et le chemin devient clair. Notre Neo est guidé par l’idéal de la transparence sociale. Une lumière puissante est la meilleure arme qui soit contre les conspirations.»

L’Empire répondit en faisant rouvrir le dossier suédois, et en émettant un ordre d’arrestation. L’Angleterre se chargea de l’affaire, et Julian avait dès lors perdu sa liberté. Il demeura longtemps en Terre orientale des Angles, dans la maison d’un ami, puis déménagea à Londres, avec un bracelet électronique au bras, et sous une surveillance policière constante. Alors qu’il se rapprochait dangereusement de la déportation en Suède, et d’un confinement durable dans une cellule de prison qui allait être suivie d’une extradition aux US  en son paradis tropical de Guantanamo, il sauta sur la bouée qu’on lui tendait, et demanda l’asile politique à l’ambassade d’Equateur à Londres, après avoir écouté la promesse du président de l’Equateur à ce moment, Rafael Correa. Cela se passait en juin 2012, et depuis lors, Assange est emmuré dans l’enceinte de l’ambassade. 

Pendant ce temps-là, la Suède avait refermé définitivement son dossier, mais les autorités anglaises refusaient encore de le laisser partir. L’ONU le qualifia de victime de détention arbitraire, mais cela ne suffit pas à tirer d’affaire le poissard. L’Equateur lui donna sa nationalité et un passeport diplomatique, mais l’Angleterre refusa d’honorer son statut. Depuis une date récente, les US ont commencé à courtiser le nouveau président de l’Equateur, Lenin Moreno, tant et si bien qu’il a coupé toute communication entre Julian et le reste du monde. Il n’a plus le droit de recevoir d’invités, ni de téléphoner, et il n’a plus d’accès internet. S’il était déporté sur quelque île reculée il ne serait pas plus isolé.

Si l’on regarde en arrière, Julian a fait énormément de grandes choses depuis le Cablegate.

* Il a sauvé Edward Snowden, en le cornaquant de Hong Kong à Moscou. Il avait envoyé la merveilleuse Sarah Harrison mener l’opération de son évasion miraculeuse. Je l’ai soutenu dans cette entreprise et dans d’autres, et j’ai écrit que la Russie était le seul endroit sûr pour un fugitif et un lanceur d’alerte de ce calibre. Snowden crut trouver un refuge solide à Cuba ou au Venezuela, mais aucun de ces pays d’Amérique latine n’avait les épaules assez larges pour résister aux pressions américaines. De fait, Cuba a refusé de le recevoir, et le Venezuela n’a pas accepté Snowden pour d’autres raisons. Même la puissante Chine a refusé de donner asile à Snowden, et a tenté de l’expédier vers les US. L’Iran n’y tenait pas non plus. La Russie, avec tous ses défauts, reste le seul pays pleinement indépendant de l’Empire sur cette terre.

On dit qu’Assange serait de mèche avec les Russes, qu’ils l’avaient guidé et qu’ils lui ont fourni toute la matière qu’ils avaient pu hacker de leur côté, et même que « Wikileaks est une façade pour les services de renseignement russes. » En fait, les Russes hésitaient énormément pour intervenir en quoi que ce soit autour d’Assange. Ils ne pouvaient pas croire qu’il soit sérieux. Es-tu assez naïf, me disaient-ils, pour ne pas comprendre qu’il s’agit d’un piège de la CIA ? ça n’existe pas, les gens comme ça.

C’est un problème de mentalité, chez les Russes: en règle générale, ils ne comprennent pas et ne croient pas les dissidents occidentaux de la même pâte qu’Assange. Ils veulent que leurs sympathisants occidentaux soient des gens achetés et payés pour faire ce qu’ils font. Les électrons  libres leur  semblent suspects. Dieu sait qu’il y en a, des gens, à l’Ouest, dont les opinions rejoignent globalement celles des Russes. Mais les Russes préfèreraient  s’acheter un journaliste tout bonnement. C’est pour cette raison que Russia Today a eu plus que sa part en matière de défections, de diffuseurs qui ont trahi RT et sont partis vers de gros médias occidentaux.

J’ai eu quelques occasions de défendre Julian lors d’émissions sur RT. Mes contradicteurs disaient habituellement : c’est un instrument des services de renseignement de l’Ouest. Attendez un peu, il va bientôt publier quelque chose de bien puant sur la Russie. Les années ont passé, mais cette méfiance n’a pas disparu. De sorte que, à tort ou à raison, la puissante Russie n’a pas défendu Julian, qui n’obéit qu’à lui-même, depuis le début.

D’un autre côté, Julian n’a aucune espèce de préférence pour la Russie. Du point de vue géopolitique, il reste un Occidental. Même dans sa défense voyante de la Russie, il le fait toujours d’un point de vue occidental. Il était contre l’expulsion des diplomates russes pendant l’affaire Skripal, parce que « cela allait apporter de l’eau au moulin du récit kremlinesque selon lequel la Russie subit un siège complotiste téléguidé par les US ». Autrement dit, cela faisait du tort à l’Occident et renforçait les soupçons russes d’un agenda hostile à la Russie.

* Assange est celui qui a publié les documents de la Convention démocrate, les courriels de Podesta et ceux d’Hillary Clinton, ce en quoi il a grandement aidé les électeurs US à choisir pour qui voter dans ces dernières élections fatidiques. A mon avis, le président Trump a une dette considérable envers Assange.

* C’est son Wikileaks qui a exposé les outils de piratage mis en oeuvre par la CIA et la NSA, leurs programmes de surveillance, leurs interférences dans les processus électoraux des autres pays, comme par exemple dans les récentes élections françaises.

*C’est lui qui nous a permis de jeter un œil sur la correspondance secrète des Saoudiens et des Syriens, des Russes et des Français, des Turcs, du FMI et de bien d’autres.

*C’est lui qui a dévoilé la conspiration des députés travaillistes contre Jeremy Corbyn.

*Ses opinions personnelles, exprimées par touits, ont été très utiles. Au milieu de la campagne Skripal, Assange nous a rappelé que « autant il est raisonnable, pour Theresa May, de voir l’Etat russe comme le principal suspect, autant la preuve est discutable, et l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques n’ayant pas encore offert la moindre confirmation indépendante, cela permet au Kremlin de clamer, pour son opinion interne, que la Russie est persécutée ».

Son organisation et lui-même ont offert des points de vue et une expertise sur la Corée du Nord lors du sommet Kim-Trump, en publiant la révélation confidentielle de Clinton selon laquelle les US ne veulent pas de la réunification de la péninsule coréenne, et des centaines de documents confidentiels et secrets sur les tests nucléaires nord-coréens.

J’aimerais tellement le voir libre, car je l’admire. Ce n’est pas une énergie qui a été gâchée, et il reste capable de contribuer énormément au bien commun. Nos frères d'arme, les bons, savent ce qu’il en est, et ils se battent pour sa liberté. 

Roger Waters, la célébrité des Pink Floyd, qui a toujours soutenu le combat des Palestiniens, a déployé une banderole de soutien à Julian Assange lors d’un concert à Berlin. Bien des journalistes des médias désobéissants sont en train d’organiser une veille en ligne sous la bannière « Reconnectons Julian ». Oui, il faut le reconnecter par tous les moyens, mais d’abord le relâcher ! C’est plus important et plus urgent. Six ans d’emprisonnement, c’est trop pour un innocent !

Et qu’Hermès, le messager de Zeus, sous les traits de quelque associé de Trump ou d’un assistant de Corbyn, trouve l’oreille de Theresa May et lui dise, comme il l’avait dit à la nymphe Calypso : tu retiens le plus malheureux des mortels, mais son destin n’est pas de mourir ici, relâche-le sans attendre !

Traduction : Maria Poumier

 Israel Shamir can be reached at adam@israelshamir.net

This article was first published at The Unz Review.

 

 

   

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