Opinion
La
grande peur de la Russie
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Jeudi 9 mars 2017
Révélation : j’ai rencontré des Russes.
J’en ai trouvé une ce matin même sur mon
chemin. Elle m’a apporté le café. Il se
passe des choses tellement dingues,
tellement dangereuses, à Moscou. J’ai
bien peur que la CIA et la NSA en aient
eu vent, et qu’ils puissent se servir de
cette rencontre, même contre vous, cher
lecteur. Vous avez pris connaissance
d’un article d’Israël Shamir.
Saviez-vous qu’il a des contacts
russes ?
Je ne
suis plus tout jeune, mais c’est la
première fois que j’assiste à une telle
chasse aux sorcières. En Russie, il y a
beaucoup d’étrangers, Européens,
Américains, et les Russes se mêlent à
eux librement, sans peur. Ils n’ont pas
peur, les Russes, de rencontrer
l’ambassadeur US, ils en seraient plutôt
fiers, quand ils en ont l’occasion.
Quand il organise une fête ou une
réception, tout le gratin de Moscou
accourt à Spaso-House, la résidence de
l’ambassadeur.
Même
au temps de Staline, les Russes allaient
à ces réceptions, et Mikhaïl Boulgakov
en a décrit une comme le bal de Satan,
dans Le Maître et Marguerite. Ces
dernières années, toutes les
personnalités de l’opposition russe ont
rendu visite à l’ambassadeur US, et ont
eu des conversations chaleureuses avec
lui.
Et pas
seulement en Russie. Les câbles du
Département d’Etat publiés par Wikileaks
font état de centaines de rencontres
entre ambassadeurs US et ténors de
l’opposition dans le monde entier. Et
nulle part on n’a considéré ces
rencontres comme une atteinte à la
sécurité nationale et une charge
rédhibitoire contre un dirigeant de
l’opposition.
Peut-être qu’à la lumière de la grande
peur des Russes, les nations devraient
promulguer des lois pour interdire à
toute personne ayant rencontré un
ambassadeur US de briguer la moindre
responsabilité publique ou candidature
électorale. Elles pourraient appeler la
chose Loi de Flynn, par esprit de
réciprocité.
C’est
la classe politique US qui s’est attirée
cette menace. Si toute personne ayant
rencontré un ambassadeur russe ou un
ministre du gouvernement russe, ou
encore le président russe (ce qu’à Dieu
ne plaise) est impropre à la
gouvernance, c’est toute la strate
supérieure des politiciens US qui
devrait être disqualifiée. L’année
dernière, même Jill Stein, la
super-woman kacher de la politique US,
candidate du Parti Vert à la présidence,
avait visité Moscou et avait partagé la
table de Poutine, avant de reprendre son
vol pour aller réclamer le recomptage
des votes dans le Wisconsin.
Les
Russes observent la nouvelle chasse aux
sorcières transatlantique avec une
certaine surprise. Ils ne savaient pas
qu’ils étaient si redoutables, si
effrayants. Moi non plus, d’ailleurs. Je
peux faire la liste des fautes graves de
la Russie à partir d’aujourd’hui jusqu’à
Noël prochain : bureaucratie atroce,
législation impossible, police
fastidieuse, grands écarts dans le
niveau de vie, climat infect et
mauvaises routes ; mais je ne vois
aucune raison pour considérer la Russie
comme une menace pour qui que ce soit.
Les Russes sont d’accord pour respecter
les lois internationales, ils croient à
la souveraineté nationale, ils préfèrent
ne pas dire aux autres pays comment ils
devraient gérer leur vie civique ou
faire des affaires. Et ils ne se mêlent
pas des affaires des autres Etats, ce
qui serait pourtant bienvenu.
Quand
en février 2014 Mrs Nuland, qui faisait
partie du Département d’Etat à ce
moment, (l’auteure du « Fuck l’UE » a
heureusement perdu sa place avec
l’ascension de Donald Trump) avec
l’ambassadeur US Geoffrey Pyatt avait
attisé les braises sur la place Maïdan,
puis largué quelques milliards sur Kiev,
l’ambassadeur russe à Kiev préférait se
faire rare. Il était peut-être au golf.
Pas une figure de la politique russe
n’avait pris la peine de se rendre à
Kiev et d’aller parler au peuple. La
non-interférence russe dans les affaires
ukrainiennes avait été scrupuleuse,
comme si l’Ukraine était un Etat
lointain d’Amérique latine sans intérêt
pour les Russes.
Ce
fatal mois de février il y a trois ans,
la seule chose qui intéressait les
Russes, c’était Sotchi, où se tenaient
les Jeux Olympiques. Kiev était en
flammes, mais ils discutaient du
biathlon. Le biathlon, voyons ! Les
gouverneurs des provinces ukrainiennes
avaient voulu demander à Moscou si les
Russes viendraient pour tirer d’affaire
le gouvernement légitime, mais personne
n’avait décroché le téléphone.
Le 22
février 2014, lorsque le président
Yanoukovitch s’était enfui de Kiev et
s’était rendu à Kharkov pour rencontrer
les dirigeants de l’Ukraine orientale,
les Russes auraient pu établir le
gouvernement légitime à Kharkov et pour
le moins partager l’Ukraine en deux
moitiés, sans difficulté. Mais ils ne
s’étaient pas montrés, et n’avaient pas
dit qu’ils soutiendraient un tel
gouvernement, et le peuple ukrainien
s’est résigné au putsch de Kiev.
Si
Poutine avait la moindre ressemblance
avec l’image incendiaire qu’en donnent
les médias occidentaux, l’Ukraine serait
une province occidentale de la Russie,
comme pendant les quatre siècles
précédents, et cela se serait fait en
toute légalité, sans un coup de feu.
Mais
Poutine n’est pas ce Vlady le Terrible
de vos bandes dessinées. Il adore
remettre les choses au lendemain, c’est
un homme qui ne bougera pas, tant qu’il
a le choix. Il ne rentre en action que
s’il n’y a pas moyen de retarder
l’échéance. Il avait pris la Crimée, ou
plutôt accepté la demande des habitants
qui voulaient s’unir à la Russie, parce
qu’il pensait (à juste titre) que son
peuple ne lui pardonnerait pas s’il
livrait la presqu’île avec la base
principale de la flotte à l’OTAN et s’il
mettait la population russe à la merci
des gangs de l’Ukraine occidentale
férocement anti-russes.
Mon
vieil ami israélien et observateur de la
Russie, Yakov Kedmi, jadis chef d’un
service secret israélien, avait prédit
en avril 2014 que l’armée russe
s’emparerait de l’Est et du Sud de
l’Ukraine avant les élections
présidentielles en Ukraine. Je l’avais
détrompé, le traitant de rêveur
chimérique. Poutine n’en fera rien s’il
a la moindre possibilité de se tenir
coi, lui disais-je. Et j’avais raison.
Poutine avait agi en Géorgie en 2008
seulement après que ses troupes pour le
maintien de la paix avaient été
attaquées par les troupes - entraînées
par l’OTAN - du président Saakachvili,
qui s’est rendu célèbre pour avoir dit
que son armée prendrait Moscou en
une nuit. Et même à ce moment, il
n’avait pas pris Tbilissi la capitale,
mais ramené ses troupes en arrière. Les
provocations telles que la destruction
des tombes et monuments russes du temps
de la guerre, et la privation de leurs
droits de citoyens pour les Russes dans
les pays baltes, ne sont pas parvenues à
lui forcer la main.
La
dernière chose qu’il souhaitait était de
se quereller avec les US. Il avait
approuvé l’invasion US de
l’Afghanistan et ouvert son territoire
pour le transit des troupes et des armes
US. Il avait approuvé les résolutions
sur l’Irak avant l’invasion US ; il n’a
pris position contre l’invasion
qu’assuré du soutien de la France et de
l’Allemagne. Il avait été d’accord (plus
exactement, il s’était abstenu) pour la
résolution voulue par les occidentaux
sur la Libye, qui a débouché
sur l’assassinat du colonel Kadhafi. Il
avait bradé les bases russes au Viet Nam
et à Cuba. Il a retiré ses troupes de
Tartous, sa seule base navale en Syrie,
et n’est revenu sur le terrain syrien
que face à une attaque américaine
imminente sur cet Etat souverain, à la
demande de son dirigeant légitime.
Les
médias occidentaux présentent la Russie
comme un féroce Rottweiler, et les
Russes ne se reconnaissent pas dans le
miroir des médias occidentaux. La Russie
est plutôt un Terre-Neuve : une masse
solide, pacifique, nullement agressive.
Je le sais parce que j’en ai eu, des
Terre- Neuve. Même un chat insupportable
n’arrive pas à réveiller leur esprit de
combat.
Idéologiquement, la Russie de Poutine
n’est pas si différente de l’Occident.
Le 8 mars, la Journée des femmes, est
officiellement férié en Russie, et les
femmes russes ont tous les droits de
leurs sœurs occidentales, ou ceux dont
celles-ci rêvent. Les millionnaires
russes sont libres d’armer les plus
grands yachts au monde. Ils paient aussi
peu d’impôt que d’autres, juste un impôt
sur le revenu de 13%. Même Trump
n’arriverait pas à faire mieux. Le
communisme est bien mort, et la machine
de propagande officielle répète tous les
jours que l’époque soviétique était
horrible, malgré les souvenirs pleins de
tendresse qu’en ont les générations qui
l’ont connue. Les communistes n’ont pas
accès aux médias, alors qu’ils
constituent bel et bien le second plus
grand parti en Russie.
Le
petit parti d’opposition pro occidental,
tout à fait clintonesque et impopulaire,
reçoit beaucoup de soutien de la part du
gouvernement. Ils sont autorisés à
manifester, ils ont une chaîne de
télé et des journaux, tandis que
l’opposition anti-occidentale, trumpiste
ou communiste, est maintenue à l’écart,
avec des médias marginaux, et ne
manifeste pas dans les rues.
Les
nationalistes blancs, une petite bande,
sont envoyés en taule au moindre soupçon
de blague antisémite. Un militant
d’extrême droite comme Jeremy Bedford
Turner (relaxé aux US) aurait été
enfermé depuis longtemps, en Russie.
Moscou a 92 synagogues pour moins d’un
millier de juifs pratiquants, cornaqués
par des rabbins Loubavitch américains
d’importation. Les meilleures portions
de terrain municipal et les plus
convoitées sont données aux synagogues
et aux centres culturels juifs
gratuitement.
L’article 282 du Code Pénal russe est
aussi strict que les militants de l’ADL
ou du SPLC pourraient en rêver. Une
grande partie des articles publiés sur
le site
http://Unz.com , s’ils paraissaient
en Russie, enverrait leurs auteurs à la
case prison. La Russie a des millions
d’immigrants ; c’est de fait le
troisième pays pour le nombre
d'immigrants agréés. La majorité est
musulmane. Moscou a l’une des plus
grandes mosquées au monde. Et la Russie
a des accords de dispense de visa avec
de nombreux pays musulmans.
Les
liens de la Russie avec l’extrême droite
relèvent de l’imagination. Elle a son
correspondant russe, en la personne
d’Alexandre Douguine, philosophe et
disciple d’Heidegger bien connu, et de
ses amis. Ils sont bien pires que
l’extrême droite occidentale. Douguine
est souvent présenté comme le
« conseiller de Poutine » mais il n’est
jamais parvenu à rencontrer Poutine en
tête à tête. Douguine soutient Poutine,
mais Poutine ne soutient pas Douguine.
Le philosophe a été chassé de
l’Université d’Etat de Moscou, il
atterri dans une chaîne de télévision
sur internet, et selon certaines
rumeurs, il en aurait été chassé. Ses
points de vue sont moins acceptables en
Russie que ceux de Steve Bannon aux US.
RT, la
chaîne, l’agence de presse et le site
russe, est toujours prudente comme la
BBC. Récemment une extrémiste d’origine
russe, Nina Kouprianova, dont les touits
pleins d’esprit sont très suivis, loin
d’être la « Voix de Moscou » comme le
prétend le Daily Beast, a vu ses
articles retirés du site de RT. Son
soutien total à Poutine ne lui a été
d’aucun secours. Douguine n’est pas un
invité fréquent sur RT, ni sur aucune
chaîne russe d’importance d’ailleurs.
D’un
autre côté, il y a, c’est le côté
positif, une liberté d’expression “comme
en Occident”, et les attaques contre
Poutine et son Premier Ministre Medvedev
constituent un sujet routinier dans les
médias russes et sur les réseaux
sociaux. Un documentaire court de M.
Navalny, accusant Medvedev de
corruption, vient d’atteindre six
millions de vues. Des millions de Russes
utilisent Facebook, où Mark Zuckerberg
leur apprend ce qui peut se dire dans
une société bien élevée et ce qui ne
peut pas passer.
Bref, désolé de vous décevoir, la Russie
est formidable, mais n’est pas une
ennemie de l’Occident, même pas dans sa
version Obama-clintonienne. Elle veut
juste faire les choses à son rythme.
Elle n’a pas interféré, et ne le
souhaite pas, dans vos idées.
Les
histoires invraisemblables de hackers
russes qui influenceraient le vote des
Américains peuvent partir à la
corbeille, depuis la publication de
Vault 7, une vaste collection des
artefacts de la CIA pour le piratage
informatique, en particulier la
révélation de son système UMBRAGE. La
CIA a créé une « empreinte digitale »
qui peut être utilisée par les
enquêteurs judiciares pour attribuer des
attaques multiples et différentes à une
seule et même entité.
Wikileaks expliquait : « C’est comme si
vous trouviez la même blessure au
couteau, sur de multiples victimes de
meurtre. Le style unique des blessures
crée le soupçon qu’un seul assassin en
est le responsable. Aussitôt qu’un
meurtre est élucidé, alors, tous les
autres sont attribués à la même
personne. Le groupe UMBRAGE, avec sa
branche « Prise de contrôle à
distance », collectionne et entretient
une bibliothèque substantielle de
techniques d’attaque « volées » à des
maliciels produits dans d’autres Etats,
y compris la Fédération de Russie. Avec
UMBRAGE et les projets liés, la CIA non
seulement augmente son nombre total de
types d’attaque, mais désoriente aussi
les efforts d’attribution en laissant
derrière elle les ‘empreintes digitales’
des groupes auxquels ont été volées les
techniques d’attaque. »
Et
vlan, pour les « empreintes digitales
russes » prétendument trouvées dans le
courriel du DNC qui aurait fuité avec
d’autres révélations liées à Trump !
Certes il ne peut y avoir la moindre
preuve sur qui a hacké qui, mais on peut
présumer que lorsque certaines preuves
finissent par être présentées, elles ont
été fabriquées par la CIA.
Voilà
qui nous amène au vrai coupable, la
communauté du renseignement US. Elle est
devenue si puissante qu’elle a décidé de
diriger le pays, les US et le monde,
tout en conservant les institutions
démocratiques comme camouflage.
Ce
sont eux, et non pas la timide Russie de
Poutine, qui poussent le monde vers
l’Armageddon final. Eux qui ont organisé
la grande peur de la Russie. Maintenant
nous savons que le président Trump est
le dernier défenseur de l’ordre
démocratique moribond, tandis que ses
ennemis dans les médias sont des larbins
de la CIA.
Comme
personne n’aime être manipulé, je vais
vous dire, vous qui votez aux US : vous
n’avez pas été manipulés par les Russes.
C’est tout le contraire, vous êtes les
gens les plus libres au monde, vous avez
su profiter de l’occasion unique de
sauver votre pays et le monde entier, en
danger d’être confisqué par les espions.
Le travail est loin d’être fini, et
personne ne le fera à votre place, en
tout cas sûrement pas le président
russe.
Maintenant, armés de cette certitude,
vous pouvez soutenir votre président et
vous asseoir sur la propagande que
produit la CIA. Désormais nous n’avons
aucun doute que le président Obama a
bien écouté et lu chaque mot prononcé ou
écrit par Donal Trump et dans son
entourage. Maintenant nous n’avons aucun
doute que les médias ne sont rien qu’un
outil de piratage dans l’arsenal de la
CIA, créé pour prendre le contrôle des
ordinateurs les plus précieux au monde :
vos esprits et vos cœurs.
Traduction : Maria Poumier
Joindre Israel Shamir : adam@israelshamir.net
Original publié sur The
Unz Review.
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