Amérique latine
Affamer le Venezuela pour le mettre à
genoux
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Mercredi 13 février 2019
Oh, que vous avez
bon coeur! J'ai versé une larme en
pensant à la générosité américaine.
"Tous ces produits exquis: des sacs de
riz, du thon en boîte et des biscuits
enrichis en protéines, et de la farine
de maïs, et des lentilles, et des pâtes,
arrivés à la frontière du Venezuela si
perturbé, assez pour un petit repas
léger par personne pour 5000 bouches
affamées" nous dit le JT, comme un
écho sublime des 5000 fidèles venus
écouter le Galiléen, le Christ qui
parvint à les nourrir tous avec de
petits pains et de petits poissons [Mat.
14, 14-21, Marc 6, 34-44]. Mais le
Christ ne s'était pas emparé des comptes
bancaires, pour rafler l'or de ceux
qu'il nourrit ce jour là. En fait, le
Venezuela du XXI° siècle est une bonne
affaire bien plus rentable que la
Galilée au premier siècle. Aujourd'hui,
il faut organiser un blocus si l'on veut
que les gens vous soient reconnaissants
pour votre aide humanitaire. Ce n'est pas un
problème. Le duo US-GB l'avait fait en
Irak, comme l'écrivait la merveilleuse
Arundhati Roy en avril 2003
(dans le Guardian de jadis, avant
qu'il ne devienne un simple outil
impérial): après que l'Irak a été mis à
genoux, le peuple était affamé, un demi
million d'enfants avaient été tués, ses
infrastructures gravement
endommagées....puis le blocus et la
guerre firent place .... vous avez
deviné: aux sauveteurs humanitaires. Au
début, ils avaient bloqué les arrivages
de nourriture qui valaient des milliards
de dollars, puis ils ont livré 450
tonnes d'aide humanitaire, et célébré
leur propre générosité pendant quelques
jours de reportages en direct à la télé.
L'Irak aurait eu assez d'argent pour
acheter toute la nourriture requise,
mais cet argent avait été bloqué, et les
habitants ont reçu des cachuètes.
Et c'était plutôt
humain, selon les normes américaines. Au
XVIII° siècle, les colonisateurs
britanniques en Amérique du nord avaient
mis en œuvre des méthodes plus
drastiques, dans leur assistance aux
natifs désobéissants. Les Peaux Rouges
avaient été expulsés de leurs terres
ancestrales, et c'est après qu'il leur
fut administré une aide humanitaire: du
whisky et des couvertures. Les
couvertures avaient auparavant été
utilisées par
des patients tuberculeux. La
population autochtone de l'Amérique du
nord fut décimée par les épidémies
générées par ces mesures et d'autres du
même acabit. Vous n'avez peut-être pas
entendu parler de ce chapitre de votre
histoire, vous les Américains; votre
pays est couvert de musées de
l'Holocauste mais il n'y a pas un seul
mémorial du génocide commis à votre
porte. C'est bien plus fun de
débattre des péchés des Allemands et des
Turcs que de ceux de vos aïeux.
D'abord, vous
affamez les gens, puis vous leur
apportez de l'aide humanitaire. C'est un
schéma
proposé par John McNaughton
au Pentagone: bombardez les écluses et
les barrages, noyez les plantations de
riz, causez une vaste disette (plus d'un
million de morts?) "et alors nous allons
livrer une aide humanitaire aux
Vietnamiens affamés". Ou plutôt: "nous
pourrions offrir d'agir en ce sens à la
table de conférence". Planifier un
million de morts de faim, par écrit,
oui; si une telle note avait été
découverte dans les ruines du Troisième
Reich, ce serait la cerise sur le gâteau
des génocides, tous les jours on nous le
rappellerait. Mais l'histoire du
génocide des Vietnamiens est rarement
mentionnée de nos jours.
Ils l'ont fait en
Syrie, aussi. Au début, ils ont apporté
des armes pour les mettre entre les
mains de chaque extrémiste musulman,
puis ils ont bloqué Damas, et enfin ils
ont envoyé de l'aide humanitaire, mais
seulement dans les zones sous contrôle
rebelle.
Cette méthode
cruelle mais efficace pour briser
l'esprit des nations a été longuement
mise en œuvre par les dompteurs de
lions, pendant des siècles, peut-être.
Il faut affamer le fauve jusqu'à ce
qu'il vienne manger dans votre main et
vous lécher les doigts. Ils appellent ça
la domestication par la faim.
Les Israéliens
pratiquent la chose à Gaza. Ils bloquent
toute importation ou exportation de la
Bande de Gaza, interdisent de pêcher en
Méditerranée, et mettent sous perfusion
les prisonniers palestiniens à coup
d'aide "humanitaire". Les Juifs, qui
sont des juifs, ont encore affiné le
procédé; ils se débrouillent pour que ce
soit l'UE qui paye pour l'aide
humanitaire destinée à Gaza et qu'elle
achète les provisions à ... Israël! Ce
qui fait de Gaza une source importante
de profits pour l'Etat juif.
Au Venezuela, donc,
ils suivent un vieux schéma. les US et
leurs caniches de Londres ont saisi
quelque 20 milliards de dollars
appartenant au Venezuela, et des firmes
nationales vénézuéliennes. Ils leur ont
pris un milliard en lingots d'or que le
Venezuela avait déposé en confiance dans
les caves de la Bank of England. Ils
avaient dit, bien sûr, qu'ils
donneraient cet argent à un illustre
inconnu vénézuélien, plus exactement: au
gars qui avait déjà promis de remettre
la richesse du Venezuela aux firmes US.
Et après ce pillage au grand jour, ils
apportent quelques containers d'aide
humanitaire à la frontière, et attendant
que les Vénézuéliens aux abois se ruent
dessus pour manger.
Le secrétaire
d'Etat Mike Pompeo a
touité: “le peuple
vénézuélien a désespérément besoin
d'aide humanitaire. Les US et d'autres
pays tentent d'apporter de l'aide, mais
les militaires aux ordres de Maduro
bloquent l'aide avec des camions et des
bateaux-citerne. Le régime de Maduro
doit laisser l'aide parvenir au
peuple affamé."
Mais les
Vénézuéliens ne meurent pas de faim,
même s'ils traversent des difficultés.
Ceux qui en font tout un battage, ce
sont les riches, comme toujours. Si
Pompeo veut aider les Vénézuéliens,
qu'il lève donc les sanctions, qu'il
rende les fonds, qu'il mette fin au
blocus. Les biscuits qu'il veut fournir
ne règleront rien.
Le président Maduro
a bien raison de refuser que cette
hypocrisie serve à acheter les estomacs
et le cœur de son peuple. Ce n'est pas
seulement qu'il se souvient de Virgile
et qu'il sait qu'il faut "se méfier des
Grecs et de leurs cadeaux", Timeo
danaos et dona ferentes, Il y a trop
de soldats américains et colombiens tout
autour des lieux de débarquement,
eux-mêmes tout proches d'aéroports avec
des pistes d'atterrissage grand format
adaptées pour mettre en place des ponts
aériens.
Les US sont réputés
pour leur propension à envahir les
voisins. Le Panama a été envahi en 1989
pour que le canal reste aux mains des US
et pour faire annuler l'accord signé par
le président Jimmy Carter qui avait bon
cœur. George Bush senior avait envoyé
ses troupes aéroportées après avoir
qualifié le président du Panama de
"dictateur et trafiquant de cocaïne".
C'est exactement ce que dit le président
Trump du président vénézuélien. Ils vont
vouloir utiliser cette aide pour envahir
et acheter le Venezuela. Lucide, Maduro
a mis en route de grands exercices
militaires afin que l'armée se tienne
prête en cas d'invasion. Mais la
situation du Venezuela est largement
assez sinistre même sans invasion. Leur
argent leur a été séquestré, leur
compagnie pétrolière principale est
quasiment confisquée; et il y a une
solide cinquième colonne qui attend les
yankees à Caracas.
Cette cinquième
colonne est principalement constituée de
compradores, des jeunes de bonne
famille avec une touche d'éducation
occidentale, qui ne voient leur avenir
que dans le cadre de l'empire américain.
Ils sont prêts à trahir les masses mal
lavées et à céder le passage aux troupes
US. Ils ont le soutien des super riches,
des représentants des compagnies
étrangères, des services secrets
occidentaux. Ce genre de personnages
existe partout; ils ont essayé
d'organiser la Révolution du cèdre au
Liban, la révolution verte en Iran, le
Maidan en Ukraine. En Russie ils ont eu
leur chance lors de l'hiver 2011-2012,
lorsque leur révolution en manteaux de
vison s'est jouée sur la colline
moscovite de
Bolotnaïa. A Moscou, ils ont perdu
la main à partir du moment où leurs
opposants, la foule des Russia-First, a
pris le dessus en réussissant une
manifestation encore plus grande sur la
colline de Poklonnaya. Les
agences occidentales ont tenté de
masquer la défaite en envoyant des
images de la manif des soutiens à
Poutine (la "Montagne") tout en disant
que c'était "Le marais" pro-occidental.
D'autres agences occidentales ont publié
des images des rassemblements de 1991 en
disant qu'elles avaient été prises en
2012 sur "Le marais". A Moscou, personne
ne s'est laissé piéger. La foule en
vison savait que c'était de la pommade.
En Ukraine ils ont
gagné parce que le président
Yanoukovitch, un personnage changeant,
hésitant et pusillanime, n'avait pas
réussi à rassembler un soutien massif.
C'est une grave question, de savoir si
Maduro va être capable de mobiliser les
masses qui veulent d'abord le bien de
leur pays. Si c'est le cas, c'est lui
qui gagnera la confrontation avec les
US, dans la foulée.
Maduro est plutôt
réticent: il n'a pas d'oligarques qu'il
ait réussi à discipliner; il ne contrôle
pas les médias; il tente de jouer la
carte sociale-démocrate dans un pays qui
n'est pas la Suède, loin de là. Ses
subsides ont permis aux gens ordinaires
d'échapper à la pire pauvreté, mais
maintenant, ce sont les trafiquants au
marché noir qui siphonnent la richesse
de la nation. Loin d'être une zone
sinistrée, le Venezuela est un pays de
cocagne, un eldorado: on peut y remplir
un cargo de pétrole pour rien, le
détourner sur la Colombie voisine et le
vendre au prix du marché. Bien des fans
de "l'illustre inconnu" se sont fait des
petites fortunes de cette façon-là, et
escomptent bien faire un grand massacre
dès que les Américains débarqueront.
Un problème plus
grave, c'est que le Venezuela est devenu
une économie basée sur la monoculture.
Il exporte son pétrole et importe tout
le reste. Il ne produit même pas de quoi
nourrir ses 35 millions d'habitants. Le
Venezuela est victime de la doctrine
néolibérale qui prétend que vous n'avez
qu'à acheter ce que vous n'arrivez pas à
produire. Maintenant, ils ne peuvent
plus acheter, et ils ne produisent pas
non plus. Imaginez une Arabie saoudite
démocratique et frappée par un
embargo...
Pour sauver
l'économie, Maduro devrait assécher le
marécage, en finir avec le marché noir
et ses profits, encourager
l'agriculture, la taxation des riches,
développer un peu d'industrie pour la
consommation locale. C'est faisable. Le
Venezuela n'est pas un Etat socialiste
ordonné comme Cuba, ni un Etat social
démocrate comme la Suède et l'Angleterre
dans les années 1970, mais même son très
modeste modèle pour permettre aux masses
de surmonter la misère, la pauvreté et
l'ignorance semble inadmissible pour
l'Occident.
On dit souvent
qu'il y a deux antagonistes en Occident,
les populistes et les mondialistes, et
que le président Trump est le dirigeant
populiste par excellence. La crise du
Venezuela a prouvé que ces deux forces
s'unissent quand une occasion se
présente pour attaquer et dépouiller un
pays se voulant outsider. Trump est
conspué chez lui quand il rappelle ses
troupes d'Afghanistan ou de Syrie, mais
applaudi quand il menace le Venezuela ou
la Corée du nord. Il peut être sûr qu'il
sera encensé par Macron et Merkel et
même par le Washington Post et le
New York Times.
Il a en main les
vraies WMD, Armes de Tromperie de Masse
(Weapons of Mass Deception), et elles
ont été activées dès le début du putsch
rampant. Quand un jeune politicien
plutôt inconnu, dirigeant d'un petit
secteur néolibéral rageusement
pro-américain, un vrai tartempion de
service, s'est proclamé président, il
s'est vu immédiatement reconnu par
Trump, et les médias occidentaux ont
publié des reportages montrant le peuple
du Venezuela manifestant pour souhaiter
la bienvenue au nouveau président et
demander le renversement de Maduro. Ils
ont déployé des vidéos d'énormes manifs
à Caracas en soutien à l'opposition. Et
bien peu de gens à l'étranger se sont
aperçus que la vidéo était vieille,
filmée lors de manifs en 2016, mais les
Vénézuéliens s'en sont aperçus tout de
suite! Ils savaient qu'il n'y avait
aucune chance qu'une grosse manif se
tienne ce jour-là, parce qu'il y avait
un match de baseball particulièrement
important entre les clubs professionnels
Leones de Caracas et Cardenales de Lara,
de Barquisimeto.
Mais les WMD ont
continué à mentir effrontément. Voici un
rapport de
Moon of Alabama: Les images
de grands rassemblements
anti-gouvernement sont des fake-news ou
des prophéties en attente de leur
auto-réalisation:
https://twitter.com/i/status/1091725429566631936
Agence
France-Press stated at 11:10 utc
yesterday that “tens of thousands” would
join a rally.
AFP news agency
@AFP – 11:10
utc – 2 Feb 2019
Tens of
thousands of protesters are set to pour
onto the streets of Venezuela’s capital
#Caracas Saturday to back opposition
leader Juan Guaido’s calls for early
elections as international pressure
increased on President #Maduro to step
down http://u.afp.com/Jouu
Des dizaines de
milliers d'opposants se sont installés
pour se répandre dans les rues de la
capitale
#Caracas
samedi, pour reprendre les appels du
dirigeant de l'opposition Juan Guaido, à
des élections anticipées, au moment où
les pressions s'accentuaient sur le
président
#Maduro pour qu'il démissionne
http://u.afp.com/Jouu :
That was at
7:10am local time in Caracas, several
hours before the rally took place. Such
“predictive reporting” is now supposed
to be “news”. A bit later AFP posted a
video:
AFP news agency
@AFP – 15:50
utc – 2 Feb 2019″>
VIDEO: Thousands
of opposition protesters pour onto the
streets of Caracas to back Venezuela’s
opposition leader Juan #Guaido who is
calling for early elections, as
international pressure increases on
President Nicolas #Maduro to step down
Des milliers
d'opposants etc... aussi sur :pic.twitter.com/JdWS12j9KJ
Ca se passait à
11:50 le matin, heure locale. La
vidéo jointe ne montrait pas des
"milliers" mais seulement 200 personnes
qui s'affairaient dans le coin.
Ils mentent quand
ils disent qu'il y a des déserteurs de
l'armée qui veulent un affrontement avec
l'armée. Les jeunes que CNN présentait
n'étaient pas des déserteurs, et ne
résidaient pas au Venezuela. Même leurs
insignes militaires étaient du type qui
a été remisé il y a des années, comme
l'a fait remarquer notre ami
le Saker.
Cependant, ces
mensonges ne profiteront pas à
l'envoyeur (mes correspondants à Caracas
disent qu'il y a des manifs pro et
contre le gouvernement, un peu
plus grosses pour Maduro) car les
sentiments sont plutôt mous. La crise a
été fabriquée à Washington, et les
Vénézuéliens n'ont pas envie de se faire
embringuer.
C'est la raison
pour laquelle nous pouvons nous attendre
à une tentative américaine pour faire
usage de la force, précédée par quelque
provocation. Ce ne sera
probablement pas une guerre ouvertement
déclarée: les US n'ont jamais combattu
un ennemi avant de l'avoir d'abord
épuisé. Si l'administration Maduro
survit à cette explosion, la crise se
tassera, en attendant que les sanctions
produisent leur effet et minent plus
tard l'économie.
Dans cette bagarre,
le président Trump est son pire ennemi.
Il recherche l'approbation du parti de
la guerre, et sa propre base va être
déçue par ses actions. Ses sanctions
vont envoyer encore plus de réfugiés aux
US, avec ou sans mur. Il est en train de
saboter le statut unique du dollar US en
le maniant comme une arme. En 2020, il
va récolter ce qu'il aura semé.
Pour joindre
l'auteur: adam@israelshamir.net
Source: The
Unz Review.
Traduction: Maria
Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
Le
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