Analyse
Quel avenir pour la Libye ?
IRIN
Les
groupes armés de la Libye ne participent
pas aux pourparlers de paix de Genève
(Photo d'archives)
Photo: Kate Thomas/IRIN
Tripoli, 29 janvier 2015 (IRIN)
S’il fallait une preuve supplémentaire
de l’importance de mettre un terme à la
lutte de pouvoir qui a provoqué le chaos
dans lequel se trouve la Libye depuis
l’été dernier, nous l’avons eue cette
semaine. Nous avons pu constater que les
sympathisants de l’État islamique (EI)
avaient l’intention d’exploiter le vide
de pouvoir qui résulte de la crise. Le
27 janvier, des hommes armés ont
lancé un assaut contre un luxueux hôtel
de Tripoli, populaire auprès des
responsables des Nations Unies et des
diplomates. L’attaque, revendiquée par
l’EI, a fait au moins neuf morts, dont
cinq étrangers. Il s’agit du plus
meurtrier d’une série d’incidents, ce
qui suggère que les partisans de l’EI en
Libye prennent de l’assurance alors que
la crise politique libyenne perdure.
Les groupes armés alliés aux
gouvernements rivaux de la Libye sont
engagés dans une lutte pour obtenir le
contrôle de ce pays riche en pétrole.
L’un d’eux est le gouvernement
autoproclamé et soutenu par les milices
qui a pris le pouvoir à Tripoli après
que le gouvernement du premier ministre
Abdullah al-Thani, reconnu par la
communauté internationale, eut fui dans
l’est de la Libye.
Les responsables des Nations Unies qui
supervisent les discussions actuellement
menées à Genève pour faire la paix entre
les factions belligérantes espèrent que
l’attaque contribuera à recentrer les
esprits. Elle pourrait en effet servir
de signal d’alarme, a dit l’envoyé
spécial des Nations Unies en Libye,
Bernardino León, qui est d’avis que seul
un gouvernement d’unité peut contrer la
menace de l’EI. « Le pays est au bord de
l’effondrement. »
C’est peut-être le cas, mais les
discussions à Genève en sont toujours à
un stade relativement préliminaire et de
nombreux acteurs importants du conflit
ne sont pas encore impliqués. La semaine
dernière, les participants, parmi
lesquels figuraient des représentants du
parlement élu en juin issus des deux
camps et des personnalités de la société
civile, se sont entendus sur un cadre
pour élaborer un accord en vue de la
création d’un gouvernement d’unité. Ils
se sont aussi entendus sur la nécessité
de mettre un terme aux affrontements et
d’assurer le retrait des groupes armés
des zones urbaines. Aucun représentant
des factions armées ne participe pour le
moment aux discussions, mais les Nations
Unies ont l’intention de les inclure. Il
est peu probable, dans ce contexte, que
l’on réussisse à mettre un terme au
conflit armé dans un futur rapproché.
Le
Représentant spécial et Chef de la
Mission d’appui des Nations Unies en
Libye
Bernardino León encourage la poursuite
des discussions
Photo: UN
Les affrontements violents qui font rage
depuis des mois dans plusieurs villes et
villages ont entraîné l’émergence d’une
grave crise humanitaire. Plus de 120 000
personnes ont été forcées de fuir leurs
foyers. Les pénuries de carburant et de
fournitures médicales sont
particulièrement aiguës dans certaines
régions, notamment à Benghazi, la
deuxième plus grande ville du pays. «
Nous arrivons au bout de nos réserves »,
a dit un médecin du principal hôpital de
Benghazi. Quelque 600 personnes ont été
tuées à Benghazi depuis le mois
d’octobre, lorsque la ville a été le
théâtre de nouveaux combats après une
nouvelle offensive lancée par Khalifa
Haftar, un allié du gouvernement
d’Abdallah al-Thani. Plus de 15 000
familles ont été déplacées. Les Nations
Unies ont récemment tenté de négocier un
cessez-le-feu en contrepoint du
processus de Genève, mais les forces de
Haftar ont refusé de l’appliquer à
Benghazi, où ils croient qu’ils
triompheront bientôt.
On s’attend à ce que le dialogue engagé
à Genève comprenne plusieurs volets
outre le volet politique qui est
actuellement étudié. Cette semaine, des
représentants des conseils municipaux et
locaux ont participé aux discussions.
Leur participation démontre une
reconnaissance du fait que la crise en
Libye a de multiples facettes et que les
conflits locaux alimentent la lutte de
pouvoir qui s’est engagée au niveau
national. Dans les semaines à venir, des
représentants de groupes armés et de
partis politiques et des chefs tribaux
devraient se rencontrer à Genève.
L’une des difficultés d’un tel processus
est de décider qui doit y prendre part.
Le pouvoir est diffus en Libye. Les deux
grands camps qui s’affrontent
actuellement s’appuient en outre sur des
alliances de convenance – fragiles et
souvent mouvantes – entre une myriade de
factions politiques et armées. De
nombreux citoyens ordinaires se
plaignent du fait que le pouvoir réel
semble être entre les mains de la
constellation de groupes armés ayant
émergé pendant et après le soulèvement
contre Mouammar Kadhafi, en 2011, et non
entre celles des institutions de l’État
ou des organes élus. Chacun des camps
semble en outre être de plus en plus
souvent en proie à des tensions et des
fractures internes, dont plusieurs ont
donné lieu à des désaccords publics,
parfois au sujet du processus de
dialogue lui-même. Les notions de
leadership et de hiérarchie peuvent être
nébuleuses et l’influence de certains
acteurs individuels, et notamment des
personnalités politiques, peut fluctuer
en fonction des développements sur le
terrain. Les représentants des Nations
Unies devront garder tout cela à
l’esprit au fur et à mesure que les
discussions de Genève évolueront.
Dans les semaines à venir, il faudra
notamment surveiller les factions
politiques et armées de Misrata, une
ville portuaire prospère qui sert de
bastion à Fajr Libya (« Aube de la Libye
»), l’alliance de milices qui soutient
l’administration de Tripoli, et Khalifa
Haftar. Les milices de Misrata, les plus
puissantes du pays, peuvent décider de
la réussite ou de l’échec du dialogue,
mais elles sont elles-mêmes divisées. De
nombreux habitants de la ville – et
notamment des hommes d’affaires
importants qui ont compris l’impact des
combats sur l’économie – accordent leur
soutien au processus de Genève. D’autres
y sont cependant farouchement opposés ou
sont simplement partagés. Haftar n’a pas
clairement fait connaître sa position au
sujet des discussions. Il est probable
qu’il se révèle être un obstacle à la
conclusion d’un quelconque accord.
Haftar espère que la base de soutien
dont il dispose dans l’est du pays
l’aidera à se placer en position de
leadership, mais nombreux sont ses
adversaires qui insistent sur la
nécessité de l’écarter complètement de
la scène pour garantir la paix.
Les citoyens ordinaires, pris entre les
groupes armés, sont nombreux à avoir
adopté une approche attentiste. Les
sceptiques signalent que plusieurs
autres tentatives de dialogue mises en
œuvre au cours de la dernière année ont
échoué. La plupart d’entre eux en ont
ras le bol du carnage, des privations
associées à la guerre et des
chamailleries politiques qui en sont à
l’origine. Ce qu’ils voient, c’est une
économie en chute libre et la
perspective d’une infiltration encore
plus importante de l’État islamique. La
population est lasse de la guerre, même
à Misrata. « Nous voulons arrêter de
saigner », a dit Mohammed el-Tumi, un
membre du conseil local qui participe
aux négociations ayant lieu cette
semaine à Genève. Un autre, un jeune
homme ayant été estropié à vie alors
qu’il combattait contre les forces de
Kadhafi, en 2011, s’est montré plus
direct : « Je prie pour que le dialogue
de Genève soit un succès », a-t-il dit.
« La guerre, c’est l’enfer. »
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Publié le 1er février 2015 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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